Rugby : Dumbéa, nurserie de champions

Le maillot du Stade toulousain dédicacé de Peato Mauvaka entre les mains du vice-président de l’URCD, Frédéric Hervouet, témoigne de cette incroyable réussite. / © B.B.

Peato Mauvaka, talonneur du XV de France âgé de 26 ans, a touché ses premiers ballons à l’Union rugby club de Dumbéa. L’association sportive a été créée en 2009 avec pour objectif de donner toutes les chances à ses jeunes licenciés.

La relève de Peato Mauvaka se prépare déjà. Loin des projecteurs de la Coupe du monde, des stades bondés, là où tout a commencé pour lui onze ans auparavant, une dizaine de joueurs et de joueuses pas encore sortis de l’adolescence suivent les instructions de Taofifenua Falatea, président de l’Union rugby club de Dumbéa (URCD). « Au sol ! », « Passe ! Passe ! ». Sa voix rauque tonne consignes et conseils deux à trois fois par semaine sur la pelouse du parc des sports de la commune. « On voit de suite ceux qui sont au-dessus des autres. Ils courent plus vite, comprennent plus vite le jeu », confie celui que tout le monde surnomme « Tao ».

L’entraîneur a l’œil pour ces choses-là. Pas seulement parce qu’il est le père de Yoram Moefana et le frère de Sipili Falatea, eux aussi dans les rangs des Bleus pour le mondial. L’ancien ailier né à Futuna a vécu l’aventure hexagonale dans les années 2000. En ce moment, il surveille deux « gamins » d’1,92 et 1,97 mètres. Donovan Niuhina et Taimana Ahscha viennent d’avoir 16 ans, dont six passés avec un ballon ovale entre les mains. Ils sont inscrits au pôle espoirs de Koutio. La structure créée en 2017, où l’URCD se targue d’envoyer le plus de représentants à chaque promotion, fait souvent office de pré-sélection. Les deux adolescents connaissent trop bien l’ampleur de la tâche. Ils n’ont pourtant qu’une seule idée en tête : « faire comme eux », leurs prédécesseurs dont ils peuvent suivre l’évolution à la télévision.

Taofifenua Falatea, président de l’URCD, a connu les départs en solitaire vers l’Hexagone pour jouer à un niveau professionnel. / © B.B.

Peato Mauvaka, talonneur du XV de France et du Stade toulousain, n’est que le premier d’une impressionnante liste qui commence en 2012. Rodrigue Neti, deux sélections en équipe de France, occupe le poste de pilier à Toulouse. Alexandre Manukula fait le bonheur de Montauban. Paulo Tafili monte en puissance à Lyon. Bernard Thévenot a récemment été sacré champion du monde militaire avec la sélection nationale. Et il ne s’agit là que de ceux passés par le centre de formation de la ville rose, qui compte cinq Calédoniens de Dumbéa sur 33 places. D’autres ont gagné Pau, Grenoble, Perpignan ou Castres, si on se contente du Top 14, le plus haut niveau du rugby français. « Beaucoup d’autres sont en Fédérale 1 ou 2. Ils n’auront pas la lumière sur eux, mais en ont pourtant fait leur métier », assure Frédéric Hervouet, vice-président du club.

« BANDE DE POTES »

Ces bons résultats s’expliqueraient par une véritable volonté de l’association. « Le projet de départ était de faire en sorte de ne pas garder les meilleurs. On voulait qu’ils découvrent le haut niveau. Pour l’atteindre, on s’est dit que nos jeunes devaient partir tôt. Ici, ils n’ont pas de compétition à partir de 16 ou 17 ans, parce que très peu de clubs jouent », résume Frédéric Hervouet. Cette « vision » s’est traduite par un partenariat avec le Stade toulousain dès 2012, qui a été remplacé par une convention avec l’AS Clermont en 2019. « Il y a douze divisions au-dessus de nous et nos gamins viennent prendre des places là-haut. C’est fou ! », s’amuse Taofifenua Falatea.

Au-delà de la préparation technique ou physique, l’URCD s’efforce surtout d’accompagner au mieux ses « gros bébés » que son staff pouponne jusqu’au départ. Marqué par la débrouille du début de sa carrière, son président cherche à leur éviter les mêmes galères en rabâchant aux familles d’obtenir des contrats ou des garanties. Nourris, logés, blanchis, instruits, tel est le credo de l’ancien cadre technique de la Fédération française de rugby (FFR). « On leur donne toutes les informations nécessaires pour qu’ils ne soient pas perdus à haut niveau. Qu’ils sachent quoi faire, même s’ils n’entendent plus ma voix sur le terrain. »

Aujourd’hui, de nombreux clubs hexagonaux zieutent la petite structure bénévole de Dumbéa qui partage ses vestiaires avec les équipes de football. Sa direction multiplie les visioconférences avec des entraîneurs nationaux pour garder le niveau. Le club, créé en 2009, n’en reste pas moins une « bande de copains » qui offre, sur son temps libre, une échappatoire à des adolescents et des adolescentes du territoire. « Quand les gens nous demandent pourquoi on passe autant de temps au club, on répond que des petits Peato, il y en a plein les quartiers », explique Frédéric Hervouet. S’ils ne brilleront pas tous au plus haut niveau, ils sortiront du terrain avec « un cadre et des valeurs » pour réussir leur vie.

Brice Bacquet

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