[DOSSIER] Quand Michel Rocard composait la mission du dialogue en 1988

La mission du dialogue s’est rendue fin mai 1988 à Hienghène, terre de Jean-Marie Tjibaou.© ADCK-CCT, Philippe Boisserand

Dans une longue interview donnée au magazine Télérama en 2013, l’ancien Premier ministre de François Mitterrand évoquait, avec franchise, la composition de la mission du dialogue en vue de retisser les fils de la paix dans une Nouvelle-Calédonie meurtrie.

L’appel à une mission du dialogue répond, en 1988, à la plus capitale des urgences: restaurer la paix. L’attaque de la gendarmerie de Fayaoué à Ouvéa par des militants indépendantistes et l’assaut de la grotte de Gossanah par les militaires plongent la Nouvelle-Calédonie dans une tragédie impensable, du 22 avril au 5 mai. Le sang a coulé, le point culminant des Événements est atteint.

Le 8 mai, François Mitterrand est réélu président de la République. Deux jours plus tard, Michel Rocard, nommé Premier ministre, émet l’idée d’envoyer sur place une mission d’approche et de dialogue. « La Nouvelle-Calédonie se trouvait dans une situation de guerre civile, les communautés s’affrontaient et refusaient de se parler », se souvient l’ancien locataire de Matignon, dans une longue interview donnée au magazine Télérama en 2013. « Personne ne voulait dialoguer avec l’État. Les Européens car, à leurs yeux, un gouvernement de gauche ne pouvait que les trahir. Les Kanak parce qu’un gouvernement de la République française ne pouvait que mentir, comme il l’avait fait dans le passé. »

« Personnalités hautement incontestables »

Le projet est bien de composer « un groupe de personnalités hautement incontestables et ne représentant qu’elles-mêmes et non l’État » pour « se rendre en Nouvelle- Calédonie ». Obédiences et spécialités se mêlent. Michel Rocard liste, avec précision et anecdotes, les membres de cette mission, au journaliste de Télérama : « mon ami Jacques Stewart, alors président de la Fédération protestante de France » ; Roger Leray, ancien Grand Maître du Grand Orient de France, des loges qui « étaient le seul endroit où Européens et Kanak se rencontraient encore en Nouvelle- Calédonie » ; le Chanoine Paul Guiberteau, « avec qui j’avais négocié la paix scolaire dans l’enseignement catholique agricole quand j’étais ministre de l’Agriculture » ; Christian Blanc, « mon ancien chef de cabinet devenu préfet » car « il connaissait bien le pays » ; Pierre Steinmetz, ancien conseiller de Raymond Barre dans les DOM-TOM, « un deuxième fonctionnaire plutôt classé à droite », et Jean-Claude Périer, « un ancien juge avec une brillante fin de carrière de directeur général de la gendarmerie puis de conseiller d’État ».

François Mitterrand approuve la démarche. Une fois sur place, selon Le Mémorial calédonien, la mission dresse un constat : « les responsables politiques des deux camps ont la volonté commune d’en sortir. Si les moyens envisagés ne sont pas les mêmes, l’intention est forte et réelle ». Christian Blanc et ses collègues sillonnent le territoire, rencontrent et échangent. Au terme du processus en Nouvelle-Calédonie et de discussions à Paris, l’accord de Matignon, un accord de paix, est signé le 26 juin 1988 par Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou sous l’égide de Michel Rocard.

Yann Mainguet

L’accord de Matignon signé,
le Premier ministre Michel Rocard effectue un déplacement officiel
en Nouvelle-Calédonie fin août 1988 et retrouve des personnalités telles que le député Jacques Lafleur.© Le Mémorial calédonien – Pierre-Louis Mirc