Avec le travail de collecte, « on a fait ressurgir des savoirs oubliés »

L’Ikapala, Institut kanak des plantes, de l’artisanat et des langues autochtones, que Subama Mapou a cofondé, a constitué une base d’environ 110 plantes. Elle les valorise à travers sa marque Gardenia Cosmétique, qu’elle vend notamment lors des marchés. Ici, celui des femmes rurales au centre Tjibaou, dimanche 30 juillet. / © A.-C.P.

Depuis sept ans, l’Institut kanak des plantes, de l’artisanat et des langues autochtones, collecte, protège, transmet et valorise les connaissances ancestrales sur l’utilisation des plantes. L’association œuvre à la mise en place d’une filière et plaide pour la création d’une école d’herboristerie. Entretien avec Subama Mapou, biologiste et herboriste, cofondatrice de l’Ikapala.

DNC : Comment est né votre intérêt pour les plantes ?

Subama Mapou : J’ai grandi avec mon arrière-grand-père à la tribu d’Unia, à Yaté, qui m’a beaucoup appris. Guérisseur, il avait une grande connaissance des plantes. J’ai également des origines japonaises et indiennes, et la sœur de mon grand- père m’a transmis ce qu’elle savait sur les plantes médicinales de ces pays.

Du côté de ma grand-mère maternelle, j’ai des origines bretonnes, africaines, etc., c’est pour ça que je connais aussi les plantes qui ont été introduites, leur histoire me passionnait. Après le bac, je suis partie une dizaine d’années en Métropole où j’ai obtenu une licence en biologie végétale et botanique, un diplôme d’herboriste, un autre en ethno-pharmacologie, avant de suivre une formation en parfumerie à Grasse. Ensuite, j’ai été en stage six mois chez Chanel, puis je suis rentrée faire ma thèse sur la cosmétopée calédonienne.

Comment est venue l’idée de créer l’Ikapala, Institut kanak des plantes, de l’artisanat et des langues autochtones, en 2016 ?

J’ai pris conscience, en Métropole, de l’importance de recréer un lien entre les populations et leurs savoirs et de mieux les encadrer juridiquement, notamment au niveau du droit de la propriété intellectuelle. On a fondé l’Ikapala, un réseau de plus de quarante associations présent dans chaque aire coutumière, pour protéger les savoirs traditionnels.

Une de nos premières actions a été d’intervenir en tant que médiateur aux côtés du Sénat coutumier dans le cadre de la question des brevets déposés par Dior dans les années 1990 concernant six plantes locales dont le gommier, afin que le dossier aboutisse favorablement. Ce qui a été le cas. On lutte contre le risque de biopiraterie.

Vous vous êtes d’abord consacrée à la collecte d’informations…

On s’est rendu sur l’ensemble du territoire rencontrer les familles, mamans, guérisseurs. On a essayé de cartographier les plantes. Dans notre culture, on ne dissocie pas les usages. Une plante peut servir pour plusieurs choses. Par exemple, le « bois de savon » de Yaté nettoie l’organisme, purifie le sang, etc., ses feuilles sont utilisées pour faire du savon, et on récupère les cendres pour réaliser des produits ménagers. Cette phase de recherches a permis de faire ressurgir des savoirs oubliés.

Il s’agit ensuite de transmettre ces savoirs ?

Après la protection, on vise la réappropriation. Je réalise des ateliers depuis 2019 pour lesquels je sillonne la Nouvelle-Calédonie afin de transmettre ces savoirs : préparer de la lessive, du savon, des teintures cosmétiques et alimentaire… J’apprends comment utiliser les plantes endémiques. Cela donne davantage d’autonomie aux gens, permet de faire avec ce que l’on a sur l’île en étant moins dépendant de l’extérieur.

On échange aussi beaucoup. On vient de concrétiser un jumelage entre une association de femmes de la tribu d’Unia et une de Ouaté, à Pouembout. L’an prochain, on se tourne vers la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Le consul du Vanuatu envisage aussi de mettre en place des jumelages entre des associations de femmes calédoniennes et vanuataises.

