Au congrès, deux conceptions se confrontent sur la taxe sucre

La taxe a été adoptée par 32 voix pour et 20 contre après 2 heures et demie de débat, sept ans après le vote à l’unanimité du plan Do Kamo (mars 2016), dont elle faisait partie. / © A.-C.P.

La motion préjudicielle déposée par l’intergroupe Les Loyalistes et le Rassemblement visant à reporter l’examen du projet de loi n’est pas passée mardi 21 novembre, au Congrès. La taxe sur les produits sucrés a été votée avec les voix des indépendantistes et de Calédonie ensemble.

Dans l’hémicycle, mardi, deux visions se sont vigoureusement affrontées. Si tous les élus s’accordent à dire que « le sucre est un véritable fléau », les moyens d’agir divergent. D’un côté, Françoise Suvé (Les Loyalistes) affirme qu’une simple taxe ne « résoudra rien » sans « une réelle politique de fond », qu’elle apparaîtra comme « un matraquage fiscal », « injuste » et « punitive », puisqu’elle affectera d’abord « les plus démunis qui ne disposent pas de moyens suffisants pour s’acheter des produits sains ».

Les qualificatifs ne semblent pas assez nombreux pour désigner cette mesure « hypocrite », qui « se pare de vertu pour mieux renflouer les comptes sociaux sur le dos des Calédoniens ». Françoise Suvé annonce alors le dépôt, par l’intergroupe formé avec Le Rassemblement, d’une motion préjudicielle afin de reporter l’examen du texte. L’élue appelle à « travailler ensemble » afin de définir un plan sucre global qui reposerait, entre autres, sur « les activités sportives et la baisse du prix des produits sains, la responsabilisation et l’accompagnement des industriels ». La proposition sera rejetée.

« NE PAS AUGMENTER LA FISCALITÉ »

Lors de la discussion sur le projet de loi, ses collègues lui emboîtent le pas. Philippe Blaise (Les Loyalistes) pointe du doigt le fait que la taxe « aggravera l’accès des gens à certains produits » comme les glaces et le chocolat, qui est déjà « le plus cher de la terre ». « On tombe dans le rendement sans vraiment d’impact vertueux », estime-t-il.

Nicolas Metzdorf (Les Loyalistes) insiste sur la nécessité de ne pas accroître les prix. « Notre philosophie politique est de ne pas augmenter la fiscalité. On dit deux choses : éducation et réglementation pour abaisser les taux de sucre. » Virginie Ruffenach (Le Rassemblement) relève des incohérences et des manquements dans le texte ‒ « qui n’aura aucun effet sur les habitudes alimentaires » ‒ et prône de rendre obligatoire l’étiquetage des produits pour une meilleure information des consommateurs.

« IL EST GRAND TEMPS D’AGIR »

De l’autre côté, les indépendantistes défendent une taxe qui représente un « outil de santé publique », un premier pas dans le combat contre le sucre. Elle vise deux objectifs, développe Omayra Naisseline (UC-FLNKS et Nationalistes), « consolider la politique de prévention et participer à l’équilibre des caisses du Ruamm ». « Nous encourageons le gouvernement à mettre en place une politique de santé scolaire », ajoute-t-elle. C’est une priorité, confirme Ithupane Tieoue (UNI), « on ne va pas encore sacrifier une génération et ne rien faire ».

Philippe Michel, dont le groupe Calédonie ensemble est à l’origine de la première mouture du texte sous le gouvernement Germain (avant celle de Santa puis de Mapou), l’a également soutenue. La taxe est en « débat au Congrès depuis sept ans avec les mêmes arguments ». La classe politique « est complice d’une situation où ce sont les femmes, les plus défavorisés et certaines ethnies qui trinquent le plus ». Surtout, Philippe Michel rappelle que la méthode, testée ailleurs, est la même que celle utilisée pour le tabac et l’alcool. « On joue d’abord sur les prix pour inciter les fabricants et les importateurs à diminuer les taux de sucre, et pour dissuader le consommateur d’aller vers ces produits nocifs pour la santé et qui génèrent des dépenses considérables pour le système. Il est grand temps d’agir. »

La taxe reste cependant perfectible, et il reviendra au gouvernement « de l’ajuster dans le temps pour la rendre aussi efficace et dissuasive que possible », de l’inscrire dans une politique plus large d’éducation et « d’incitation des industriels à baisser les teneurs en sucre », et éventuellement d’envisager de légiférer sur « la promotion et la publicité des produits sucrés », au même titre que pour l’alcool et le tabac.

Anne-Claire Pophillat

Intervenir dès l’école

Présente lors de l’examen du texte, Isabelle Champmoreau a mis l’accent sur l’importance de développer la prévention. « Seul 1 % des dépenses de santé y est dédié. » Surtout à l’école, avec la santé scolaire et le sport. Selon la membre du gouvernement en charge de l’éducation, à 6 ans, 45 % des enfants n’ont jamais consulté un dentiste et au moins 60 % ont une carie. Elle souhaite notamment mettre en place des visites médicales, accentuer les actions et doter cette politique « d’un budget spécifique pour les interventions dès le primaire ». « Avec 300 à 400 millions de francs, on pourrait améliorer de manière significative notre politique de santé et sport scolaire. »

 

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