L’Azerbaïdjan, si proche

La polémique autour de la signature par l’élue indépendantiste Omayra Naisseline d’une première intention de coopération interparlementaire entre le Congrès et l’Assemblée nationale azérie met en lumière les liens entre l’Azerbaïdjan et le FLNKS. 

La photo, relayée par l’Azertac, l’Agence de presse nationale d’Azerbaïdjan, et datée du 18 avril, témoigne d’un rapprochement officiel, derrière les petits drapeaux du pays hôte et du FLNKS. L’élue UC-FLNKS et Nationalistes des Loyauté, Omayra Naisseline, présente à Bakou un document, face à l’objectif, aux côtés de la présidente de l’institution décrite comme l’Assemblée nationale azérie. D’après le texte associé, « un mémorandum de coopération a été signé entre le Milli Medjlis de la République d’Azerbaïdjan et le Congrès de la Nouvelle-Calédonie ».

L’information révolte les bancs non indépendantistes du boulevard Vauban à Nouméa. Dans un courrier adressé le 22 avril au président du Congrès, l’UC Roch Wamytan, les groupes Les Loyalistes et Rassemblement « dénoncent le déplacement à Bakou d’une délégation » de l’assemblée délibérante calédonienne sans « aucune concertation », « aucun mandat », et s’interrogent sur le coût d’une telle mission. Sonia Backès, Virginie Ruffenach et leurs collègues annoncent avoir saisi le procureur de la République. Calédonie ensemble voit, de son côté, « une honte pour notre pays » et demande « la tenue d’une session extraordinaire sur le sujet ».

Au cœur des reproches, se place l’accointance supposée du FLNKS sous couvert du Congrès avec l’État d’Asie occidentale au régime autoritaire et aux positions anti-françaises. Et ce, dans un but de soutien à la cause indépendantiste du Front. La signature survient de plus au moment où l’Arménie accuse l’Azerbaïdjan de « nettoyage ethnique » dans la région du Haut-Karabakh. « Nous avons beaucoup de compassion pour les Arméniens », a coupé court, mardi 23 avril, face aux médias, Roch Wamytan, en pleine polémique.

Pour le président du Congrès, ce mémorandum ou déclaration d’intention de coopération fait suite à une invitation de la présidente de l’Assemblée azérie, et Omayra Naisseline a profité d’un déplacement du FLNKS pour signer le document au nom du patron de l’institution calédonienne. Selon ses propos, peu clairs, les frais auraient été pris en charge par Bakou. « Pourquoi on diabolise à ce point l’Azerbaïdjan ? a noté l’élu au perchoir. Des quantités de Français travaillent là-bas. »

Le président du Congrès, Roch Wamytan, a « signé, depuis 2019, 13 conventions de partenariat ou mémorandums de coopération ». Le rapprochement avec l’Azerbaïdjan est le quatorzième. © Yann Mainguet

« Ingérence »

Le drapeau d’Azerbaïdjan, frappé d’un croissant et d’une étoile, est imprimé de manière ostensible sur des tricots et des affiches en faveur du combat indépendantiste depuis plusieurs mois en Nouvelle-Calédonie. Au point où le député Nicolas Metzdorf, des Loyalistes, a déposé le 2 avril une question écrite à l’Assemblée nationale à l’attention de Stéphane Séjourné, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, « sur les actes répétés d’ingérence » de l’État présidé par Ilham Aliyev. Un courrier, envoyé au même membre du gouvernement deux semaines plus tard et signé par une vingtaine de députés, soulève la même inquiétude et appelle « à agir de manière décisive ».

Le FLNKS ne s’en cache pas. « Les liens entre le Front et l’Azerbaïdjan sont assez récents, depuis 2018, au moment de la première consultation d’autodétermination », explique Mickaël Forrest, secrétaire permanent pour les relations extérieures de la coalition indépendantiste. Puisque l’ancienne république soviétique « a présidé le mouvement des non-alignés » de cette période-là à janvier 2024. L’organisation internationale dite des non-alignés, fondée en 1961 sur le principe de pencher ni vers le bloc de l’Est ni vers celui de l’Ouest, regroupe 120 États qui luttent notamment pour « l’indépendance nationale » et contre « le colonialisme ». Le FLNKS en est membre observateur depuis septembre 1986.

Ainsi, note Mickaël Forrest, « l’Azerbaïdjan, en tant que président, nous a accompagnés, soutenus sous différentes formes », via par exemple des conférences ministérielles et sommets à Bakou ou encore la réunion mensuelle des ambassadeurs du mouvement des non-alignés à New York. Avec des applications concrètes : les visites du Comité spécial de l’ONU chargé de la décolonisation (ou C24) et les missions d’observation électorale.

Des militants indépendantistes brandissent un portrait d’Ilham Aliyev, président de la République d’Azerbaïdjan, en amont d’une mobilisation de la CCAT, le 21 mars. © Yann Mainguet

Groupe d’initiative de Bakou 

Une nouvelle étape fut franchie l’an dernier, avec la création du GIB, ou Groupe d’initiative de Bakou, selon une volonté de l’Azerbaïdjan. Cette structure, présentée comme une ONG, est destinée à « accompagner les colonies françaises mais aussi, plus généralement, offrir un espace international de débats et d’échanges avec des scientifiques ou universitaires », d’après le Front. Dans cette entité siègeraient les indépendantistes de la Martinique, Guadeloupe, Guyane, Corse, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, mais aussi des autonomistes de Wallis-et- Futuna. Des prises en charge financières seraient prévues pour des événements tels que des conférences.

Le logo du Baku Initiative Group, en anglais, figurait sur l’affiche de la Cellule de coordination des actions de terrain, ou CCAT, invitant à la mobilisation du samedi 13 avril à Nouméa. Un peu plus tôt, le 28 mars, une banderole lançait un message direct : « Poutine, bienvenue en Kanaky ».

L’Azerbaïdjan a tissé de bonnes relations avec la Russie. Sur un plateau de télévision de franceinfo, un grand reporter n’avait pas hésité d’ailleurs à inscrire, derrière les indépendantistes kanak et Bakou, le régime de Moscou. Le journal L’Express a consacré un article, fin mars, à « la redoutable stratégie de la Russie et de la Chine pour déstabiliser la France en outre-mer ».

« Il faut garder les pieds sur terre », dépassionne Mickaël Forrest, pour qui le seul lieu de rencontre du FLNKS avec la Russie et la Chine reste « le Comité spécial des 24 de l’ONU, où ils sont membres permanents ». Cependant, l’État prend cette affaire calédo-azerbaïdjanaise très au sérieux.

Yann Mainguet