Des végétaux mal-aimés et pourtant si fascinants

© J.-L.Menou / IRD

Si elles renvoient souvent une mauvaise image lorsqu’elles s’échouent sur les plages, les grandes algues restent indispensables à la biodiversité. En Nouvelle-Calédonie, elles constituent une grande richesse avec presque autant d’espèces qu’en mer Méditerranée.

Dans la famille des végétaux peu ou mal considérés, je demande : les algues. Et toutes sans exception. Rouges, vertes, brunes… Elles finissent souvent (et à tort) dans le même panier. Leur mauvaise réputation leur colle aux filaments. « On a dans l’esprit les grands échouages, les grandes marées vertes, les algues qui viennent s’accrocher aux filets des pêcheurs », reconnaît Claude Payri, directrice de recherche à l’IRD et spécia- liste des algues (phycologue pour les connaisseurs).

Et pourtant, ces organismes vivants sont fascinants. Déjà dans leur constitution : ni racines, ni feuilles, ni fleurs, ni vaisseaux, ni graines, peut-on lire au cours de nos différentes recherches. Une description par la négative assez « simpliste » pour Claude Payri qui cacherait la complexité de ce qu’elles incarnent en réalité. Alors, qui sont-elles ? « Ce sont des organismes qui font la photosynthèse et fabriquent de la matière organique à partir de l’énergie solaire et du dioxyde de carbone. L’appareil végétatif de ces végétaux est un thalle. »

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Les algues développent des formes et des tailles extrêmement variées, mesurant quelques millimètres jusqu’à plusieurs dizaines de centimètres. En deux mots : elles sont un chaînon indispensable des réseaux trophiques (alimentaires). « Ce sont des producteurs primaires et des éléments déterminants dans les cycles de l’oxygène et du carbone », précise la spécialiste. Sans parler du rôle écologique des algueraies qui constituent des abris pour de nombreuses espèces.

UNE RICHESSE « INSOUPÇONNÉE »

Donc, contrairement à ce que l’on pouvait penser, les grandes algues ont tout pour plaire. Et encore une fois, la Nouvelle-Calédonie n’est pas en reste dans ce domaine. Surtout lorsque l’on sait qu’entre 7 000 et 15 000 espèces de macroalgues sont connues dans le monde et qu’il en existerait ici plus d’un millier. « C’est beaucoup, c’est presque autant qu’en Méditerranée. » Les premières estimations publiées en 2007 portent le nombre d’espèces à 443. Les outils modernes, et notamment la génétique, ont mis en lumière cette richesse « insoupçonnée ».

Cette diversité s’explique sans surprise par la position géographique de la Nouvelle-Calédonie et son histoire géologique. Pas très loin de l’épicentre de biodiversité que constitue le Triangle de corail entre les Philippines, la Malaisie et la Papouasie. Aussi, le territoire « jouit de conditions climatiques contrastées entre le nord tropical et le sud subtropical à tempéré qui concourent à une diversité importante de la flore marine », partage Claude Payri. À l’inverse des algues bretonnes, les nôtres sont discrètes. Pas toujours facile de les observer à coup sûr dans les récifs.

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En revanche, lorsqu’elles deviennent anormalement abondantes, c’est souvent signe d’un déséquilibre dans l’environnement : rejet d’eaux usées non traitées, surpêche de poissons herbivores, etc. On se souvient encore des marées d’algues vertes sur le littoral de Poé en 2018 suite à des épandages importants d’engrais. « Ces dysfonctionnements ont souvent pour origine les activités humaines mal contrôlées et ces phénomènes sont aggravés par les changements climatiques qui affectent la biologie des espèces et le fonctionnement des écosystèmes », souligne la chercheuse.

ALLIÉES DES SCIENTIFIQUES

Les algues sont de vraies alliées de la communauté scientifique, mais restent un groupe biologique négligé. On ne leur accorde que peu d’intérêt par rapport aux poissons, coraux et mollusques. « Nous sommes aveugles au sort des plantes en général et des algues en particulier, sans doute parce que nous avons du mal à les repérer, à les identifier… ». C’est pourtant le moment ou jamais de faire connaissance avec ces spécimens. De tenter une approche avec ces végétaux qui seront, eux aussi dans un futur proche, affectés par le changement climatique.

Edwige Blanchon

MACRO OU MICRO ?

Les macroalgues désignent les grandes algues qui se développent accrochées à un support rocheux ou ancrées dans le sable. On dit qu’elles sont benthiques. « Seules les grandes sargasses de la mer du même nom dans l’Atlantique nord vivent et se développent librement dans l’eau et sont pélagiques comme les microalgues qui constituent le plancton », explique la scientifique. Les microalgues sont, quant à elles, microscopiques et constituées d’une seule cellule.

VINGT ANS DE RECHERCHE INTENSIVE

En Nouvelle-Calédonie, l’IRD collecte, étudie et recense depuis plus de 60 ans l’extraordinaire diversité des algues. L’inventaire, initié dans les années 1980, s’est intensifié au cours des 20 dernières années avec de nombreuses campagnes scientifiques à bord du navire océanographique Alis.

Des milliers de spécimens ont été récoltés et constituent aujourd’hui « une collection unique en son genre », riche de près de 35 000 spécimens conservés sous forme de planche d’herbier, dont la moitié provient d’autres régions du Pacifique mais également de l’océan Indien et des Caraïbes.

Ces collections ont alimenté le travail de six étudiants en thèse représentant 20 ans de recherche intensive. Et bien qu’il est question « de spécimens morts, ces collections continuent de vivre ».

 

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