50 ans d’apprentissage artistique

Pascale Doniguian dirige le Conservatoire depuis 2021. L’établissement est principalement soutenu par la Nouvelle- Calédonie, puis la province Nord et l’État.© A.-C.P.

Il y a un demi-siècle naissait l’ancêtre du Conservatoire à Nouméa, grâce à la volonté de musiciens désireux d’enseigner leur passion. Après cinq décennies de développement, de projets, de spectacles, d’ouverture sur de nouvelles disciplines, l’établissement continue de marquer l’histoire culturelle calédonienne.

Le 28 mars 1974, la première école de musique de Nouvelle-Calédonie ouvre ses portes au 17 avenue des frères Carcopino, à Nouméa, grâce au travail et à l’investissement de l’association Les amis de la musique, créée en 1971. « Ces musiciens ont demandé une subvention puis un espace pour dispenser leur art, le transmettre », indique Pascale Doniguian, directrice.

Cinquante ans plus tard, cet anniversaire est l’occasion « de se rappeler qu’apprendre la musique n’est pas une lubie récente dans le paysage calédonien, que grâce à quelques passionnés, une école a vu le jour, a prospéré, tant dans ses propositions que ses bâtiments, pour accueillir le plus de disciplines et le plus d’élèves possibles, et qu’elle a sa place dans le paysage culturel et de l’enseignement ».

À l’époque, la ville met à disposition une maison de style colonial chargée d’histoire. La bâtisse, construite en 1892, a abrité le consulat de Grande-Bretagne jusque dans les années 1950. Mais des travaux sont nécessaires, la villa n’est pas adaptée pour recevoir du public. Jean-Pierre Cabée, ancien directeur, se souvient. « Le site était vraiment très beau, mais c’était une maison, il y avait par exemple une salle de bains là où se trouve l’auditorium. »

 

L’entrée de l’école de musique l’année de son ouverture en 1974. © J.-P.C.

LA DANSE INTÉGRÉE EN 2013

Avec 140 inscrits, le succès est au rendez- vous dès l’ouverture. Flûte, clarinette, piano font partie des instruments proposés. Ancien élève du Conservatoire de Paris, Jean-Pierre Cabée y fait ses premières armes en tant que professeur de guitare à seulement 17 ans. « C’était un peu la débrouille au début, mais on se serrait les coudes. »

En 1983, le lieu devient une ETM, école territoriale de musique, et étend son activité à l’ensemble du territoire. C’est une des deux principales missions de Patrice Caumel, qui en prend la tête dans les années 1990 : mettre sur pied un plan de décentralisation et mener à bien le projet d’aménagement, dont l’auditorium. « J’en garde un excellent souvenir, il y avait une très bonne ambiance malgré des moments parfois plus difficiles », se rappelle celui qui a dispensé des cours de guitare pendant près de 40 ans. « Cela a vraiment marqué les débuts de l’histoire culturelle de la Nouvelle-Calédonie », estime Patrice Caumel.

Au fil des années, la structure inclut le jazz, ajoute un département percussions, accueille le chant, puis la musique traditionnelle. L’ETM devient Conservatoire en 2005. Jean-Pierre Cabée gère les lieux de 2003 à 2019. Il préside au temps du « développement ». « On avait beaucoup de moyens à l’époque. »

Un diplôme d’enseignement est créé, des antennes voient le jour, les professeurs titularisés, les locaux agrandis. La danse est intégrée en 2013, ce qui implique l’ouverture d’une succursale à N’Géa. « Cela a donné une plus-value manifeste à l’établissement qui se range ainsi davantage dans les profils des conservatoires métropolitains », développe Pascale Doniguian.

MODERNISATION DES FORMATIONS

La fin des années 2010 marque un déclin des financements octroyés par les collectivités. La saison Prestige, qui produisait des concertistes internationaux, s’arrête en 2018. L’antenne du Conservatoire de Wé, à Lifou, ferme ses portes. Malgré tout, l’établissement, fort d’une équipe pédagogique impliquée, poursuit son activité, imagine des spectacles, avance. « On n’est pas à l’ère du développement mais de la stabilité, souligne Pascale Doniguian. Et dans cette stabilité, on arrive à faire des choses en plus. » Jean-Pierre Cabée voit « un paquebot qui a atteint sa vitesse de croisière ».

En 2023, de nouvelles disciplines – hip-hop et danse traditionnelle du Wetr – apportent un vent de modernité dans une institution jugée classique. « C’est parfois vécu comme vieillot et ringard, exigent et élitiste. Ce n’est vraiment pas le cas. N’importe qui peut venir ici », assure Pascale Doniguian qui porte la volonté de continuer dans cette voie. « C’est important de ressembler à la Nouvelle- Calédonie. » Toujours avec « un regard sur le passé, dans le rétroviseur ». « C’est intéressant pour éclairer ce que l’on fait aujourd’hui, si on est resté dans notre mission, si on a su la faire évoluer… » À n’en pas douter.

