Et avant, c’était comment l’école ?

Au départ, il y avait deux univers séparés, l’école communale et la mission. Quelque 160 ans plus tard, le système scolaire, après s’être radicalement transformé, s’est orienté vers deux institutions, publique et privée, ouvertes à tous et davantage ancrées dans leur territoire.

Ce sont les missions qui voient naître, dans les tribus, les premiers lieux d’enseignement dédiés aux enfants kanak, dès les années 1840. Au début, ce sont plutôt des « centres d’évangélisation », qui ont pour principal objectif « la conversion », mentionne Christiane Terrier, auteure de l’ouvrage Vers une école pour tous, l’histoire de l’enseignement en Nouvelle-Calédonie des années 1840 à 2000, attendu prochainement en librairie.

Les missionnaires, qui commencent par alphabétiser les adultes, notamment pour former des catéchistes, « se rendent compte que le message passe mieux si on les prend plus jeunes » et qu’on les « christianise tout en les scolarisant. On manque cruellement d’ouvrages, alors Le Nouveau Testament fait office de livre. »

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les enfants, pour beaucoup internes, y passent parfois toute leur jeunesse jusqu’au mariage.

UNE SITUATION « PRÉCAIRE » EN BROUSSE

Après la création de la première école à Port- de-France en 1859, un arrêté instaure deux systèmes d’enseignement, relevant pour l’un du service des affaires européennes et, pour l’autre, du service des affaires indigènes. Dans les établissements davantage destinés aux enfants européens, il est proposé « la reproduction stricto sensu des programmes de Métropole », commente l’historienne.

Un texte « bien connu » de Jean Mariotti évoque une institutrice qui parle des quatre saisons, et « le fait que les enfants sont décontenancés parce que cela ne veut rien dire pour eux ». Les différences peuvent être « très grandes » entre Nouméa et la Brousse. « Il y a deux très bonnes écoles, Frédéric-Surleau pour les garçons et Suzanne-Russier pour les filles. »

Après, plus on s’éloigne, plus « la situation est précaire. On s’attarde sur l’essentiel, écriture, lecture et mathématiques. » Il y a également un peu de sport, orienté vers la préparation militaire comme en Métropole, vers la fin du XIXe et le début du XXe siècle, ainsi qu’un peu de musique, et de la couture pour les filles.

ANALPHABÉTISME ET CLIVAGES SOCIAUX

De nombreuses familles européennes ne peuvent assumer la charge financière que représente l’école, leurs enfants la fréquentent donc par roulement. « On en envoie un pendant deux ou trois ans puis, parce qu’on en a besoin sur la propriété, c’est au tour du frère ou de la sœur cadette d’y aller. »

Cela entraîne, chez les petits Européens, un analphabétisme assez important à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Qu’en est-il des autres communautés ? Les Japonais, qui ont un statut à part, fréquentent la communale, tandis que les enfants d’engagés vietnamiens, javanais et indonésiens n’y ont pas accès. « Les Vietnamiens réagissent et créent leurs propres structures à la fin de Seconde Guerre, surtout dans les mines, comme à Tiébaghi. Les Indonésiens vont faire de même. »

Le reflet d’une société « ethniquement clivée ». Dans les faits, ségréguée. En 1946, à l’abolition du code de l’indigénat, les établissements publics ont l’obligation d’accueillir tout le monde. Les services déploient un réseau d’écoles de proximité, et les allocations familiales en 1955 contribuent à lutter contre l’absentéisme. « Les parents ne les perçoivent pas si les enfants ne vont pas en classe. »

COLLÈGE UNIQUE ET ADAPTATION DES PROGRAMMES

Après la guerre, l’enseignement reproduit encore assez fidèlement les contenus nationaux. À Surleau et Russier, par exemple, « on peut recevoir un enseignement quasi- ment identique à la France, relate Christiane Terrier. Malheur à ceux qui ne suivent pas, on ne va pas essayer de les rattraper. »

Peu obtiennent le certificat d’études. La perception de l’école, qui « a représenté, pour certains, l’espoir d’une vie meilleure », change. La vision positive d’après le régime de l’indigénat se dégrade, notamment chez les kanak, dans les années 1970 : « un certain nombre de leaders indépendantistes se rendent compte que leurs enfants sont en échec scolaire, même si l’école joue un rôle d’ascenseur social dans certaines familles. »

L’institution est contestée. Cela conduit à la création des écoles populaires kanak au milieu des années 1980, dont l’aventure durera environ dix ans. 1975 marque la création du collège unique « pour tous » en France. Et les années 1970, le timide début de l’adaptation des programmes, qui se renforce après les Événements et la signature des accords. « On édite des livres liés aux sciences naturelles, à l’histoire, à la géographie du pays, et on se préoccupe de la culture et de la question des langues kanak. »

Même les exemples choisis en mathématiques ont leur importance : « on n’est peut-être pas obligé de parler de trains qui se croisent puisqu’il n’y en a pas ici. » Pour l’apprentissage du français, il s’agit « de s’appuyer sur des auteurs locaux ». Des enseignants suivent des stages d’introduction à la littérature calédonienne. Le transfert de compétences est « fondamental ».

La Nouvelle-Calédonie récupère le primaire en 2000 et le secondaire en 2012. Le système scolaire parvient-il aujourd’hui à remplir les objectifs qui lui sont assignés ? Il est, en tout cas, très sollicité, estime Christiane Terrier. « On lui demande non seulement de délivrer de l’enseignement, mais pratiquement d’éduquer, de former, d’encadrer, etc. C’est compliqué, même si certains enseignants y contribuent. »

Anne-Claire Pophillat

Photo : Au début du siècle dernier, les langues étrangères ne sont pas enseignées à l’école. Seule l’école Frédéric-Surleau propose une initiation à l’anglais. / © ANC

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