Les associations constatent une « véritable paupérisation »

Les épiceries solidaires de Saint-Vincent-de-Paul ont enregistré plus de passages l’an dernier. / © B.B.

Malgré leurs efforts et leur mobilisation sans faille, les associations d’aide aux plus démunis relèvent ce triste constat : il n’y a jamais eu autant de personnes dans le besoin. Et les profils ont bien changé.

Il y a ceux qui dorment dans des tentes. Dans des voitures. Sur des marches ou sous les ponts. Il y a celui que tout le monde connaît, le « clochard exubérant ». Et puis il y a les autres. Les « invisibles ». Ces personnes que l’on croise quotidiennement mais dont on ne connaît pas l’histoire.

Toutes partagent deux choses en commun : la rue et la souffrance. Les associations se donnent corps et âme pour leur venir en aide. Et depuis quelque temps, leur constat est sans appel. « Il y a une forte augmentation de la demande », remarque Aurélien Lamboley, directeur de l’association L’Accueil, qui prend en charge le public le plus vulnérable.

Les chiffres grimpent depuis dix ans. En 2011, Macadam partage voyait passer environ 285 personnes sans domicile fixe. En 2022, elle en a accueilli 508. « Ce qui nous inquiète, c’est que l’année dernière à la même époque, on avait reçu 33 nouvelles personnes. Là, on est déjà à 73. Avoir ces chiffres mi-avril, c’est hallucinant », s’alarme Aurélien Lamboley.

Les calculs de la Société Saint-Vincent-de-Paul sont tout aussi parlants. La fréquentation dans leurs trois épiceries solidaires est en hausse depuis l’an dernier. « Avant, on comptait 15 000 passages par an. En 2022, on en a enregistré 24 000 », note Elisabeth Gau, la présidente. La précarité se répand un peu plus sur le territoire et touche désormais des profils bien distincts.

DU SDF À « MONSIEUR TOUT LE MONDE »

Chez les sans-abris qui fréquentent le centre de Doniambo, beaucoup sont arrivés d’autres provinces pour chercher du travail à Nouméa. « Les personnes se retrouvent le bec dans l’eau et viennent taper à notre porte pour obtenir certaines aides pour se réinsérer, que ce soit socialement ou professionnellement », explique Aurélien Lamboley.

Qui sont les personnes sans domicile fixe ?

En 2019, l’association L’Accueil a réalisé une étude avec la mairie de Nouméa afin de définir qui sont les sans domicile fixe.

Pour 66 % d’entre eux, le premier facteur qui les avait emmenés à se marginaliser étaient les conflits familiaux.

 

Il y a ceux qui fuient les conflits familiaux, ceux qui sont endettés, ceux qui ont eu un accident de parcours… autant de situations différentes qui amènent aux mêmes difficultés. Récemment, un autre facteur s’est rajouté : la vie chère.

Les travailleurs redoutent désormais la fin du mois. « On constate une véritable paupérisation de la population. On prend en charge des classes moyennes », rappelle Aurélien Lamboley, qui gère aussi le centre d’accueil Les Manguiers. « On remarque qu’il y a une autre couche sociale qui se greffe. Dans nos épiceries, on a des personnes au SMG qui essayent d’avoir des produits moins chers. Des gens qu’on ne voyait pas forcément auparavant », révèle Elisabeth Gau.

Saint-Vincent-de-Paul organise régulièrement des passages solidaires en tribu, en province Sud, en province Nord pour vendre des vêtements et des meubles. Là encore, la présidente constate un net ralentissement depuis l’an dernier. « Leurs besoins n’ont pas changé mais ils n’arrivent plus à acheter même une armoire à 3 000 francs. »

La solidarité familiale se fait aussi de plus en plus rare. Avant, les familles pouvaient aider de manière ponctuelle. Ce n’est quasiment plus le cas. « Ce n’est pas l’envie qui manque, mais elles n’ont pas la capacité financière d’assumer d’autres charges », confie Aurélien Lamboley.

« L’ÉTAT NE DONNE PAS DES DIZAINES DE MILLIONS POUR RIEN »

Le Secours catholique a implanté une antenne à Koné pour être au plus près des besoins des populations. Car pour Jean-Yves Lemenant, son président, la « situation n’est pas rose ». L’arrêté du haut-commissaire du 18 octobre 2022, qui porte sur l’attribution d’une subvention aux trois provinces au titre de l’aide alimentaire, en est la preuve.

125 millions de francs attribués à la province Sud, 45 millions à la province des îles Loyauté et 80 millions à la province Nord. « L’État ne donne pas des dizaines de millions pour rien. »

Le Secours catholique et d’autres associations caritatives ont été choisis par la province Nord pour redistribuer la subvention d’ici la fin de l’année. Les livraisons ont déjà débuté sur la côte Est pour prêter main forte aux plus démunis.

Edwige Blanchon

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