Sucre : une taxe « inflationniste »

Dominique N. Jung, président directeur général de la GBNC, assure que 80 % des boissons de la marque contiennent désormais moins de 5 grammes de sucre. / © A.-C.P.

Si les importateurs et les industriels jugent que la consommation excessive de sucre est un problème, ils estiment que la taxe est malvenue à un moment où les prix sont déjà très élevés, puisque son coût va retomber sur les consommateurs.

Valérie Jean en est convaincue. Cette taxe « est délétère pour les prix » qu’elle va « forcément » faire augmenter et donc être « inflationniste ». Au final, ce sont les Calédoniens qui vont trinquer. Et, prévient la directrice administrative de Sullivan, membre du Syndicat des importateurs et distributeurs (SIDNC), « le montant sera le même, peu importe le produit, donc les petits prix vont particulièrement augmenter et cela va impacter les ménages les moins aisés ».

Autre problématique, le fait que cette taxe dite comportementale soit payée par les importateurs et les industriels. Une incohérence, relève Valérie Jean, qui doute de son efficacité. « Elle devrait être appliquée en magasin afin que les gens réalisent que puisque les produits sucrés ne sont pas bons, ils sont surtaxés. » S’il faut « faire quelque chose » pour diminuer leur consommation, poursuit la représentante du syndicat, la réalité est qu’il est « compliqué de bien se nourrir pour ceux qui ont peu de moyens, de trouver un aliment bon pour la santé qui soit accessible ».

ÉLARGIR L’ASSIETTE

Ce n’est pas la bonne méthode non plus pour la GBNC. Les boissons sucrées étant déjà assujetties au taux supérieur de la TGC depuis 2018, soit 22 %, le projet de loi voté par les élus au Congrès représente une « double taxe», d’après Dominique N Jung. « Ce n’est pas le moment, ajoute le président directeur général. Le panier de courses est cher, et l’évolution des prix est inquiétante. » Le plus important réside dans la capacité des industriels à se réorienter, à « changer structurellement le taux de sucre ».

Pas seulement dans les sodas, mais partout. Dominique N. Jung incrimine également « les sauces comme le ketchup, les céréales, les jus, etc., il ne faut pas cibler un secteur ». Il est favorable, à l’image des autres acteurs de la filière, à l’élargissement de l’assiette, une demande prise en compte par un amendement.

La Finc, Fédération des industries, partage la même vision dans le dernier Made In. « Il devient urgent de cibler le sucre là où il est, et ne pas risquer le report des consommateurs sur d’autres produits que ceux taxés. » La CPME aussi. La Confédération des petites et moyennes entreprises plébiscite une refonte complète du dispositif fiscal. « Nous préconisons que cette taxe soit intégrée à des travaux menés dans le cadre d’une loi de programmation fiscale. »

RÉDUIRE LA TENEUR EN SUCRE

La GBNC s’est préparée à l’instauration de cette taxe. La société travaille, depuis 2018, à réduire les teneurs en sucre de ses boissons. Mais changer de recette « ne se fait pas comme ça », et un à deux ans peuvent s’avérer nécessaires pour « trouver le bon mélange qui va plaire ». L’entreprise a donc embauché du personnel dédié à son laboratoire. Résultat, un Lipton pêche en contient 3 grammes contre 7 auparavant. Amigo est passé de 9,2 à 4,9 grammes. Seven up, Kick…

Dominique N. Jung l’assure : « 80 % de nos boissons sont en dessous de 5 grammes, et on va continuer ». Est-il remplacé par des édulcorants afin de préserver le goût ? Parfois, par de la stevia, un édulcorant naturel. « Ça dépend des recettes, précise Marie-Amélie Molia, directrice RSE (Responsabilité socié- tale des entreprises), quand on peut éviter, on évite. » C’est le cas des eaux aromatisées du Mont-Dore, sans sucre, sans édulcorant et avec des arômes naturels.

Ce que craint la GBNC, c’est de voir ses ventes diminuer. « La taxe pourrait nous faire perdre de la clientèle. » Le directeur général évoque 10 % de volume en moins. « Cela veut dire qu’il y a un risque sur l’embauche. On cherche l’argent, c’est une vision à court terme. » L’effort doit également porter sur la sensibilisation, insiste Marie-Amélie Molia. « On ne peut pas diaboliser les produits sucrés, tout le monde en mange, mais il ne faut pas boire trois bouteilles de Pepsi par jour, c’est sûr. » La responsabilité incombe aussi aux acheteurs, dont les comportements sont parfois excessifs et irresponsables, considère-t-elle, « parce qu’ils ne savent pas forcément ce qui est bon pour eux. Il y a une éducation à l’alimentation équilibrée et à la modération à faire ».

Anne-Claire Pophillat

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