Tous les mardis soir, les membres de l’association Un sandwich pour autrui cuisinent leur générosité afin de la redistribuer aux personnes en difficulté.
Des trombes d’eau s’abattent sur la place des Cocotiers. Des hommes et des femmes, sacs de courses à la main ou sur le dos, s’abritent sous le kiosque à musique. Il ne fait pas un temps à rester dehors ce mardi. Pourtant, la plupart d’entre eux devront trouver un bout de trottoir où passer la nuit. Mais ce n’est pas le moment d’y penser.
18 h 30. Les bénévoles de l’association Un sandwich pour autrui viennent d’arriver. On les reconnaît à leur T-shirt vert et à leur bienveillance. Ils s’activent pour installer les tables et le matériel. Certains reviennent avec les glacières, d’autres avec le pain. « Tout est financé par les bénévoles et ceux qui veulent donner. La Banque alimentaire nous aide beaucoup avec les produits frais », précise Marion Roussel, présidente de l’association entre deux allers-retours à sa voiture pour décharger.
Rosemay ne perd pas une minute. Un peu de charcuterie, un peu de verdure et le tout emballé dans des sachets en papier. La bénévole s’applique. Si ça lui tient autant à cœur « d’aider son prochain », c’est parce qu’elle aussi n’est pas étrangère à cette situation « Je suis SDF. J’aime bien rendre service aux gens car je suis dans le même milieu. Personne n’est à l’abri vous savez, vous pouvez tomber très bas. »
Rosemay a vécu dans un squat, dans sa voiture, mais ne souhaite pas de place au foyer. Elle ne veut pas abandonner ses deux petits chiens, ses compagnons de vie. Aujourd’hui, elle dort « là où les gens ne la trouvent pas ». Toutefois, si c’est pour donner un coup de main, elle n’est jamais très loin.
LA RUE COMME REFUGE
19 heures. Autour de Rosemay, plein de petites mains accélèrent la cadence. Accoudée sur la barre du kiosque à musique, Séléna se tient à l’écart. La différence d’âge avec les autres est flagrante. « J’étais dans une famille qui n’accepte pas que je sois transgenre. Quand j’ai voulu l’exprimer, mes affaires étaient devant la porte », confie la jeune femme de 23 ans.
Pour ne pas dormir dans la rue, Séléna s’est renseignée sur les structures qui pouvaient l’accueillir. Ça fait maintenant un an et demi qu’elle reste au Macadam. Sa deuxième famille. « Je suis la plus jeune là-bas ». Elle a bien enchaîné des petits boulots à droite, à gauche. « J’ai un bac professionnel en gestion administrative. J’ai fait des contrats en intérim, travaillé dans des grandes surfaces. »
Rien d’assez conséquent pour lui assurer un toit et une autonomie financière. Elle reste en retrait ce soir. Elle a « un peu honte » d’être là. « Qui veut de la soupe ? », crie Paul Mitrail de l’autre côté du kiosque. Les plats chauds sont servis.
Séléna ne veut rien. Elle préfère laisser aux autres car elle peut manger au foyer. Les gobelets se remplissent. Des « merci » retentissent. Potiron, lentille… Paul Mitrail prépare des soupes à l’envie depuis quatre ans. Pour lui, c’est important de voir des sourires se dessiner sur les visages. « Consacrer trois ou quatre heures dans une semaine, qu’est-ce que c’est ? »
« C’EST TROP MERVEILLEUX CE QU’ILS FONT »
Les plats chauds de Philippe et Julie remportent toujours un franc succès. Le coin café ne désemplit jamais. Patrick en a pris un. Dix ans déjà qu’il vit dans la rue après avoir quitté Maré pour tenter d’entrer au lycée. « Il n’y avait pas de place pour moi, je suis resté bloqué. »
Il avait 18 ans, il en a aujourd’hui 31. Il a parfois des petits contrats « au noir ». Et tous les mardis soir, il revient au point de rendez- vous pour manger ce que les bénévoles ont préparé. « Ça fait trop chaud au cœur, c’est trop merveilleux ce qu’ils font. »
19 h 45. L’heure de filer pour Marion Roussel. Son deuxième service commence. Elle part à la rencontre de ceux qui ne se déplacent pas. Sandwichs, gâteaux, eau, café sont chargés dans sa camionnette grise. Direction la cathédrale. Anissa, 28 ans, et Thierry, 60 ans, se trouvent toujours ici. La bénévole prend le temps de discuter avec eux. Elle fait le tour des besoins : vêtements, nourriture, accessoires etc.
Thierry n’a pas de toit depuis 23 ans. Il cherche un sac de course à roulettes car il a « mal aux reins » à force de porter ses affaires sur le dos. Anissa, de son côté, ne dit pas grand-chose. Elle remercie Marion pour le dîner. La bénévole reprend la route jusqu’à la province Sud. Là-bas, ils sont quatre bénéficiaires. « Que dieu vous bénisse », glisse l’un d’entre eux après avoir reçu son repas.
La présidente de l’association va continuer de sillonner les quartiers de l’Orphelinat, de la Baie-des- Citrons et de l’Anse-Vata jusqu’à 22 heures, parfois 23 heures. Ce mardi soir, comme chaque mardi depuis près de quatre ans, les personnes les plus démunies ne se sont pas endormies le ventre vide.
Edwige Blanchon