« Le sucre ajouté, notre corps n’en a pas besoin »

Pour Dominique Megraoua, la priorité de santé publique de la Nouvelle-Calédonie est la lutte contre l’obésité. / © E.B.

Dominique Megraoua, médecin responsable du programme Diabète à l’Agence sanitaire et sociale, voit d’un bon œil la mise en place d’une taxe sucre dans un territoire touché de plein fouet par le fléau de l’obésité et les nombreuses pathologies qui en découlent. Pour lui, l’autorité publique doit aussi favoriser un environnement qui pousserait les Calédoniens « vers des modes de vie plus sains ».

DNC : Que pensez-vous de cette taxe ?

Dominique Megraoua : Elle est intelligente et donne un bon signal à la population : il y a des aliments de moins bonne qualité dans l’offre alimentaire. C’est recommandé depuis plus d’une dizaine d’années par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle est instaurée un peu partout dans le monde. On voit que ça marche : elle est légitimée par le fait que ce sucre ajouté, notre corps n’en a pas besoin.

Il est là pour répondre à quelque chose d’essentiel, le plaisir, mais qui doit être modéré parce que ce plaisir passe par le cérébral, ce qu’on appelle le circuit de récompense. Ce circuit n’est pas mature chez les enfants et les mauvaises habitudes se prennent dès l’enfance. Toutes les sucreries viennent stimuler leur cerveau par le biais de la dopamine et instaurent définitivement cette appétence pour le sucre.

Comment analysez-vous la démarche ?

Cette taxe cherche à faire reculer la consommation, mais elle va aussi pousser les industriels à reformuler leurs produits parce que s’ils contiennent moins de sucre, ils seront moins taxés. Les industriels feront toujours autant de bénéfices même en formulant des produits de meilleure qualité. S’ils diminuent les quantités de sucre petit à petit, les consommateurs ne s’en rendront même pas compte. Ils vont se déshabituer à ce goût “sur-sucré”. C’est donc un message important qui est lancé.

Il faut davantage réglementer, encadrer, taxer, mais aussi subventionner. On dit à tout le monde de manger des fruits et légumes mais ils coûtent assez chers. Il faut encourager des filières. Améliorer les connaissances de la population sur les modes de vie sain c’est intéressant, mais on sait qu’elle n’est pas libre de ses choix. Ses choix sont opérés dans un environnement et donc le but des autorités c’est de l’améliorer pour que les Calédoniens puissent faire des choix plus sains. 90 % des maladies chroniques sont liés au mode de vie.

Aujourd’hui, 50 000 Calédoniens sont pris en charge en longue maladie, mais 100 000 souffrent d’obésité.

Pourquoi ces sucres ajoutés sont-ils néfastes pour notre santé ?

Ces sucres sont des calories vides. Ils n’apportent absolument aucun nutriment : pas de vitamines, pas de sels minéraux, pas de fibres, pas d’oligoélément. Ces calories vides ne font que nous faire grossir. Le marché de l’alimentation est un marché qui n’est pas tellement régulé. Le prix de vente ne tient pas compte des méfaits sur la santé. Les mauvais aliments ne coûtent pas cher et les bons aliments coûtent cher. Les plus déshérités se tournent vers la malbouffe et vont payer le plus lourd tribut de ces pathologies de surcharge, avec un gradient social de la maladie : obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires, cancer.

Les Calédoniens sont particulièrement touchés par ces maladies…

Aujourd’hui, 50 000 Calédoniens sont pris en charge en longue maladie, mais 100 000 souffrent d’obésité. La priorité de santé publique de la Nouvelle-Calédonie, c’est la lutte contre l’obésité. Il y a 38 % d’obésité contre 17 % dans l’Hexagone. C’est plus du double. En provinces Nord et Îles, il y en a plus qu’en province Sud. Il y a aussi un gradient communautaire, les Polynésiens plus que les Mélanésiens, plus que les Caucasiens. Et le gradient le plus marqué, c’est le genre. On a été obligé de changer la terminologie.

