[DOSSIER] On vous souhaite « un processus de réconciliation »

Les Calédoniens portent en eux le poids d’un passé douloureux marqué par la colonisation, les déportations, la guerre civile… Selon la chercheuse Clara Filippi, doctorante en sciences politiques et sociales, les accords n’ont pas permis de « réconcilier les mémoires ». La période actuelle serait propice à un tel processus, indispensable à un futur serein.

DNC : Vous êtes membre d’un groupe de travail « paroles, mémoires et réconciliations », formé fin 2020 par le haut-commissariat. Quel est son objet ?

Clara Filippi : L’État a réuni un petit groupe de personnes du comité des sages, des associations Demain en commun, Destin commun, la Ligue des droits de l’homme, des religieux, historiens etc. On s’est réuni une dizaine de fois en 2022.

On a travaillé sur la sémantique et la constitution d’une association avec d’autres partenaires qui impliquerait entre autres un financement de l’État. On s’est entretenus avec le Sénat coutumier pour intégrer chaque aire coutumière.

Une fois constitués, nous pourrons monter des projets. Notre comité est à différencier du groupe de travail institutionnel qui verra le jour le 26 janvier sur ce sujet, avec les politiques. Même si nous seront sûrement en lien.

Pourquoi avoir consacré vos recherches aux processus de réconciliation en Nouvelle-Calédonie ?

Au départ, je souhaitais travailler dans la lutte antiterroriste au Moyen-Orient. J’étais persuadé que les gens se radicalisaient en raison d’un mal-être, à traiter.

Par la suite, je me suis interrogée sur l’Algérie puis sur la Nouvelle-Calédonie. En entendant cette phrase : « donner à manger à quelqu’un qui a soif », je me suis demandé ce qui animait l’indépendance ? Un désir de reconnaissance des torts subis, peut-être.

On a fait beaucoup pour le rééquilibrage économique mais je pense que l’on n’a pas affronté le passé. »

J’ai souhaité travailler sur le poids de l’histoire ici. J’ai pris un immense plaisir à écrire mon mémoire avec l’impression de tenir quelque chose sans trop savoir quoi faire de ce travail. J’ai contacté des associations, participé au TedX.

Pourquoi les accords n’ont-ils pas permis de réconcilier les Calédoniens ?

On a fait beaucoup pour le rééquilibrage économique mais je pense que l’on n’a pas affronté le passé. Sûrement parce qu’il était trop frais et la douleur trop vive.

L’histoire est encore conflictuelle, les histoires sont plurielles et se racontent avec des prismes, des omissions, des gommages. La mémoire officielle semble remaniée quand elle est transmise.

Le temps seul ne permet pas de faire disparaître les douleurs… Il faut selon vous les « soigner ».

Il faut impérativement soigner cette douleur, c’est-à-dire la prendre en main comme une blessure qui s’infecte. La réconciliation n’implique pas immédiatement des bienfaits mais finalement ça fait moins mal d’avoir une cicatrice qu’une blessure à vif.

Cette blessure se transmet inconsciemment aux générations futures. Des jeunes ont une haine sans savoir pourquoi !

Ces douleurs concernent-elles tous les Calédoniens ?

Les Calédoniens, quelle que soit leur origine, portent leur histoire personnelle, familiale, communautaire, nationale (celle de France). Et il manque des ponts entre les différentes histoires.

Que préconisez-vous ?

La justice transitionnelle fait partie des processus utilisés. Avec quatre notions connues : la reconnaissance (« il s’est passé cela »), la responsabilité (« j’ai fait cela »), les excuses officielles et la réparation (symbolique, matérielle ou financière). Au Pérou, ils ont fait un cimetière de galets pour les disparus.

Je suis aussi favorable à l’ouverture des archives. Ça va peut-être faire mal mais cacher le passé, c’est une bombe à retardement. Il faut que ça sorte.

On commencerait par dire officiellement que l’on entre dans un processus de réconciliation. »

On a aussi proposé l’idée d’une « caravane de la mémoire » comme en Espagne. Il s’agirait de sillonner la Nouvelle-Calédonie pour effectuer un travail de mémoire, évoquer les traumatismes, avec des groupes de parole. Cette matière complémentaire pourrait être transmise aux historiens.

Comment se déroulerait concrètement ce processus ?

On commencerait par dire officiellement que l’on entre dans un processus de réconciliation, ou de justice transitionnelle avec tel et tel objectif. Il faut une opération de sensibilisation. Expliquer, vulgariser à la télé par exemple ou dans les écoles.

On a fait des actions en ce sens mais pour certaines sans dire de quoi il s’agissait, ou du bout des doigts : la restitution de l’acte de la prise de possession, la nouvelle case au centre Tjibaou avec des objets de toutes les communautés etc.

La place de la paix, plus récente a été inaugurée avec le ministre. Elle est magnifique mais elle aurait pu marquer la fin du processus de réconciliation. Il faut procéder dans l’ordre.

Certains refusent que l’on « remue le passé »…

Il est difficile de parler de réconciliation. Les gens craignent les reproches, qu’on parle de dette coloniale, que des privilèges s’effondrent peut-être.

Les Calédoniens n’ont pas choisi, pourtant certains portent une culpabilité. Il faut libérer la parole, extérioriser les vilaines émotions. Il ne s’agit pas de culpabiliser les gens.

J’ai l’impression qu’on ne prend pas ce sujet comme un sujet sociétal même si on parle à tout bout de champ du vivre ensemble. Alors qu’on parle des futures institutions politiques, on devrait par exemple avoir un ministre de la mémoire et de la réconciliation.

Il faut aller voir ce qui se fait ailleurs même tout près en Nouvelle-Zélande ou en Australie, pour s’inspirer tout en faisant à notre façon.

Propos recueillis par Chloé Maingourd

En dehors de ses recherches, Clara Filippi est intervenue en 2022 dans sept classes de primaire (CE1) en partenariat avec la province Sud, avec un dispositif intitulé « École de la paix ». « L’idée est de parler avec les enfants des notions de vivre-ensemble, de respect des points de vue, des différences et de gestion des conflits avec des exemples historiques comme la poignée de main, des contes locaux. » L’opération devrait se poursuivre en 2023.

Photo : Clara Filippi, Calédonienne formée au Canada et en Belgique, avait développé ce sujet lors d’une conférence TEDx en septembre 2021, disponible sur le web. / © C.M.

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