Le territoire coupé en deux par la pauvreté

Dans les boutiques de Saint-Vincent-de-Paul, les plus précaires trouvent des yaourts, des légumes, des vêtements à très bas prix. / © B.B.

La dernière étude de l’Institut de la statistique et des études économiques (Isee), consultable en ligne, pointe du doigt des disparités entre les côtes Ouest et Est, les trois provinces et les 33 communes.

Que dit l’étude « Pauvreté et inégalités » de l’Institut de la statistique et des études économiques (Isee) ?

Le sous-titre du rapport jette les bases : « La pauvreté revêt des dimensions différentes selon les territoires ». Les taux de pauvreté s’avèrent beaucoup plus élevés dans le Nord et les Loyauté en 2020.

Le revenu médian (la moitié de la population gagne moins, l’autre moitié gagne plus) est plus de deux fois supérieur en province Sud (195 400 francs) que dans les Îles (97 200). Une personne sur deux y vit en dessous du seuil de pauvreté fixé à 87 950 francs mensuels. Dans les Îles marquées par le chômage, le manque d’emploi et les migrations économiques vers la Grande Terre, 10 % de la population vit avec moins de 18 000 francs par mois.

Les inégalités s’observent-elles seulement entre les trois provinces ?

Non, les disparités économiques ne se résument pas qu’à cette opposition provin- ciale. « Il y a un trait qui sépare la Nouvelle-Calédonie en deux, explique Olivier Fagnot, directeur de l’Isee. Dans l’Est et les Îles, on trouve les niveaux de vie les plus modestes et donc les taux de pauvreté les plus importants. »

À Canala, Houaïlou ou Poindimié, plus de 38 % de la population ont moins de 87 950 francs par mois. À Hienghène ou Ponérihouen, ils sont plus de 48 %. À l’opposé, les inégalités sont moins marquées sur la côte Ouest et le Sud. À l’exception de Nouméa, où les 10 % les plus riches touchent

8,6 fois plus que les 10 % les plus modestes. Pouembout, Koumac, Koné et l’agglomération du Grand Nouméa, qui concentre 80 % des emplois, apparaissent plus aisées. Le niveau de vie médian atteint 198 000 francs, 22 000 francs de plus que celui de l’ensemble du territoire. De manière générale, les communes minières sont moins impactées par la pauvreté.

Comment ce rapport a-t-il été réalisé ?

Par pauvreté, il faut entendre pauvreté monétaire relative, c’est-à-dire le revenu disponible par chacun à la fin du mois. Ce calcul mesure « un niveau de pauvreté en ressources », détaille l’institut. Elle ne renvoie à aucune « notion d’exclusion, de marginalisation, de privation ou de renoncement à ses besoins ».

La pauvreté monétaire relative permet d’établir le niveau de vie d’un ménage, calculé en divisant son revenu par le nombre de personnes. Est rajoutée une estimation de l’autoconsommation (chasse, pêche, potager) établie à partir des enquêtes sur les budgets des familles. « Nous prenons en compte toutes les ressources des ménages, explique Olivier Fagnot. Tout ce qui a été déclaré au travers des fichiers administratifs que ce soit la Cafat, les services fiscaux, la Caisse locale des retraites et toutes les prestations sociales qui ont été versées. »

À partir de ces résultats, l’Isee calcule le taux de pauvreté qui correspond au nombre de personnes en dessous du seuil de pauvreté par commune, par province et sur tout le territoire.

Quelles en sont les limites ?

Le gros défaut du rapport de l’Isee repose sur les données utilisées. D’abord, elles datent de 2020. Ensuite, l’étude s’appuie sur des « statistiques un peu froides » de l’avis d’Olivier Fagnot. « C’est une seule facette de la pauvreté », précise le directeur de l’Isee.

Il n’est ni question de pouvoir d’achat ou de propriété, ni de travail au noir ou d’entraide. « On perd une partie de la réalité parce qu’on s’intéresse à ce qui est déclaré, insiste-t-il. Nous ne prenons pas en compte la solidarité intrafamiliale ou clanique, ni les aides informelles entre les personnes. Dans certains endroits, cela peut s’avérer un complément de revenus important. »

Pourquoi est-il intéressant ?

Le dernier rapport de l’Isee complète les budgets des familles sortis en 2008 et 2019. « L’étude s’intéresse à des niveaux géographiques fins », rappelle le directeur.

Contrairement aux autres publications sur le sujet, l’étude sur la pauvreté ne repose pas sur un échantillon de personnes interrogées sur leurs habitudes de consommation et de dépense. « Au mieux, on arrivait à des statistiques par province avant. On peut maintenant sortir des taux de pauvreté par commune. »

L’Isee tente même de traduire les différences provinciales et de modes de vie avec des seuils de pauvreté provinciaux. Cet outil d’analyse géographique sera renouvelé tous les ans.

Brice Bacquet

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