Samuel Gorohouna : « Avoir des mines n’est pas suffisant »

« Certains considèrent que la solidarité en tribu et dans le monde kanak est une soupape qui fait que la marmite n’explose pas », note Samuel Gorohouna. / © UNC

Le maître de conférences à l’Université de la Nouvelle-Calédonie (UNC) estime que la côte Est a besoin de diversifier son économie. Il note que les inégalités ont globalement reculé ces dernières décennies, même s’il reste beaucoup à faire.

DNC : Les inégalités sont une réalité connue décrite régulièrement. Quels enseignements nous apportent cette étude plus fine ?

Samuel Gorohouna : On ne disposait pas d’études des inégalités par commune. Par province, on avait l’indice de Gini (qui mesure les écarts de richesse, NDLR). On a désormais des éléments plus précis, et c’est forcément un apport intéressant.

Je peux comprendre ceux qui diront que l’on savait l’existence des inégalités. Mais entre se douter d’une réalité et la démontrer, il y a quand même une différence très importante. Chiffres à l’appui, l’étude de l’Isee démontre que la Nouvelle-Calédonie est découpée en plusieurs zones, et de façon impressionnante.

Que vous inspire cette fracture entre côtes Est et Ouest ?

Je me dis qu’il y a quand même beaucoup de communes minières sur la côte Est, de Ponérihouen à Yaté. Cela montre bien qu’avoir des mines, ce n’est pas suffisant. On exploite le plateau de Thio depuis un siècle et la commune reste parmi les plus pauvres.

Car évidemment, le développement économique dépend d’autres choses, des politiques publiques en particulier, de l’aménagement du territoire, etc. Il reste des communes où la diversification n’a pas été faite, ou trop faiblement. Cela donne à réfléchir.

On exploite le plateau de Thio depuis un siècle et la commune reste parmi les plus pauvres.

 

Faut-il davantage miser sur l’agriculture ?

Premièrement, il faut noter un point : l’étude montre la vivacité de l’autoconsommation. Ensuite, on peut certainement continuer de développer l’agriculture : les fruits et légumes sont de très bonne qualité, et les populations pratiquent le bio d’elles-mêmes depuis des générations. Cette production gagnerait à être mieux connue, mieux distribuée.

Mais il faut garder à l’esprit que l’apport de richesse restera moins important que celui des activités d’industrie, de commerce, de services. Sans transformation de la production agricole, on n’y arrivera pas, on ne pourra pas lisser l’activité sur l’année : soit on n’a pas de mangues, soit elles pourrissent par terre…

Il faut gagner en compétences, en technicité sur cette partie de la transformation des produits, car c’est ce qui permettra de réduire les écarts de richesse.

L’étude de l’Isee est une photographie prise en 2020. Comment analysez-vous l’évolution des inégalités ?

Il y a quand même une évolution positive. Dans le cadre d’autres études, on a vu qu’il y a une réduction des inégalités significative entre les provinces en termes d’équipement, d’accès à l’électricité, à la voiture, au téléphone…

La zone de VKP est d’ailleurs classée dans la même catégorie que le Grand Nouméa. Vingt-cinq ans après les décisions, on voit que l’installation d’une usine, accompagnée par des politiques publiques, ça marche.

Sur la côte Est, les écarts restent importants. Il y a encore beaucoup à faire pour l’Est et pour les Îles, ça apparaît clairement avec une grille de lecture monétaire. Mais on ne peut pas faire en trente ans ce que Nouméa a fait en cent ans.

On exploite le plateau de Thio depuis un siècle et la commune reste parmi les plus pauvres.

 

Quel est la clé du développement économique dans les zones les moins attractives ?

Ce qui fait que les populations restent et se fixent, c’est l’activité. Quand on crée une boulangerie à Nouméa, on sait que le marché est là. Quand on le fait à Pouébo, avec une population de 2 000 personnes, avec un éloignement et le risque n’est pas du tout le même.

Il y a évidemment quelque chose de structurel qui explique le fait que le privé investisse peu dans ces territoires. On est obligé d’avoir un investissement public fort pour pouvoir développer d’autres activités, pour inciter le privé à y aller.

Mais faire émerger des activités qui soient rentables reste compliqué. On ne va pas faire une station-service à Poum juste parce que qu’il en manque une. Il faut que l’entreprise gagne de l’argent, c’est toute la difficulté. Et malheureusement, on a investi dans des sociétés d’économie mixte – Nord avenir, Promosud ou la Sodil – pour un résultat mitigé après plusieurs décennies. Il n’y a pas de baguette magique, cette question reste très difficile.

Propos recueillis par Gilles Caprais

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