Nicolas Job : « On n’imagine pas la beauté des algues »

Pour l’exposition, les phycologues Claude Payri et Lydiane Mattio ont sélectionné dans les photographies de Nicolas Job des algues utilisées pour leurs recherches. / © Nicolas Job

Jusqu’au 1er octobre, l’artiste fait découvrir la beauté cachée des algues calédoniennes à travers son exposition Alga ! au musée maritime à Nouméa. Un travail qu’il mène depuis 2016 pour dévoiler cette biodiversité incroyable, mais sous-estimée.

DNC : Comment vient l’idée de photographier des algues ?

Nicolas Job : J’habitais en Bretagne, à la pointe du Finistère. Là-bas, il y a une biodiversité très riche en algues. J’ai commencé à faire des prises de vue sous-marines avec des ensembles d’algues. Très vite, des entreprises du secteur se sont intéressées à ce que je faisais. Ils m’ont demandé des espèces précises. J’ai commencé à rechercher des sites sur lesquels je pouvais trouver l’espèce en masse. C’est toujours plus joli de voir plusieurs spécimens, plutôt qu’un seul.

De fil en aiguille, je me suis rendu compte qu’il y avait une multitude d’algues qu’on ne remarque pas, en plongée ou en balade sur l’estran. On a tendance à se dire que c’est un tas d’algues marron, pourries et qui ne sentent pas très bon. Mais quand on regarde à l’intérieur, on observe des petites algues rouges qui sont comme de la dentelle, on voit de belles algues vertes ou brunes.

Je me suis aperçu que toutes ces couleurs et ces formes étaient très peu mises en valeur. On mettait en avant le côté négatif des algues, leur richesse par leur morphologie n’intéressait pas. C’est une biodiversité très complexe et très riche.

Les algues ont toute une palette de couleurs magnifiques.

Comment les photographiez-vous ?

J’ai monté le projet Seaweed Biodiversity [biodiversité des algues, ndlr] pour faire un studio mobile pour les prélever et les photographier. Très vite, une algue flétrit. J’ai dû mettre en place tout un procédé pour récupérer ces algues rapidement et pouvoir les photographier de manière à garder leur couleur, leur texture et leur forme.

En studio, on a des couleurs qu’on ne peut pas faire ressortir sous l’eau. Par exemple, le rouge disparaît complètement après 1 mètre de profondeur. Le rouge des algues est très difficile à faire ressortir, parce qu’il faut beaucoup de lumière.

Qu’est-ce qui vous plaît dans ces végétaux ?

J’aime découvrir de nouvelles formes, couleurs et textures que je n’ai pas encore vues. Les algues ont toute une palette de couleurs magnifiques. Les rouges peuvent être très foncés, les verts éclatants. Elles ont des formes complètement différentes. Certaines sont très piquantes, très dures. À l’inverse, d’autres sont très molles et gélatineuses.

J’aime beaucoup par exemple le nereocystis, une algue brune américaine qui peut faire jusqu’à 40 mètres de long. C’est une tige qui se termine par une boule parfaite avec au bout trois frondes, l’équivalent de feuilles. On n’imagine pas la beauté des algues. Cela a été rarement mis à la lumière du jour. Sous l’eau, on ne se rend pas compte de cette diversité.

Ce projet vous a fait voyager un peu partout. En comparaison, la Nouvelle-Calédonie est-elle un lieu intéressant pour les observer ?

En Bretagne, j’ai photographié 70 espèces. Je suis parti 15 jours en Californie, à Monterey, un haut lieu pour les algues. On retrouve toutes celles du nord et du sud de la côte ouest des États-Unis. Toutes les espèces s’y rencontrent. Je suis ensuite arrivé en Nouvelle-Calédonie par choix personnel. Ici, la biodiversité est aussi très importante.

À la différence de la Nouvelle-Zélande, de la Californie ou de la Bretagne, on retrouve rarement des champs d’algues, hormis quelques espèces comme les sargasses. La difficulté est de trouver l’endroit où l’on va observer une algue précise. Cela reste un lieu très riche et très varié avec des petites algues, des algues encroûtantes ou vertes.

Une photo aide à comprendre ce que le scientifique tente d’expliquer avec des mots.

Pourquoi en faire une exposition ?

Depuis une vingtaine d’années, il y a une prise en compte de ce que les algues peuvent nous apporter dans de nombreux domaines. En cosmétique, en pharmacologie… L’exposition n’est pas rattachée aux utilisations des algues. Par contre, l’objectif est de sensibiliser. Quand les gens iront se balader sur la plage, ils prendront le temps de regarder les algues et de s’apercevoir que ce ne sont pas que des végétaux en décomposition qui “sentent mauvais.

Ce travail a aussi une finalité scientifique. Comment peut-il contribuer à la recherche ? Pendant longtemps, la science a boudé l’aspect artistique. Pour moi, on ne peut pas intéresser le grand public par des textes et des noms scientifiques. L’image permet d’attiser la curiosité. Une photo permet de voir de ses propres yeux. Elle aide à comprendre ce que le scientifique tente d’expliquer avec des mots. Le travail de vidéo et de photographie est capital pour la recherche.

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