[Dossier] Il y a plus d’un siècle, l’épopée du cacao

L’accès aux photographies d’époque est compliqué. Ici, un cliché de la plantation de Louis Peyrolle à Santo, en 1932. Le propriétaire, qui s’installera en Nouvelle-Calédonie à la Ouenghi, a déclaré, lors d’un concours agricole à Voh en 1931, que « les cabosses ne laissaient rien à désirer par rapport à celles de l’archipel néo-hébridais ». © Archives de Nouvelle-Calédonie

Inspirés par l’aventure néo- hébridaise au début du XXe siècle, des planteurs ont tenté leur chance en Nouvelle-Calédonie dès 1912, avant que le cacao ne retombe dans l’oubli un peu plus de deux décennies plus tard. Un bulletin de la Société d’études historiques retrace cette expérience.

L’épopée fut courte. À peine plus d’une vingtaine d’années, d’après les recherches de l’historien Luc Legeard dans Du cacao aux Nouvelles-Hébrides et en Nouvelle-Calédonie, publié dans le bulletin trimestriel n°150 de la Société d’études historiques en 2007. Un des rares documents accessibles sur le sujet. Si quelques souvenirs familiaux et témoignages ont traversé les époques, près de 100 ans plus tard, cet épisode reste largement méconnu.

Davantage de données existent sur les Nouvelles-Hébrides, qui ont servi de laboratoire pour l’exploitation des cacaoyers, démarrée au début du siècle dernier, notamment par les colons français. La côte Est de Santo et les plateaux de Mallicolo (ancienne Malekula) s’y prêtent particulièrement. Le Criollo et le forastero sont les deux variétés plantées. La production démarre vraiment en 1910 et atteint son maximum en 1927 avec 2 325 tonnes. En 1924, l’hebdomadaire Le Bulletin du Commerce de Nouvelle-Calédonie estime que la culture du cacao est celle qui « est appelée à se développer davantage », « son rendement à l’hectare étant plus intéressant que les autres produits ».

Neuf tonnes en 1914

Sur le territoire, quelques tentatives ont été menées à Voh et Ponérihouen, indique Luc Legeard. Et ce sont les forges françaises de l’Océanie, établissement Massoubre, situées baie de la Moselle à Nouméa, qui construisent les séchoirs à fèves que certains propriétaires de plantations néo-hébridaises achètent. Mais, les expériences de leurs voisins du Pacifique incitent des « colons entreprenants » à s’investir dans « cette culture de choix », qui peut se coupler avec celle du café (alors ravagé par la sécheresse et une maladie). Des semences sont demandées au syndicat agricole de Port-Vila. Trois cents cabosses sont introduites en novembre 1912. Face à l’enthousiasme suscité, la Chambre d’agriculture incite à la prudence et recommande d’abord de réaliser « de nombreux essais », afin de « déterminer si réellement il peut y avoir quelque chance de succès pour le cacao sous notre climat ». Neuf tonnes sont récoltées en 1914. La Première Guerre mondiale marque un coup d’arrêt à cet essor qui semble prometteur.

Un an plus tard, le chocolat, « réservé aux armées, manque à Nouméa », rapporte Luc Legeard. Les affaires ne reprennent qu’à la fin du conflit. Quelques années plus tard, mentionne Le Bulletin du Commerce en 1926, les cultivateurs calédoniens demandent à pouvoir bénéficier d’une aide sous la forme d’une prime, 1,50 franc par pied de cacao. Néanmoins, « la culture des cacaoyers reste isolée et à l’initiative de colons dynamiques ».

En 1930, Charles Jacques, rédacteur de la Revue Agricole, écrit que « l’œil est frappé par les jolis tons orange et rouge des cabosses qui abondent » dans la région de Hienghène. Au concours agricole de la commune cette année-là, « monsieur Lapetite reçoit le 1er prix pour sa production de cacao et monsieur Mitride le second », relève Luc Legeard. En 1931, à Voh, deux prix sont remis à la famille Manauté, poursuit l’historien.

Né la décennie suivante, Marcel Manauté se souvient : « Marius Jocteur, qui était de la famille de ma mère, avait une plantation aux Nouvelles-Hébrides et il avait donné des graines à mon père. Il y avait deux variétés, des cabosses jaunes et mauves. » La famille travaille le café. « Le cacao, c’était pour la consommation personnelle. On le cueillait quand le cœur nous en disait et que nous avions le temps. On en faisait du chocolat en poudre que nous mettions dans notre lait le matin. C’était très bon ! », témoigne Marcel Manauté, dans un sourire.

Le déclin

La baisse du cours du cacao depuis quelques années s’aggrave. Et les acheteurs s’intéressent à celui venu de la côte occidentale de l’Afrique : Cameroun, Togo, Côte d’Ivoire. Les stocks sont plus importants, les prix plus compétitifs. Aux Nouvelles-Hébrides aussi, un « abandon progressif » se fait sentir, à la suite d’un cyclone dévastateur en 1928, suivi d’un second en 1933. L’épuisement des sols et le manque d’entretien sont également responsables de la diminution des rendements, note Luc Legeard. Si la Seconde Guerre relance momentanément la production ‒ « les exportations se font alors exclusivement vers l’Australie » ‒, celle-ci chute de nouveau après.

En 1952, l’archipel n’exporte plus que 187 tonnes. Les rongeurs, perruches à tête bleue, punaises des cabosses et la maladie noire ‒ phytophthora ‒ font d’importants dégâts. En Nouvelle- Calédonie, « le cacao semble oublié ou à peu près. Il se vendait 7 francs le kilo en 1928 » et « seulement 1,60 franc en avril 1934 ». Seuls vestiges de cette époque, les cacaoyers sauvages qui subsistent en Brousse.

Anne-Claire Pophillat