Dialogue sur la santé mentale dans les Îles

Rencontres organisées à Maré dans le cadre de l’enquête. © DR

Dans le cadre du déploiement du schéma de bien-être et de santé mentale en Nouvelle-Calédonie, la province des Îles a mené en 2023 une étude auprès des acteurs de la société civile. Elle en fait actuellement une restitution.

« Pour vous, qu’est-ce que la santé mentale ? », « Comment repérez-vous les signes de mal-être ? », « Que signifie un état de bien-être ? »… Ces questions ont été posées à 150 représentants des Îles : coutumiers, religieux, soignants, éducateurs, associatifs, etc. Des personnalités bien placées pour évoquer les conséquences sociétales d’une telle problématique, les ressources, les manques, et sur lesquelles il sera opportun de s’appuyer au moment de faire un travail de terrain.

Pour réaliser cette enquête, la Dacas, direction de l’action communautaire et de l’action sanitaire, s’est tournée vers Suzanne Devlin, coordinatrice du schéma de santé mentale pour le gouvernement (2018-2023), consultante en management et stratégie de promotion du bien-être et de la santé mentale. Accompagnée du Dr Bettina Teissedre, elle a pu faire parler son questionnaire.

« Les loyaltiens [ont] une propension à évaluer leur santé mentale à travers le corps. »

ALTRUISME

On considère qu’une personne sur cinq aura un trouble de santé mentale au cours de sa vie, les plus fréquents étant les troubles anxieux et dépressifs. Les Îles ne sont pas épargnées. « Mais pour beaucoup, la santé mentale est associée à une pathologie, à une maladie », observe Suzanne Devlin. Les questions ont été élaborées de manière à démystifier le sujet. Autre aspect intéressant, elles visaient à intégrer le clan, la collectivité, la province, le territoire. « On a pu sortir des informations très spécifiques, les risques propres à un groupe ».

On trouve chez les loyaltiens, une propension à évaluer leur santé mentale à travers le corps, une approche holistique. « Ils vont faire plus rapidement le lien entre des signaux corporels et le mal-être quand d’autres auront tendance à les ignorer. » Il ressort aussi une approche altruiste, collective de la thématique. « Ils vont être plus attentifs à observer ou détecter un problème chez les autres plutôt que sur eux-mêmes. » En particulier dans la famille, pilier fondamental. « Ça nous montre un ancrage et des pistes intéressantes. De quoi la famille a besoin ? Sait-elle quels sont les signes de mal-être, quand alerter ? »

La communauté, sans surprise, est aussi très importante, ainsi que la culture et la coutume. « Il y a une attente que les coutumiers puissent écouter, soutenir, avec des défis qui ont beaucoup évolué : internet, le harcèlement, les addictions. »

Il y a aussi une envie d’occasions de partage, de dialogue, de loisirs (pas que coutumiers). Une forme très importante de soutien social. « Je fais du foot avec les collègues le jeudi. S’il m’arrive quelque chose, eux aussi vont pouvoir être là et on va se voir pour repeindre l’école, planter des fleurs. » Pour Suzanne Devlin, il est possible en se promenant sur un territoire, avant même de rencontrer les gens, de détecter s’il y a ou non de bonnes conditions de santé mentale.

QUELLES PROTECTIONS, QUELS RISQUES ?

La culture et la coutume sont considérées comme des éléments protecteurs pour la santé mentale. La spécialiste cite aussi le contact avec la nature, les espaces de silence pour s’apaiser, l’alimentation et le fait d’avoir des contacts de proximité. « Pas besoin de faire des grandes distances pour trouver des gens disponibles. »

Mais comme partout, il existe des facteurs de risque : les addictions, le manque de soutien spécialisé, de professionnels formés – « un psychologue dans les îles, pas de service de psychiatrie adulte » – et surtout les conflits. Suzanne Devlin rappelle que l’étude du psychiatre Benjamin Goodfellow sur le suicide (2019) avait montré que le premier facteur de passage à l’acte était les conflits (chez les jeunes, la rupture amoureuse).

« L’idée maintenant est que les suggestions émergent de la société civile, explique Marie- Rose Waïa, directrice de la Dacas. Les institutions seront là pour les accompagner comme nous le faisons sur la santé bucco-dentaire, la santé sexuelle ou les addictions, sur de petites actions, avec les moyens dont nous disposons. » Il pourrait s’agir d’organiser des ateliers d’intelligence collective.

79 % des personnes interrogées ont indiqué que leur perception de la santé mentale s’était modifiée au cours de l’entretien. 87,5 % souhaiteraient faire partie d’un groupe de travail sur cette problématique. Pour Suzanne Devlin, l’objectif est en partie atteint. « Cela montre qu’avec peu de chose on peut avancer. Ces personnes peuvent agir, animer des activités, soutenir leur prochain… sans être des professionnels de la santé. »

Et quand les problèmes sont là, « les prendre tôt permet d’éviter des décompensations. Sachant qu’aujourd’hui il y a des outils, l’hypnose, la PNL, etc., et que les antidépresseurs ont évolué ». Marie-Rose Waïa est attachée à cette question de la santé mentale. « Malgré tous les obstacles, il est important de trouver la ressource en nous pour que la vie reste belle à nos yeux. »

Si vous êtes inquiets pour vous-même ou pour un proche, vous n’êtes pas seul. Contactez SOS écoute au 05 30 30 (numéro gratuit, 6 jours/ semaine).

 


DES JEUNES PLUS HEUREUX

Selon le Baromètre santé jeunes 2019 (10-18 ans) de l’Agence sanitaire et sociale (ASS-NC), les jeunes des Îles Loyauté étaient plus nombreux à se déclarer « très heureux » par rapport aux deux autres provinces (48,6 % dans les Îles, 34,6 % dans le Nord, 28,9 % dans le Sud). Mais les chiffres de jeunes se sentant malheureux ou très malheureux étaient quasiment identiques (7,5 % et 1,8 %). Les îliens étaient aussi les moins nombreux à avoir eu des idées suicidaires (14,2 % contre 18,6 % pour le Nord au plus haut) ou avoir commis des tentatives de suicide (8,1 % contre 12,4 pour le Nord).

 


DES ADULTES MOINS DÉPRESSIFS
MAIS DES CHIFFRES EN AUGMENTATION

Selon le Baromètre santé adulte 2022 (18-64 ans) de l’ASS-NC, la prévalence d’un épisode dépressif majeur avait augmenté dans les trois provinces en 2022 par rapport à 2015, mais il diminuait avec l’âge contrairement au passé et augmentait avec la jeunesse. Il était de 8,9 % dans les Îles, 11, 4 % dans le Nord et 12 % dans le Sud. La prévalence des tentatives de suicide suivait le même ordre (7,6 %, 9,6 % et 10,5 %). Elle avait néanmoins augmenté aux Îles et dans le Nord et stagné dans le Sud.

 

Chloé Maingourd