La Nouvelle-Calédonie fait à nouveau la Une de l’actualité nationale et régionale pour de tristes raisons. La population du Grand Nouméa vit un vrai cauchemar depuis lundi 13 mai.
Nuits sans sommeil, déflagrations de toutes sortes, cris et insultes, routes jonchées de végétation, voitures calcinées, commerces et habitations détruits par centaines, exfiltrations, pillages… Valérie, habitante de la Vallée-du-Tir, les a vécus au premier plan, comme beaucoup d’autres. « Nous sommes aux premières loges pour voir toutes les exactions commises dans le quartier. C’est terrifiant. Nous espérons bien sûr que les forces de l’ordre vont rétablir rapidement la situation. »
Ces violences ont réellement débuté lundi 13 mai à Saint-Louis avec des tirs sur les gendarmes. Dans la soirée, ailleurs dans l’agglomération, des feux sont allumés sur des ronds-points. S’ensuit une première nuit d’enfer avec l’incendie de Le Froid, Biscochoc, Renault, une trentaine d’entreprises au total.
Les pompiers reçoivent 1 500 appels, interviennent sur 300 feux. Ils ne peuvent être partout, d’autant qu’ils doivent eux-mêmes être protégés. Les premiers commerces sont pillés, les routes entravées. Un bébé meurt in utero, sa mère n’ayant pu quitter Dumbéa. Les Calédoniens se réveillent dans la stupeur. La consigne est de rester à la maison, entreprises, établissements scolaires et services publics sont à l’arrêt.
UN MOUVEMENT « ORGANISÉ »
Mardi 14 mai, les informations circulent. À Nouméa, l’action est principalement menée dans les quartiers Nord et à Magenta. À l’entrée de Rivière-Salée, Michel*, 34 ans, tient un barrage. « Je ne veux pas du dégel […] On risque de disparaître. Il y en a marre de ce système, avec le nickel tout l’argent part du territoire. » Des jeunes « déchaînés » affrontent les gendarmes à Dumbéa et Païta. Et à Saint-Louis, où l’on trouve « quatre escadrons et la totalité du GIGN pour 1,8 km », selon le haut-commissaire. Des familles de gendarmes sont rapatriées.
Trente jeunes sont retranchés dans l’usine Le Froid avec des cuves d’hydrogène qui menacent d’exploser. Une prise d’otages est annoncée au Camp-Est. Le haut-commissaire décrète le couvre-feu, interdit les armes, l’alcool sur tout le territoire et les rassemblements dans le Grand Nouméa.
La présidente de la province Sud, Sonia Backès, parle de « terrorisme », la maire de Nouméa, Sonia Lagarde, l’affirme, les violences sont nouvelles « même pour les forces de l’ordre qui ont connu 84 ». Le général Matthéos déclare : « ce n’est pas un mouvement spontané. Il y a une organisation, sans doute des donneurs d’ordres ».
Louis Le Franc évoque les cocktails molotov, tirs de longs calibres, chevrotines… La CCAT est directement mise en cause. Celle-ci appelle au calme, sans pour autant annoncer la fin de la mobilisation devenue insurrection. Les responsables politiques, de tous bords, se manifestent pour condamner ces ravages.
Mardi correspond aussi aux premiers affrontements avec des habitants réunis en groupes d’autodéfense à Tuband. Ces « milices » se constituent peu à peu dans les quartiers. Ouémo est ainsi confinée. « Nous avons fermé toutes les entrées. Il y a une véritable mobilisation pour protéger nos familles et nos habitations car les forces de l’ordre semblent débordées », indique Marco*.
Le haut-commissaire fait savoir qu’il n’a pas attendu cette escalade dramatique pour demander des renforts. Et qu’ils seront là « le plus vite possible ». Deux escadrons du GIGN sont arrivés de Polynésie française, un avion doit être affrété pour quatre escadrons mobiles par le ministère des Armées.
APOCALYPSE
Mercredi 15 mai, les émeutiers ne sont plus des centaines, mais « des milliers ». Les milices sont en place un peu partout. La nuit est marquée par de graves événements à la ZAC Panda, Magenta, les dépôts de gaz sont aussi visés à Numbo. Louis Le Franc évoque une « situation insurrectionnelle ». Une mutinerie a eu lieu au Camp-Est.
Le gouvernement intègre la cellule de crise du haut-commissariat pour l’alimentaire, la santé, la sécurité civile. Il faut gérer en particulier les axes vers les centres de soins et les approvisionnements. « On va manquer de nourriture », nous dit, presque perplexe, le représentant de l’État qui martèle son mot d’ordre : l’apaisement. C’est, selon lui, la « seule solution ». Comme un aveu d’impuissance ? « Ce territoire va basculer dans l’apocalypse. »
Le premier mort est annoncé. On recense à présent trois victimes civiles, des Mélanésiens âgés de 17, 20 et 36 ans, et un jeune militaire de 22 ans. « On ira chercher les responsables. » Depuis, un autre a perdu la vie accidentellement.
Le représentant de l’État fait appel au concours de l’armée pour sécuriser La Tontouta et le port. L’état d’urgence est décrété mercredi, en Conseil des ministres. Il entre en vigueur jeudi 16 mai pour 12 jours avec des pouvoirs supplémentaires au haut-commissaire sur la restriction de certaines libertés publiques et individuelles, la circulation des personnes, etc.
Emmanuel Macron est enfin apparu. Il a présidé un premier Conseil de défense et de sécurité nationale. La réunion avec les élus Calédoniens ne s’est pas tenue, certains ne souhaitant pas y participer. Le réseau social TikTok est interdit pour limiter les contacts entre les émeutiers. Et le déploiement des renforts a commencé. Un millier d’hommes vont finalement arriver.
Les exactions, elles, se poursuivent, avec maintenant des barrages piégés sur les axes routiers « avec système de gaz et allumages », obligeant la mise en œuvre d’un pont aérien entre les aérodromes de Tontouta et Magenta, également protégé. Le déblaiement des voies de circulation devait débuter vendredi après-midi avec l’aide notamment de démineurs.
Chloé Maingourd avec Yann Mainguet