« Dépolitiser » le sujet de l’avenir institutionnel

Pour Pascal Lafleur, un groupe de travail incluant des personnalités hors champ politique doit être mis en place. © Gilles Caprais

À la suite de notre dossier sur les tentatives de médiation face au blocage politique (DNC 870), Pascal Lafleur, chef d’entreprise et candidat aux dernières législatives, pense également qu’il est nécessaire de revoir complètement la méthode des discussions actuelles.

DNC : Quelle lecture faites-vous de la situation ?

Pascal Lafleur : Les indépendantistes refusent de reconnaître le dernier référendum, ils ne veulent discuter que des conditions d’indépendance avec l’État, tout en ne reconnaissant pas les ministres chargés du dossier. Ni les indépendantistes, ni les non-indépendantistes n’ont concrétisé de propositions. Nos élus attendent tout de l’État, des propositions, de l’argent, comme si le gouvernement de la République n’avait que ce dossier à traiter.

Le territoire paie aujourd’hui les divisions politiques et les guerres d’ego des 20 dernières années. Cette situation rend plus difficiles le dialogue et l’aboutissement d’une solution d’avenir. Elle caractérise aussi l’échec de la gestion indépendantiste dans le Nord et aux Îles et la non-anticipation des élus non indépendantistes. La division, la démagogie et des discours parfois haineux dans les deux camps ont amené à creuser de plus en plus un fossé entre communautés : nous sommes quasiment revenus 40 ans en arrière.

L’État n’a-t-il commis aucune erreur ?

L’État ne souhaite avoir que les élus comme interlocuteurs. Il refuse de comprendre que certaines de ses initiatives ont donné des prétextes aux indépendantistes pour refuser le dialogue. Le chemin qu’il a choisi n’a pas été concluant. Je préconise, comme il y a deux ans, une méthode différente.

Quelle est-elle ?

C’est avant tout la dépolitisation du sujet de l’avenir institutionnel. La solution devrait passer par la nomination par le chef de l’État d’une personnalité, qui s’entourera d’un petit nombre de Calédoniens dans un groupe de travail chargé de consulter et proposer un projet pour le territoire.

Vous avez, par exemple, donné la parole à des personnalités en dehors du champ politique [DNC 870, NDLR]. Elles ont des choses à dire sans jamais être entendues. Leurs propos me semblent en totale cohérence avec les besoins du territoire et bien loin du sectarisme des élus. De telles contributions feraient avancer le territoire. Le projet serait soumis par référendum aux électeurs, et s’il était accepté par une majorité, le chef de l’État pourrait alors convoquer l’Assemblée nationale et le Sénat en Congrès à Versailles, puis des élections se tiendraient. Elles pourraient avoir lieu en juin 2025.

Vous insistez aussi sur l’urgence qu’il y a à avancer…

La situation économique ne cesse de se dégrader, l’inquiétude grandit dans une partie de plus en plus importante de la population. Peut-on laisser ce sentiment gagner encore plus et risquer de nouveaux conflits ? Tournons une bonne fois la page, changeons de modèle. Avec, comme objectif, de respecter chacun et chaque communauté. C’est en fait revenir à ce qui a permis la poignée de main et les accords de Matignon.

Que préconisez-vous ?

Sur le volet institutionnel, la révision du corps électoral, le maintien des compétences régaliennes à l’État, une représen- tativité plus juste des élus, le droit pour les Calédoniens de conserver la possibilité de faire évoluer le statut, y compris vers l’indépendance dans le futur. Avant cela, il ne doit plus être question d’indépendance mais seulement de développement pour l’ensemble des habitants.

Il y a des dispositions favorables dans le dispositif actuel, mais il faut chercher à l’améliorer. J’avais proposé de revoir le nombre de provinces pour en diminuer le coût de fonctionnement et apporter plus d’efficacité. Je défends aussi une nouvelle répartition des pouvoirs entre provinces et Nouvelle-Calédonie, qui permettrait d’apporter plus de cohérence, notamment sur des sujets nécessitant une politique unitaire du territoire.

