Rugby : des mercenaires, « il y en aura toujours »

Vu de Métropole, le mercenaire est le joueur que l’on dit trop intéressé par l’argent, peu attaché à son club, signant chez le plus offrant. Sorti en 2016, le film de Sacha Wolff montre l’envers de cette étiquette. Il décrit les systèmes de recrutement, pas toujours vertueux, des clubs français. / © DR

« T’as pas un cousin, costaud comme toi, qui voudrait venir jouer chez nous ? » Cette phrase, les premier joueurs Calédoniens qui ont réussi en Métropole l’ont tous entendue. Autrefois unique canal de transfert, source de réussites mais aussi d’abandons, le réseau informel a perdu du terrain depuis la création du pôle espoirs, en 2017, mais ne semble pas appelé à disparaître.

Les succès des années 1990 promettaient l’avènement imminent des joueurs français du Pacifique. Il n’en fut rien, malgré des dizaines de départs pour la Métropole. « Dans les années 2000, ça partait dans tous les sens », se souvient Willy Taofifenua. « mais aucun joueur n’est sorti », à quelques exceptions près, comme Mikaele Tuugahala et Jocelino Suta, sélectionné à six reprises avec les Bleus. « Des joueurs qui n’avaient ni le niveau physique, ni technique, ni diplôme ont été envoyés. Quand ils ne faisaient pas l’affaire, le club les abandonnait. »

Malgré l’échec, la détresse parfois, tous ne rentraient pas au pays. « Chez nous, il y a une culture de la honte. On reste caché là-bas. On dit à la famille que ça va, et on travaille dans la sécurité, on se débrouille parce qu’on a aussi la culture du travail. » Les échecs en série s’expliquent selon lui par le virage du professionnalisme, officiellement pris en 1998 par la Ligue nationale de rugby. Le niveau métropolitain a explosé. La marche est soudainement devenue trop haute pour des joueurs s’entraînant une à deux fois par semaine à Nouméa.

LE SCOLAIRE, LE MÉDICAL ET LE PSYCHOLOGIQUE

Les premières tentatives de structuration ont été, à partir des années 2010, les partenariats entre clubs. Païta avec le Racing Metro, l’Olympique avec Lyon, Normandie avec le RC Toulon… Hétérogènes, souvent basées sur la venue annuelle d’un recruteur, ces ententes durent ou périclitent. Elles restent toutes « à la limite de la légalité », prévient Raphaël Steyer, responsable du pôle espoirs de Nouméa, structure fondée en 2017, devenue voie officielle d’accès au haut-niveau sous l’impulsion de Willy Taofifenua.

À Koutio, une vingtaine de garçons et filles suivent un programme hebdomadaire de 32 heures de cours et 13 heures de rugby. En moyenne, chaque année, quatre d’entre eux s’envolent pour un autre pôle espoirs labellisé par la fédération. « C’est la garantie d’une continuité du projet scolaire, et d’un suivi médical et psychologique », insiste Raphaël Steyer. Les départs via les clubs assurent « moins de stabilité » mais apportent eux aussi leur lot de réussites. « Il y a de bons projets. Les encadrants sont mieux formés qu’avant. Les gamins sont mieux préparés quoi qu’il arrive. »

Restent les vrais « départs à l’aventure », avec peu ou pas de préparation, vers des clubs qui recrutent des joueurs comme on engage des mercenaires. « On essaie de les minimiser, mais il y en aura toujours… Les deux systèmes cohabitent. » Car les chemins de traverse débouchent aussi, parfois, sur de belles carrières.

BEAUCOUP DE FORCE MENTALE ET UN PEU DE CHANCE

Fabrice Tao est parti du Mont-Dore en 2004, à 19 ans. Ni pôle espoirs, ni convention entre deux clubs. Il a très simplement rejoint son grand frère Roy au centre de formation d’Aubenas. Le premier hiver dans l’Ardèche a été rude, tout comme l’adaptation aux exigences du haut-niveau. « La première année, c’était vraiment dur. J’ai failli repartir. » Fabrice s’est accroché. Sa carrière professionnelle a duré plus de dix ans, d’Aubenas à Marmande en passant par Dax, en deuxième et troisième division. Il a fondé une famille, s’est reconverti. Un beau parcours pour celui qui, au pays, avait arrêté l’école et craignait de mal tourner. Entre sa réussite et l’échec d’un autre, à qui l’on aurait attribué le qualificatif péjoratif de mercenaire, le destin tient parfois à peu de choses. « C’est la vie d’un sportif professionnel. Il faut prendre le bon wagon, tomber sur l’entraîneur qui te fait confiance, éviter les grosses blessures… » Et ne pas croire toutes les promesses. « Les agents, je sais comment ils fonctionnent. Certains s’en moquent un peu. Ils essaient de gratter ce qu’il y a à gratter. Tu peux te retrouver dans un petit club de Fédérale 3 (la septième division, NDLR) alors que tu avais le potentiel pour jouer beaucoup plus haut. Il faut être bien entouré. »

Gilles Caprais

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