[DOSSIER] Patrice Faure : « Le changement passera par l’éducation »

Le haut-commissaire constate que la stratégie actuelle des pouvoirs publics ne parvient pas à mettre un terme à la situation « catastrophique » de la sécurité routière. Il envisage des innovations : éthylotest au démarrage, stage obligatoire pour les délinquants de la route, travaux d’intérêt général… Mais les progrès viendront surtout de « l’éducation ».

DNC : Comment qualifieriez-vous la situation de la sécurité routière en Nouvelle-Calédonie ?

Patrice Faure : La situation est catastrophique. Si l’on se compare aux statistiques de Métropole, on devrait avoir entre six et huit morts par an. Tout n’est pas comparable, le relief n’est pas le même partout en France, mais pour autant, l’immense majorité des accidents ont lieu sous l’empire de l’alcool, de stupéfiants. On voit bien qu’il y a encore beaucoup de choses à faire pour essayer de résoudre ces problèmes.

Globalement, comment comptez-vous agir ?

L’ensemble de mes actions est tourné vers les victimes et leurs familles, et vers cette jeunesse qui fait fi des règles élémentaires du Code de la route. C’est une action déterminée que je souhaite mener pour contrer cette dynamique inepte, destructrice.

Faut-il définir des objectifs chiffrés ?

Cinq morts, ce serait cinq morts de trop. Il faut créer les conditions pour qu’il n’y ait pas de morts. Nombre de choses ont été faites par mes prédécesseurs, par les gouvernements successifs. On voit bien que tout ne fonctionne pas. On ne peut pas retirer le permis à quelqu’un qui ne l’a pas, ni lui saisir un véhicule qui a été volé. Souvent, les conducteurs sont de jeunes mineurs, donc difficiles à incarcérer, et parfois multirécidivistes. Que voulez- vous qu’on leur fasse ? Évidemment, on fait des procédures judiciaires, mais cela n’apporte pas de solution de fond. Nous devons adapter notre action à la réalité du terrain. Je sais bien que certains grognent parce que j’affiche les lieux de contrôle sur les réseaux sociaux — pas tous, il y aussi les contrôles inopinés — mais je le fais pour éviter les morts.

Je sais bien que certains grognent parce que j’affiche les lieux de contrôle sur les réseaux sociaux — pas tous, il y aussi les contrôles inopinés — mais je le fais pour éviter les morts.

Que peut-on attendre du conseil calédonien de sécurité routière ?

Il n’avait pas été réuni depuis quelques années, il était important pour moi de le faire. J’ai beaucoup apprécié que Gilbert Tyuienon et le gouvernement se saisissent du sujet. En ce qui concerne l’éducation : 70 % d’une classe d’âge rate le Code, et une majorité de ces jeunes ne le repasse pas et n’aura donc jamais le permis. On peut imaginer un Code qui comporterait plusieurs modules, répartis sur plusieurs classes du collège, et une ultime partie qui serait passée dans une auto-école. Concernant les adultes qui conduisent sans permis et alcoolisés, cela fait des années que l’on s’acharne pour les faire rentrer dans le droit chemin. Force est de constater que l’on ne réussit pas tout à fait. Il me semble donc opportun de jouer sur les plus jeunes, pour que les enfants éduquent leurs parents. Le changement des comportements passera par l’éducation.

les adultes qui conduisent sans permis et alcoolisés, cela fait des années que l’on s’acharne pour les faire rentrer dans le droit chemin. Force est de constater que l’on ne réussit pas tout à fait.

De nombreux accidents mortels ont lieu sur de petites routes, en Brousse, la nuit. Au niveau des contrôles routiers, comment faire ?

On ne contrôle pas que dans le Grand Nouméa, soyez rassuré ! On n’a jamais eu autant de contrôles routiers depuis que je suis arrivé, et sur toutes les routes. Il faudrait que nous affichions sur une carte les zones réputées dangereuses. Il y a le col de la Pirogue, mais ce n’est pas la seule. Cela permettrait aux collectivités de prioriser les grands travaux. Nous pouvons les aider via les contrats de développement. Par ailleurs, j’ai proposé à Gilbert Tyuienon de rendre obligatoire sur une partie du parc automobile – les poids lourds, pour commencer – un éthylotest au démarrage du véhicule.

Vous avez évoqué des alternatives aux peines de prison. Dans quels cas les appliquer ? En quoi consisterait la peine ?

En complément des peines pour délits routiers, un stage obligatoire est en cours de préparation avec la justice. La Nouvelle-Calédonie envisage par ailleurs de renforcer son dispositif de sanctions administratives, avec des amendes pécuniaires importantes, ou encore une saisie définitive des véhicules. Une peine de travaux d’intérêt général sera également étudiée. Je pense que dans ce territoire, nous pouvons concevoir toute une panoplie de peines alternatives : du reboisement, de l’accompagnement de la jeunesse, des cours… Celui qui a fauté paierait, mais rendrait service à la société, qui a des besoins. Un enseignant, un chef d’entreprise, un agriculteur peuvent se rendre utiles, et cela permettrait à la personne d’être valorisée.Quant aux conditions d’affectation de la peine alternative, je fais confiance à la justice pour déterminer des critères objectifs.

Propos recueillis par Gilles Caprais

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