Je suis favorable à ce qu’il y ait moins d’élus au Congrès comme dans les provinces et qu’en cas de faute ou de comportements répréhensibles, ils soient automatiquement destitués. Pour moi, il faudrait dissocier l’élection des élus provinciaux de celle des représentants du Congrès. Pour le Congrès, je verrais une élection avec des listes territoriales, un scrutin qui devrait permettre d’obtenir une majorité stable : cela nécessiterait donc un minimum de suffrages pour accéder à la répartition des sièges. Cette séparation permettrait une gestion des compétences sans interférence des élus provinciaux. J’ai également proposé que seul le président du gouvernement soit élu par les membres du Congrès et qu’il constitue ensuite son équipe avec l’obligation de prendre des personnalités issues de la minorité et la fasse valider par le Congrès.

La clé de répartition budgétaire doit évoluer pour s’adapter à la démographie et à la répartition nouvelle des compétences. Je défends une Nouvelle-Calédonie unie et autonome dans la France, une solidification du gouvernement, plus de latitude et de finances pour les communes, un contrôle accru sur la manière dont l’argent public est utilisé. Une pleine reconnaissance de toutes les identités, la mise en valeur et la préservation de l’identité mélanésienne.

Et sur le volet économique ?

La fiscalité doit devenir un outil de développement et non de punition. Il y a deux façons de fournir des ressources au budget, soit la croissance qui génère de l’impôt, soit la taxation de plus en plus forte qui tue l’économie et réduit les recettes budgétaires dans un second temps. Je préfère la première, elle a montré son efficacité. Le territoire doit attirer des investisseurs et des consommateurs ‒ ce sont les moteurs de l’économie ‒ pour réduire les inégalités. Notre économie est trop dépendante de l’évolution des cours du nickel et de son exploitation. Cette richesse naturelle ne doit pas faire l’objet de chantage politique. Un schéma énergétique, qui lui permettra d’être compétitive, doit vite se mettre en place. Une petite centrale nucléaire est la solution. En complément, bien d’autres secteurs sont à même d’accompagner la croissance.

Je suis aussi favorable à l’instauration de l’euro pour donner plus de confiance aux investisseurs extérieurs et obtenir de meilleures conditions pour les emprunteurs calédoniens. Une formation de qualité et un accompagnement sont les seules solutions pour combler les inégalités. Et les grandes entre- prises métropolitaines présentes doivent contribuer à la formation des jeunes. Enfin, nous avons vu la réussite du dispositif du RSMA, il serait bien de l’étendre.

Indépendance ou demeurer dans la France n’est plus la question. Ceux qui continuent de se référer à ce schéma n’ont aucune considération pour la population.

Que faut-il attendre de l’État ?

L’État a un rôle essentiel, nous ne pourrons pas faire sans lui. Mais n’attendons pas tout de lui. Il devrait avoir un grand projet pour la Nouvelle-Calédonie qui lui permettrait de renforcer son positionnement dans la zone et de montrer son importance. Cela pourrait être l’installation d’une véritable base militaire, navale et aérienne, ouverte aux armées des pays européens notamment. Il pourrait y avoir une proposition à l’Union européenne d’établir ici sa représentation diplomatique pour l’Asie-Pacifique. La Nouvelle-Calédonie est ancrée dans une région, des partenariats avec ses voisins ‒ l’Australie et la Nouvelle-Zélande ‒ doivent être recherchés et construits. Cette combinaison entre les autorités locales et celles de l’État assurera le développement économique et social.

Indépendance ou demeurer dans la France n’est plus la question. Ceux qui continuent de se référer à ce schéma n’ont aucune considération pour la population. Celle-ci attend autre chose. Plus d’idéologies rétro- grades, mais le respect, la possibilité de s’élever dans la société et d’avoir un travail pour le bien-être de sa famille : voilà ce que souhaitent les Calédoniens à mon avis. Soyons à la hauteur des enjeux et faisons de la Nouvelle-Calédonie un exemple à suivre.

Propos recueillis par Chloé Maingourd