Mines sous-marines : dans le Pacifique, « difficile d’avoir une position commune »

« On réagit à une proposition de politique publique en fonction de son expérience », énonce l’anthropologue Pierre-Yves Le Meur (IRD), qui explique ainsi l’opposition de la Nouvelle-Calédonie aux mines sous-marines. (© G.C.)

L’Institut de recherche pour le développement (IRD) a organisé du 19 au 21 mars une « plateforme de dialogue régionale » sur les grands fonds marins. Contrairement à la Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna, Nauru et les îles Cook comptent exploiter les métaux des profondeurs.

Faut-il exploiter le manganèse, le cobalt, le nickel des profondeurs ? Faut-il ne serait-ce qu’explorer le lit de l’océan ? Ces questions étaient au cœur de la première plateforme océanienne d’échanges sur les grands fonds marins, organisée par l’IRD et financée par le secrétariat d’État chargé de la Mer. Dans l’assemblée, les ministres, coutumiers, associatifs et autres représentants de 15 territoires ont apporté des réponses très diverses.

Du côté du pays hôte, la position du gouvernement est établie depuis juillet 2023. Le texte que soumettra prochainement Jérémie Katidjo Monnier au Congrès est un moratoire de 10 ans sur l’exploitation de nos éventuelles richesses marines – encore très mal connues. Seule l’exploration purement scientifique, destinée à l’amélioration de la connaissance, serait acceptée.

Cette position a reçu un vibrant soutien de la part des représentants de Wallis-et-Futuna, qui ont souligné les effets dévastateurs du changement climatique pour les pays du Pacifique. « On a commis l’erreur, hier, d’abuser de l’exploitation industrielle, dans un esprit de compétition, d’économie. On devrait se servir de nos erreurs pour adopter une position plus sage aujourd’hui », plaide le sénateur Mikaele Kulimoetoke, conscient que ses arguments ne suffiront pas à convaincre tous les États. « On n’est pas dans la même situation, on n’a pas le même statut, la même vision des choses, les mêmes intérêts. Donc il est très difficile d’avoir une position commune. »

LE RÊVE NORVÉGIEN

Les îles Cook font partie des quelques pays qui envisagent très sérieusement l’exploitation. Travaillant sur le sujet depuis 2009, le gouvernement s’est doté – chose rare – d’une autorité nationale des ressources minérales sous-marines. « Nous n’avons pas assez de données scientifiques pour prendre une décision éclairée. Nous avons clairement indiqué aux entreprises candidates que la charge de la preuve leur revient. À elles de nous prouver qu’elles peuvent exploiter les fonds marins dans des conditions sûres pour l’environnement », tempère Alex Herman, directrice de la Seabed Minerals Authority.

À travers le monde, elle voit des industries minières « qui n’ont pas été bien gérées, qui n’ont pas profité à la population », mais aussi des exemples comme celui de la Norvège, modèle de gestion de la fortune issue du pétrole et du gaz, que les îles Cook, 15 000 habitants et aucune mine terrestre, aimeraient imiter. « Le niveau de vie peut fortement augmenter. Dans l’éducation, la santé… Il y a énormément de bénéfices lorsque les ressources sont bien gérées. »

DES DÉBATS AU GRAND JOUR, C’EST DÉJÀ ÇA

Quelles que soient les divergences, l’anthropologue Pierre-Yves Le Meur est ravi que ces discussions se déroulent dans un espace public et non dans les coulisses chères aux lobbies. « On peut critiquer la position des îles Cook, relever des faiblesses… Mais leur processus est relativement transparent. Ils n’avancent pas masqués. » Le représentant de l’IRD invite à ne pas minimiser les points de convergence, sur la volonté de protection de l’environnement en particulier. « Les pays du Pacifique font tout pour conserver une certaine unité océanienne. Ils savent bien qu’entrer dans une logique de divergence, c’est rendre chacun plus fragile, notamment face à des entreprises, dans le cas de la mine. »

La plateforme de dialogue connaîtra une suite en fin d’année en Polynésie française, et Pierre-Yves Le Meur en espère d’autres, au-delà des financements accordés à l’IRD par l’État. « Il faudrait certainement que les pays se saisissent du sujet. Le plus simple est peut-être de créer ces espaces multi-acteurs en lien avec les organisations régionales. Je pense que ce serait extrêmement utile. »

 

NAURU, DÉCIDÉE À EXPLOITER

Représentée à la conférence, Nauru a entamé dès 2021 des démarches auprès de l’Autorité internationale des fonds marins et vise la zone lointaine de Clarion-Clipperton, située entre Hawaï et le Mexique, dont les plateaux compris entre 4 000 et 6 000 mètres de profondeur semblent particulièrement riches en nodules polymétalliques.

Son partenaire industriel, le groupe canadien The Metals Company, mène actuellement une exploration et espère procéder à l’exploitation à partir de 2025. Nauru, île de 13 000 habitants dépourvue d’atout économique majeur depuis la fin de l’exploitation du phosphate, dont les traces recouvrent une grande partie de ses 21 km2, est à la recherche de revenus alternatifs.

 

Gilles Caprais