Cancer et accès aux soins : le double combat d’Agnès

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Agnès, 63 ans, lutte contre la maladie qui lui a été diagnostiquée en début d’année et contre la menace de fermeture qui pèse sur certains services de soins dans le Nord.

Le verdict tombe le 15 février. Agnès se souvient encore de ce jour où tout a basculé. Après avoir découvert une grosseur au sein qui l’oblige à consulter son médecin. Mammographie, scanner, biopsie, échographie s’enchaînent. L’habitante de Koumac apprend qu’elle est atteinte d’un cancer. Un carcinome infiltrant très agressif. « On se prend une claque dans la figure. Vous découvrez un autre univers, celui de la maladie, la longue maladie. » Le temps d’avoir les résultats des examens et analyses, Agnès se retrouve dans « le flou ».

Son cas doit passer en commission afin de décider du meilleur traitement. Elle reste un mois et demi dans le doute le plus total. Elle ne sait pas si elle doit se préparer à partir vers l’Australie pour réaliser un PET-scan (méthode qui permet de détecter une tumeur cancéreuse ou des métastases et à surveiller leur évolution), sachant que le territoire en est démuni. Le temps lui paraît horriblement long.

Ce qui empoisonne la vie, c’est la douleur incessante

Finalement, elle effectue le déplacement au dernier moment en décalant sa première chimiothérapie. « Tous ces examens sont donnés à la dernière minute, c’est-à-dire la veille pour le lendemain et nous n’avons pas de temps pour nous organiser. Mon mari travaille dans le Sud et nous n’avons aucune marge de manœuvre pour qu’il puisse remonter à Koumac », confie-t-elle. Une fois arrivée en Australie, son rendez- vous confirme qu’elle n’a pas de métastases. Un vrai soulagement, même si une autre étape éprouvante commence.

« ON PERD SON IDENTITÉ, SA FÉMINITÉ »

Son parcours de combattante débute le 30 mars avec la chimiothérapie. Son corps en prend « un sacré coup » dès la première séance. « Trois jours où le corps et la tête sont en ébullition », raconte-t-elle. La chute des cheveux arrive très vite ainsi que celle des cils et sourcils. Agnès ne se reconnaît plus. « On perd son identité, sa féminité, on ne ressemble à rien. »

Les nombreux effets secondaires dus au traitement et aux médicaments prescrits (anti-inflammatoires, anti-vomtifs etc.) sont d’autant plus difficiles à supporter : perte de poids, fatigue permanente, aphtes, muqueuses fragilisées, perte d’odorat, de goût et d’appétit, baisse de la vue… « Et ce qui empoisonne la vie, c’est la douleur incessante causée par tous les effets auxquels s’ajoute le syndrome mains-pieds. La peau est très irritée. » Ses mains, ses genoux et ses pieds sont brûlés. Elle n’en peut plus de la souffrance permanente. « La chimio détruit le cancer mais détruit notre corps également avec une baisse importante des plaquettes, des globules rouges et des globules blancs. On est plus que douleur et fatigue. »

10 HEURES DE TRAJET

Agnès est désormais dans l’attente d’une opération, déjà reportée deux fois pour insuffisance de plaquettes. Elle espère que la date fixée fin octobre sera la bonne. « Il y a une accalmie. Je veux profiter de ce moment pour être opérée tranquillement. » Il lui reste encore huit séances d’immunothérapie et un nombre pas encore défini de radiothérapie. Traitement qu’elle devra suivre obligatoirement à Nouméa. « Je pourrais remonter le week-end, mais quand même, cela reste lourd. Il ne faut pas oublier qu’on est malade, mais qu’on a une vie ! On avait une vie avant. Si je descends à Nouméa, il faut que mon mari remonte pour s’occuper des animaux. C’est compliqué de s’organiser. »

Jusqu’à présent, elle avait pu rester en grande partie à côté de chez elle. Alors, quand le Centre hospitalier du Nord a fait savoir fin juillet que certains de ses services de soins pourraient être mis à l’arrêt en septembre pour des raisons financières, son sang n’a fait qu’un tour. « Compte tenu de notre état, il nous est très difficile, voire impossible de faire des allers-retours sur Nouméa, même si nous profitons d’un transport VSL ou d’une ambulance. »

Comment peut-on négliger la souffrance des populations du Nord et leur faire ce chantage ?

Elle, par exemple, doit se lever à 2 heures du matin pour partir à 3 heures et arriver à 8 heures. Après l’entretien avec l’oncologue, les injections de chimiothérapie ou l’immunothérapie (séances qui durent entre 1 heure et 3 heures), s’ajoute le trajet de retour. « Au total, 10 heures de voiture en condition optimale. » Pour les personnes qui vivent en tribu reculée ou dans la chaîne, il faut compter 2 à 3 heures de plus. Les habitants du Nord concernés par la maladie se voient infliger une double peine. « Comment peut-on négliger la souffrance des populations du Nord et leur faire ce chantage ? » Fin juillet, Agnès lance un message d’alerte qui est repris par l’association Oktobre rose (lire ci-contre) mais aussi par l’artiste Lexy Lence sur les réseaux sociaux. Les patients sont fixés le 31 août.

UNE ÉPÉE DE DAMOCLÈS AU-DESSUS DE LA TÊTE

Les services ne fermeront pas, du moins pas maintenant. Nouveau ouf de soulagement. « Les hôpitaux du Nord ont de très bons services de chimio notamment à Koumac, avec du personnel tout aussi compétent qu’à Nouméa. Ils font un excellent travail de soin et d’écoute dans une ambiance détendue avec sourire et bonne humeur, ce qui est très important pour nous, pour que la chimio nous soit moins pénible. »

Pour rien au monde elle n’aurait voulu perdre cette proximité, ce cadre intimiste et cette équipe qui la suit. « Moins nous subissons de stress et de fatigue supplémentaires, mieux c’est pour notre organisme. Je tiens à les remercier de tout ce qu’ils nous apportent tant médicalement qu’humainement. »

En chiffres

En août 2023, environ 60 patients étaient en chimiothérapie en province Nord. Une trentaine de femmes seraient concernées actuellement par un cancer du sein dans le Nord.

 

Elle et les autres habitants du Nord vivent toujours dans la peur, l’angoisse, d’une nouvelle annonce de fermeture. « Je peux vous assurer que nous, malades, n’avons nullement besoin de cette épée de Damoclès perpétuellement au-dessus notre tête. »

Edwige Blanchon

 

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