Trois textes majeurs ont été votés dernièrement par le Congrès : amodiation, taxe et redevance. Ces avancées sont le fruit de majorités plus ou moins fragiles. Les groupes politiques restent extrêmement divisés sur la question de la valorisation des ressources minières et sur celle de leur utilisation pour la construction du pays.
En près d’un siècle et demi d’exploitation, pas un franc n’a été mis de côté, aucun fonds n’a été alimenté pour préparer l’après-nickel. L’or vert quitte le pays, l’argent voyage en sens inverse, mais ne profite pas suffisamment aux Calédoniens.
Les 54 élus du Congrès sont d’accord ‒ officiellement du moins ‒ jusqu’ici. Mais pas un centimètre plus loin. Par quels mécanismes faut-il taxer l’activité minière ? Quels montants seraient à la fois significatifs et soutenables pour l’industrie ? Comment utiliser les fonds ? Quelle attitude vis-à-vis de l’export de minerai ? Dès les premières tentatives de réponse, l’unanimité vole en éclats.
L’AVENIR DU PAYS, TOUJOURS CLIVANT
Le 8 décembre, dans un hémicycle sans majorité, les élus trouvent un consensus pour… ne rien décider. La taxe pour alimenter un fonds souverain et la redevance destinée aux communes minières sont renvoyées aux discussions en commission. Il faut d’abord, disent en chœur tous les groupes du Congrès, convenir d’une stratégie pays pour le nickel, celle que l’État réclame avant d’engager des milliards pour sauver une nouvelle fois la SLN.
Quelles concessions sont envisageables ? Mystère. Mais chacun se dit optimiste, chacun affiche sa confiance en la capacité des représentants de la Nouvelle-Calédonie, terre de parole, terre de partage, à parvenir rapidement à un accord sur ce sujet aussi clivant qu’il touche à l’avenir du territoire.
« LE CONSENSUS N’EST PAS TOUJOURS POSSIBLE »
Un mois plus tard, sans grande surprise, les deux camps sont arc-boutés sur leurs positions. Les Loyalistes et l’Avenir en confiance assurent que les taxes signeront l’arrêt de mort de la SLN, et demandent le rejet.
Les indépendantistes y voient une proximité coupable avec la plus grande entreprise du territoire, jugée responsable de ses propres difficultés. Leurs adversaires les accusent en retour de favoriser systématiquement l’usine du Nord. Ces débats, longs, houleux, improductifs, pèsent bien peu face à l’arithmétique.
Les gisements s’épuisent et le nickel doit davantage profiter aux Calédoniens. Mais sur la fiscalité, comme sur les questions liées aux technologies de production et aux partenariats avec des multinationales, les divisions sont profondes.
L’Éveil océanien est de retour dans l’hémicycle, ses trois voix apportent aux indépen- dantistes leur majorité habituelle. « Le consensus n’est pas toujours possible, constate Milakulo Tukumuli. Quand il ne l’est pas, c’est le fait majoritaire qui l’emporte. C’est la démocratie. »
Sonia Backes regrette un passage en force sur un sujet aussi important. « À force d’attendre, on ne fait rien », répond Gilbert Tyuienon.
Sur la question de l’amodiation, texte pensé pour l’usine du Sud, les divisions sont différentes : elles sont géographiques, mais tout aussi vives. Le Palika, fortement ancré au Nord, ne veut pas en entendre parler. L’UC, plus présente dans le Sud, vote le texte porté par Sonia Backes.
PAS DE STRATÉGIE MAIS UNE POLITIQUE
À défaut de pouvoir être appelée « stratégie pays », la Nouvelle-Calédonie s’est dotée ces trois derniers mois d’une politique de taxation du nickel. Elle est difficilement lisible mais existe bel et bien : un loyer minier pour l’usine du Sud, une taxe et une redevance (3 milliards au total, les bonnes années) pour la SLN et les « petits » mineurs (KNS et Prony Resources restent couverts pour plus de 10 ans par le pacte fiscal négocié avant leur construction).
La taxation de l’activité minière a enfin quitté le royaume abstrait des bonnes intentions. Faut-il déplorer la manière, la courte majorité ? Faut-il se résoudre à ce que la politique en matière de nickel fluctue au gré des courtes majorités, tiraillée entre plusieurs stratégies, entre intérêt public et intérêts privés ?
Ce ne serait après tout que business as usual, la vie normale en politique. Mais au mois de janvier, au moment des vœux, on a bien le droit de rêver un peu.
Gilles Caprais
Photo © G.C.