Notre principale volonté est de valoriser la terre coutumière, d’en faire un outil de développement du territoire.

Vous intervenez également auprès des scolaires ?

La deuxième priorité, après les mamans, c’est la jeunesse. J’effectue un gros travail à Houaïlou avec une classe de Segpa, et je suis agréablement surprise de ce que les élèves ont élaboré en peu de mois. J’ai aussi proposé des ateliers au centre de détention de Koné.

Plus largement, vous œuvrez à l’émergence d’une filière ?

Notre principale volonté est de valoriser la terre coutumière, d’en faire un outil de développement du territoire et des populations durable et équitable, respectueux du producteur et du consommateur. Les personnes intéressées peuvent d’ailleurs me contacter sur la page Facebook Ikapala. On planche aussi sur la création d’une école dédiée aux plantes, qui se trouverait à La Foa. L’objectif est de rassembler l’ensemble des connaissances au sein d’une base de données.

Cela ferait office de centre de documentation. Nous sommes accompagnés, dans cette démarche, par le Syndicat national d’herboristerie, afin d’obtenir l’agrément. La formation se ferait sur trois ans et serait validée par un diplôme d’herboriste. Un particulier pourrait aussi venir se former quelques jours sur une thématique qui l’intéresse. On envisage de sortir un programme en fin d’année pour l’année prochaine. Ce serait la première école ultramarine de ce genre.

Les plantes pour aider à se soigner ?

Oui, surtout vu le déficit de la Cafat. J’ai identifié une centaine de plantes qu’on peut très bien utiliser. Par exemple, pour les maux de tête, il y a le patchouli et une appelée doliprane. On en met juste une feuille dans de l’eau chaude et on boit, ça calme même la migraine. Ces végétaux sont reconnus. Je précise que je suis la réglementation et je suis assez carrée. Il y a des plantes pour lesquelles on a beaucoup de connaissances scientifiques et d’autres pour lesquelles il faut faire attention. L’automédication sans la connaissance a des limites. L’idée de l’école, justement, est d’expliquer les doses justes, les procédures.

Les plantes sont généreuse il faut en profiter.

Qu’en est-il de la relation avec le milieu médical ?

J’ai beaucoup de soutiens, de docteurs, d’ostéopathes, de chirurgiens, etc. On est dans une société où il y a du stress, des burnout, ce qui crée des maladies qu’on n’arrive pas forcément à soigner, c’est là où la médecine douce intervient. Elle sous-entend d’écouter les personnes et de prendre le temps. Les plantes médicinales peuvent favoriser le bien-être. Elles sont généreuses, il faut en profiter.

Vous avez aussi créé la marque Gardenia Cosmétique, qui valorise les différents usages de la plante, médicinal, cosmétique…

J’utilise uniquement des ressources naturelles et mes connaissances scientifiques, je mets en pratique le résultat de mes recherches. Je travaille beaucoup avec des associations de producteurs autochtones pour les matières premières et d’associations que j’ai formées pour la collecte des graines, le séchage, la qualité, etc. Moi, je réalise la formulation finale. J’ai développé 140 produits en cosmétique, maquillage (fond de teint, mascara, rouge à lèvres, fards à paupières), parfums (que je personnalise), compléments alimentaires (tisane, gélules…), soin et hygiène (dentifrice, etc.). J’envisage d’obtenir le label commerce équitable.

Quels sont vos produits phares ?

Il y a la tisane élimination des toxines, un complexe d’environ 12 plantes (romarin, thym, etc.) qui permet de rééquilibrer et nettoyer l’organisme lorsqu’on se sent épuisé, stressé. Et puis, il y a l’huile miraculeuse, un mélange d’extraits de plantes comme le tamanou, qui agit sur tout ce qui est rhumatisme, eczéma, etc. On est en train de finaliser des analyses en Nouvelle-Zélande afin de protéger la recette.

Propos recueillis par Anne-Claire Pophillat

 

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