Il y a deux types d’obésité : gynoïde, celle des femmes qui stockent au niveau des fesses et des hanches, et androïde, celle que les hommes stockaient au niveau du ventre. Sauf qu’aujourd’hui, il y a deux fois plus de femmes qui stockent au niveau du ventre, donc on ne peut plus employer ce vocabulaire. On parle d’obésité abdominale. C’est assez spécifique à l’outre-mer. Cela interroge sur la place de la femme dans la société, ses modes de vie, les consommations…

Est-ce que ce phénomène tend à s’aggraver ?

Ces 25 dernières années, les maladies longue durée ont été multipliées par cinq, ce qui est colossal. On n’a pas les moyens de suivre financièrement et même humainement. L’alimentation, c’est 70 % de responsabilité et le sucre, c’est au moins la moitié.

Les choses vont continuer à s’aggraver avec l’arrivée sur le marché d’autres produits ultra-transformés, encore peu consommés sur le territoire et qui ont déjà commencé à faire des dégâts. Les ennemis à venir sont les perturbateurs endocriniens, le fructose et les plats préparés. Ils sont déjà présents en province Sud, mais ils vont encore plus pénétrer la Nouvelle- Calédonie.

Il faut éplucher les étiquettes. Les sucres ont une trentaine de noms différents.

Où trouve-t-on les sucres cachés ?

Des sucres ajoutés, il y en a dans toutes les préparations, même les plus salées. On ne s’en doute pas. Il faut éplucher les étiquettes. Les sucres ont une trentaine de noms différents. Les industriels ont cherché des alternatives en se tournant vers les édulcorants. Ils ont diminué les quantités de sucre, par exemple dans les sodas.

Les trois principaux édulcorants, que sont l’aspartame, l’acésulfame et le sucralose, provoquent plus d’obésité et de diabète que les boissons classiques. Ces boissons continuent à jouer sur le centre cérébral et abîment le microbiote. Elles vont envoyer de mauvais signaux au cerveau et entraîner une surconsommation. Donc, c’est pire que mieux.

Quelles peuvent être les alternatives ?

Dans l’idéal, il faudrait acheter des produits bruts et les cuisiner soi-même en attendant que les industriels revoient leur formulation. Il faut limiter les féculents raffinés comme le riz blanc, le plain blanc, les pâtes. Les alternatives aux fruits et légumes frais sont les conserves et le surgelé. Pour le goût sucré qu’on pourrait réclamer en fin de repas, il suffit de manger un fruit. C’est un excellent produit, prêt à consommer.

Propos recueillis par Edwige Blanchon

 

Dans notre dossier

Au congrès, deux conceptions se confrontent
La motion préjudicielle déposée par l’intergroupe Les Loyalistes et le Rassemblement visant à reporter l’examen du projet de loi n’est pas passée mardi 21 novembre, au Congrès. La taxe sur les produits sucrés a été votée avec les voix des indépendantistes et de Calédonie ensemble. →

Ce que prévoit la loi
Produits concernés, montant de la taxe en fonction de la teneur en sucre, affectation de la fiscalité perçue… Le point sur le contenu du texte adopté par le Congrès. →

Le sucre dans le viseur
Nous l’aimons un peu, beaucoup, passionnément et parfois même à la folie. Le sucre, ce produit si réconfortant, peut se transformer en un véritable poison. Le problème, c’est qu’il se trouve partout, même là où on ne le soupçonne pas : plats préparés, jus de fruits, sauces, céréales, etc. →

Le diabète, combat d’une vie
Malade depuis bientôt 30 ans, Jean-Philippe Leroux s’est mis au service des autres, sensibilise aux dangers du sucre et aide les diabétiques à mieux vivre leur affection. →

Sucre : une taxe « inflationniste »
Si les importateurs et les industriels jugent que la consommation excessive de sucre est un problème, ils estiment que la taxe est malvenue à un moment où les prix sont déjà très élevés, puisque son coût va retomber sur les consommateurs. →