[DOSSIER] Coutumes et société, quelles places pour les femmes ?

Pour faire face à l’évolution de la société, « les premiers échanges à avoir, c’est envers nos femmes, note le sénateur Sinewami (ci-dessous), pour savoir ce qu’elles attendent de nous ? ». © Y.M.

Depuis une douzaine d’années, les aires coutumières s’interrogent sur le sujet de l’égalité entre les genres. Aujourd’hui, rien n’empêche une femme d’occuper une place dans les institutions coutumières. Les violences à leur encontre sont fermement condamnées. Une réflexion plus profonde concerne l’avenir de la structure familiale.

« La société kanak est une société patriarcale. Son système social fonctionne à partir d’une transmission des droits, des pouvoirs et des responsabilités, basée sur l’homme. » Le point 56 de la charte du peuple kanak est extrêmement clair sur qui a « autorité sur la terre ». Mais la femme est « l’être sacré qui donne la vie », « source de fertilité, de nouvelles alliances, le lien entre les clans, les générations. Elle est la valeur absolue pour la paix et la prospérité » (article 60).

Hippolyte Sinewami-Htamumu, sénateur coutumier et grand chef de La Roche, évoque également ce qui est lié au clan maternel et qui régit toute la vie de l’enfant, « c’est dire la dimension qu’elle occupe ». C’est pourquoi, dit-il, questionner la place de la femme dans la culture peut surprendre ou gêner.

Hippolyte Sinewamin-Htamumu.© C.M

Dans les institutions coutumières

Pourtant, leur rôle pourrait être plus important au sein des instances décisionnelles comme l’avait défendu Dewe Gorodey en son temps. Le sénateur, membre de la commission C8 qui porte ces réflexions, note que « les femmes veulent être actrices au niveau de la coutume, des institutions, figurer dans les commissions ». Elles sont déjà particulièrement impliquées au niveau associatif.

La première « ouverture » officielle est intervenue au mois de mars 2022. Pour la première fois, le Sénat organisait la Journée internationale des droits des femmes et, à cette occasion, l’assemblée a annoncé être prête à voir siéger des femmes. Le fruit d’une longue réflexion au sein des aires. « Il n’y a ni frein, ni obstacle pour que nous ayons demain une sénatrice au niveau des conseils et du Sénat coutumier », déclarait alors aux Nouvelles Calédoniennes, Hippolyte Sinewami-Htamumu, qui réitère ses propos aujourd’hui.

Dans les faits, il a existé ou existe seulement quelques exemples de femmes chefs de clan « à Touho » (Paicî-Camuki) ou « dans l’aire Hoot ma Whaap », selon le Sénat. Hippolyte Sinewami-Htamumu se souvient cependant que les femmes ont toujours participé à la vie coutumière. « Quand mon père n’était pas là pour emmener une coutume, c’est maman qui faisait. Donc on a toujours été ouvert, ce n’est pas interdit. »

Il rappelle le processus de désignation des sénateurs : discussions familiales, présentation d’un candidat par le clan pour l’aire coutumière et présentation par la chefferie au conseil coutumier, puis représentation tournante. Des femmes peuvent donc être désignées, mais cela doit venir de la base. « Une fois que c’est dans le conseil coutumier, on ne peut rien dire. »

Le Sénat a proposé en septembre dernier de faire évoluer le mode de désignation des présidents d’aire et des sénateurs vers un système électoral basé sur un corps de grands électeurs (chefs de clan, présidents des conseils, chefs, grands chefs) avec des candidatures approuvées par les familles, clans, tribus et districts. Ce processus serait-il plus à même de favoriser la nomination de femmes qui ne voteraient pas ?

Au sein de la société économique

Plus profonde encore est la réflexion sur la vie de la famille, en particulier dans les villes. « Désormais, pour avoir suffisamment d’argent, payer le courant, l’eau, à manger, la scolarité des enfants, les deux parents doivent travailler, ce qui a radicalement déstabilisé notre mode de vie », expose Hippolyte Sinewami-Htamumu. Conséquences : « personne à la maison, des parents fatigués le soir, une éducation qui en pâtit ».

D’après le sénateur, l’émancipation de la femme dans le monde du travail est soutenue. « Son mari et son clan l’accompagnent. C’est une fierté quand quelqu’un réussit. » Mais plusieurs questions se posent. « On a pris la responsabilité d’accompagner nos femmes dans le monde du travail, et pourquoi celui-ci ne favorise-t-il pas les femmes ? Pourquoi il y a des écarts de salaire ? On retourne la question ! » Idem pour la jeunesse formée à l’extérieur qui « ne trouve pas de travail ».

Pour lutter contre ce « déséquilibre » au sein des familles, le sénateur a émis une idée : le travail pour l’un des parents – l’homme ou la femme –, la maison et les enfants pour l’autre avec un « petit revenu ». Des pensées « décoloniales » et non pas indépendantistes. « Vous nous avez amenés un système. Et on a ce constat : voilà ce qu’on faisait, voilà ce qu’on a perdu. » La volonté est d’« interpeller pour que l’on puisse revenir à l’essentiel » et, sur ce sujet également, la réflexion « doit être portée d’en bas ».

Chloé Maingourd

Violences et gestion de la libération de la parole

La coutume condamne fermement toutes les violences faites aux femmes. « Elles sont divinités, sources de vie : pourquoi on va aller les violenter ? », interroge le sénateur Sinewami. Il explique qu’avec la libération de la parole, les chefferies doivent s’adapter. « D’un coup, on a toutes ces informations que l’on n’avait pas. Il faut apprendre à canaliser tout cela parce que c’est la souffrance qui se révèle et nous on est là pour les accompagner. Ce sont nos familles, des personnes avec qui on travaille. C’est aussi cela la complexité. » L’une des difficultés est l’éloignement ou non du conjoint violent avec la coexistence des deux droits.