[DOSSIER] Des évolutions sur la natte

Dix ans après la proclamation de la charte, l’assemblée du peuple kanak s’est achevée le 27 avril au CCT par un partage de l’igname avec les représentants d’autres communautés. © Y.M.

Les projets du Sénat coutumier, plus ou moins anciens mais toujours d’actualité, ont l’ambition de mieux inscrire encore une tradition millénaire dans la société calédonienne.

  • Reconnaissance de la charte

Proclamée le 26 avril 2014, la charte du peuple kanak, « socle commun des valeurs et principes fondamentaux de la civilisation kanak », reste pour l’instant dans le champ du Sénat coutumier, même si une délibération de l’institution de Nouville fut publiée au Journal officiel. Les autorités coutumières souhaitent une reconnaissance officielle du texte par la Nouvelle-Calédonie à travers une loi du pays au Congrès par exemple. Ce qui requerrait, au préalable, une révision d’une partie de son contenu adopté il y a dix ans. Le but étant que ces points soient déclinés en actions.

Autre suggestion entendue : constitutionnaliser la charte du peuple kanak en l’inscrivant dans le préambule du futur accord institutionnel. L’ambition est ainsi d’aller plus loin que l’accord de Nouméa de 1998 dans la reconnaissance des valeurs kanak et de les partager avec l’ensemble des habitants de Nouvelle-Calédonie.

  • Même étage que le congrès

Les coutumiers veulent inscrire la réflexion dans les discussions sur l’avenir institutionnel du territoire post-accord de Nouméa : que le Sénat coutumier soit positionné au même niveau que le Congrès, en tant que chambre délibérante ayant ainsi un pouvoir décisionnel. Un système bicaméral en fait. L’institution des 16 sénateurs, créée en 1998, ne dispose aujourd’hui que d’un rôle consultatif. Les politiques publiques relevant de l’identité kanak naviguent entre le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le Congrès et le Sénat coutumier. « Des va-et-vient sans arrêt », déplore Victor Gogny, président de cette maison, qui réclame une évolution.

« La coutume doit évoluer avec le temps, de manière à pouvoir continuer à avancer », soutient le président du Sénat coutumier Victor Gogny. © Y.M.
  • Un grand conseil des chefs

L’idée, qui remonte aux années 1980, avait ressurgi en 2016. Puis la formation Inaatr ne Kanaky avait été instituée au terme du 22e congrès du pays kanak, en septembre 2022 à Canala. Néanmoins, des participants de l’assemblée du peuple kanak, organisée ces 26 et 27 avril, ont à nouveau porté le projet d’un grand conseil des chefs, plus étoffé et structuré, selon Victor Gogny. L’institution de Nouville consulterait ce grand conseil des chefs envisagé au sommet de la pyramide coutumière. Une instance similaire est déjà en place à Fidji et au Vanuatu.

  • Un mode électif ?

Les 16 sénateurs sont désignés, pour cinq ans, selon les us et coutumes. C’est-à-dire, choisis par leur famille, leur clan et leur district. Faut-il passer désormais à un mode électif ? Le débat est relancé. Si le mécanisme des élections peut faciliter la reconnaissance sur le plan administratif, ce scrutin peut chambouler la vision coutumière. Le Sénat veut « peser le pour et le contre pour aller vers une entente ». Qui dit élections, dit corps électoral. Autrement dit, qui votera ? Ce point peut aussi susciter de longues discussions.

  • Un grand palabre

Lors du discours d’ouverture du 23e congrès du pays kanak le 8 septembre 2023 à Nouméa, Victor Gogny avait donné son avis sur l’avenir institutionnel : la Nouvelle-Calédonie n’est pas encore prête à accéder à la pleine souveraineté et une période de transition est nécessaire. Cette position est-elle toujours maintenue ? « Oui et non, indique l’intéressé. Il nous faut peut-être encore du temps. Nous pensons à une mandature, soit cinq ans. Parce qu’il y a encore des choses à mettre en place. »

Selon le président du Sénat coutumier « le souci » est de trouver une entente locale, « l’État attend que le pays puisse trouver un accord ». Or, les camps loyaliste et indépendantiste ne discutent pas. Victor Gogny propose ainsi la tenue d’un grand palabre avec des représentants de l’institution, des communautés, de la société civile, des politiques, etc. L’objectif étant de trouver « un consensus » sur le projet de société pour le territoire. La démarche ne sera pas facile, reconnaissent ses promoteurs.

Yann Mainguet

La société Kanak compte :

  • 341 tribus
  • 61 districts coutumiers
  • 8 aires coutumières
  • 16 membres au Sénat coutumier
  • 60 300 personnes vivant en tribu (un kanak sur deux)