Un patrimoine cultivé par les scientifiques

Mariko Matsui, responsable du Groupe Bioactivités des substances naturelles et dérivés (BIONA) à l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie. / © E.B.

Les plantes médicinales occupent toujours une place de choix dans la société mélanésienne. Ces savoirs ancestraux, dont la transmission se fragilise, font l’objet de plusieurs travaux afin d’être protégés, valorisés et utilisés à bon escient.

Elles sont employées depuis la nuit des temps. Dans la construction de cases, la confection de pirogues, l’artisanat, la spiritualité. Elles se mangent et surtout, elles soignent. Les plantes traditionnelles qui poussent dans les jardins jouent un rôle prédominant dans les sociétés océaniennes. Sauvegarder ce patrimoine fait partie des missions d’Édouard Hnawia. Le chercheur et représentant de l’UMR Pharma-Dev à l’IRD réalise des enquêtes de terrain afin de répertorier les usages des plantes dites utiles, exploitées par les populations locales. « C’est ce qu’on appelle l’ethnobotanique. »

Environ 400 plantes traditionnelles ont été référencées sur le territoire par l’IRD et l’UNC depuis les années 1970. Ces données recueillies permettent de garder une trace de ces pratiques ancestrales. « Cette transmission se perd pour plusieurs raisons. On essaye de récolter ces savoirs pour pouvoir les consigner sur des supports qui seront conservés et utilisés plus tard, par les générations futures, si les détenteurs de savoirs actuels autorisent leur diffusion. »

Cette pharmacopée locale (ouvrage réglementaire recensant l’ensemble des plantes à propriétés thérapeutiques) est actuellement en cours de construction dans le cadre du plan de santé Do Kamo avec la DASS-NC. Elle aidera à faire reconnaître ces végétaux et sera également un gage de sécurité pour les usagers. « Ce sont des plantes qui ont été sélectionnées, étudiées par les scientifiques, dont on connaît la composition », note Édouard Hnawia.

DE NOUVELLES MOLÉCULES

À partir des informations communiquées par les populations, les chercheurs doivent valider scientifiquement leur usage. « Pour pouvoir les proposer, il faut qu’on établisse des monographies, une liste d’activités, de molécules, de l’innocuité ou de la toxicité potentielle », déroule Mariko Matsui, chercheuse et responsable du Groupe Bioactivités des substances naturelles et dérivés (BIONA) à l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie. Plus les plantes seront analysées, mieux elles seront connues. Plus les Calédoniens pourront être conseillés.

Ces végétaux attirent particulièrement l’attention de Mariko Matsui. L’immunologiste de formation s’intéresse notamment aux maladies inflammatoires chroniques. « L’idée est de répondre à des problématiques de santé qu’on retrouve ici et sur le plan mondial. » Pour ces pathologies, il existe des traitements conventionnels, mais qui impliquent des effets secondaires à long terme. « On continue de chercher de nouvelles molécules, de nouvelles approches thérapeutiques ou complémentaires pour traiter les patients, soulager leurs douleurs et empêcher l’inflammation de perdurer. » La flore calédonienne, riche et diverse, peut offrir ces alternatives.

ALLIER CONVENTIONNEL ET TRADITIONNEL

Les bactéries qui deviennent résistantes aux anti- biotiques représentent une autre problématique récurrente. De ce fait, les chercheurs investissent dans les substances naturelles, aussi bien terrestres que marines. Certaines plantes calment déjà les douleurs rhumatismales ou certaines infections. À l’image du Coleus forsteri, appelé mitché ou arnica kanak.

Lorsque les traitements existants ne sont pas suffisants, « allier le conventionnel avec des phytothérapies ou médecine alternative fait sens ». C’est d’ailleurs ce qui se passe très souvent dans la sphère familiale. La plupart des patients concernés par des pathologies chroniques s’orientent d’eux- mêmes vers des thérapies complémentaires. D’après Mariko Matsui, autant prendre les choses en main dès à présent, en apportant les bonnes indications : telle plante riche en curcumine, telle plante aux propriétés anti-inflammatoires, etc. Il ne s’agit pas de se substituer à la médecine. Simplement de dire que ces pratiques existent et ainsi éviter les dérives.

Edwige Blanchon

ATTENTION, DANGER

Avoir des notions en botanique reste essentiel avant toute utilisation. « Il peut y avoir des ressemblances et on peut s’intoxiquer. On ne pousse pas à s’en servir si on n’en a pas la capacité, autant pour les reconnaître que pour
les préparer », insiste Mariko Matsui.

Même les nouveaux arrivants sur le territoire sont tentés de les intégrer dans leur quotidien. « Il faut rester vigilant et en même temps sensibiliser. L’automédication, c’est quelque chose de courant. Il ne faut pas se voiler la face en disant que ça n’existe pas, mais justement dire qu’il faut faire attention avec les femmes enceintes et les enfants en bas âge. »

 

Dans notre dossier

Avec le travail de collecte, « on a fait ressurgir des savoirs oubliés »
Depuis sept ans, l’Institut kanak des plantes, de l’artisanat et des langues autochtones, collecte, protège, transmet et valorise les connaissances ancestrales sur l’utilisation des plantes. L’association œuvre à la mise en place d’une filière et plaide pour la création d’une école d’herboristerie. Entretien avec Subama Mapou, biologiste et herboriste, cofondatrice de l’Ikapala. →

Cinq plantes indigènes et leurs bienfaits
De nombreuses plantes, endémiques ou non, permettent de soulager maux et affections. L’utilisation de ces remèdes naturels ne substitue pas un avis médical ou les conseils d’un guérisseur traditionnel. Les doses doivent être respectées scrupuleusement. Avant de s’en servir, il est important d’identifier formellement ces végétaux auprès d’un botaniste, tradithérapeute, herboriste, pharmacien ou de toutes personnes compétentes.→

Des plantes aux superpouvoirs
Tamanou, niaouli, chou kanak, herbe à verrue… Les armoires à pharmacie calédoniennes regorgent de ces trésors, utilisés comme remèdes depuis des millénaires. →

La médecine traditionnelle étudiée prochainement à l’université
En 2024, les médecins, infirmiers, étudiants en santé ou encore tradithérapeutes pourront suivre un cursus en ethnomédecine à travers un diplôme universitaire proposé par l’Université de Nouvelle-Calédonie (UNC).→