Le bureau de l’accueil à l’époque. En fond, les vitraux de la maison coloniale qui appartenait à la famille Johnston. © J.-P.C.

 


BIENTÔT UN CONSERVATOIRE DES ARTS

L’école s’apprête à enseigner le théâtre à partir de l’année prochaine. En préfiguration, l’établissement va changer de nom pour devenir le Conservatoire des arts.

♦ LE THÉÂTRE EN 2025

C’est une des grandes nouveautés prévues l’année prochaine : l’enseignement d’art dramatique. « Cela se fait dans les conser- vatoires ailleurs, alors pourquoi pas ici ? », déclare Pascale Doniguian, la directrice. L’idée est d’ouvrir d’abord quelques créneaux. « On irait vers une quinzaine d’heures par semaine avec deux enseignants. » Des travaux sont en cours ‒ ils doivent s’achever en mai 2025 ‒ à la succursale de N’Géa pour les accueillir. « On reste modeste. On ne peut pas faire grand, il faut que l’on s’organise avec ce qu’on a. » En conséquence, le changement de nom est en cours : « il doit bientôt passer en séance du gouvernement ». La future appellation délaisserait « de musique et de danse » pour Conservatoire des arts de la Nouvelle- Calédonie.

♦ DEUX NOUVELLES ANTENNES

La structure se constitue d’une « maison principale » à Nouméa et d’antennes dans le Grand Nouméa (Dumbéa, Païta, Mont-Dore) et en Brousse (Bourail, La Foa, Koné, Koumac, Poindimié) avec, « en préinstallation », Boulouparis et Houaïlou pour 2025. « Une mini école de musique a ouvert à Boulouparis, on espère qu’elle devienne une antenne l’année prochaine. Sur Houaïlou, on attend des locaux », explique Pascale Doniguian. C’est l’AFMI (association de formation des musiciens intervenants) qui effectue les cours en dehors de Nouméa dans le cadre du marché qui la lie au Conservatoire.

♦ LISTES D’ATTENTE

Le nombre d’inscrits « ne connaît pas la crise », précise la directrice, avec des listes d’attente « dans la plupart des disciplines », mais particulièrement en piano. Il y a eu 87 candidats pour à peine 40 places à la rentrée. « Chaque enfant passe une audition de motivation. » Les locaux commencent à être serrés. « On n’a ni assez de places ni assez de professeurs. Si on en avait plus, on pourrait accueillir davantage d’élèves, mais ce n’est pas à l’ordre du jour. On est plutôt heureux que chaque enseignant ait de quoi remplir son emploi du temps. »

♦ DÉCOUVERTE MUSICALE

Face au succès des instruments plus classiques, piano et violon, un parcours de découverte musicale a été créé à destination des enfants. Sept instruments ‒ « qui ne sont pas les premiers choix par méconnaissance », estime Pascale Doniguian ‒ sont mis en avant : guitare, flûte traversière, percussions, clarinette, saxophone, trompette et violoncelle. Résultat, sur les 18 élèves inscrits, 12 ont choisi de pratiquer une de ces disciplines. La batterie rencontre également beaucoup de succès. Et des cours de ukulélé ont été instaurés en 2021, à destination des seniors le matin et des plus jeunes le soir.

♦ ALLER PLUS LOIN

Quatre cycles de formation sont proposés, dont le dernier est sanctionné par le DEM, diplôme d’études musicales, qui permet ensuite de poursuivre avec un diplôme d’État de professeur de musique. La direction soutient cette évolution. « Depuis que je suis arrivée, nous finançons la validation des acquis d’expérience pour que les enseignants puissent aller plus loin, jusqu’au diplôme d’État. Trois ont été validés en 2023 et deux doivent l’être cette année. »

♦ HUIT SPECTACLES

Cette année, la saison artistique se constitue de huit spectacles imaginés par des enseignants qui dédient de leur temps à la création. Elle commencera le 1er juin avec Piano, cordes et Chausson. « C’est une saison assez classique qui laissera la part belle à la voix, au piano et aux cordes frottées essentiellement. » Enfin, si la saison Prestige n’existe plus, le Conservatoire reçoit chaque année un invité. Le pianiste de Charles Aznavour en 2022, un trompettiste de jazz en 2023 et, cette année, un ensemble instrumental baroque.

Anne-Claire Pophillat