« Son souhait était vraiment de partir »

Jacques et sa compagne Wagesso pendant leur dernier voyage en Europe en 2019 : un arrêt à Heidelberg lors d’une croisière entre Amsterdam et Strasbourg. Ce souvenir, « papa m’en a souvent reparlé dans ses derniers jours avant de la rejoindre », témoigne son fils, Sébastien Chêne. / © DR

Sébastien Chêne a accompagné son père vers la fin de sa vie, l’année dernière. Jacques Chêne, souffrant d’un cancer du poumon, lui a demandé de l’aider à « programmer son départ ». Un choix pour lequel « la famille a dû se battre », alors qu’elle aurait préféré être « écoutée ».

« On aimerait que ce moment fasse parti de la vie. » Le départ de son père, le 26 juillet 2022, à l’aube de ses 80 ans, des suites d’un cancer du poumon, n’a pas été aussi apaisé que ce que Sébastien Chêne attendait.

En juin, les médecins annoncent l’échec des traitements – la chimiothérapie et l’immunothérapie n’ont rien donné – et évoquent sa fin de vie. Se sachant condamné, Jacques Chêne refuse l’hospitalisation. Il a, en mémoire, la douleur endurée par sa compagne, Wagesso, atteinte d’une leucémie et en soins palliatifs à domicile, partie quelques mois plus tôt.

Déterminé à ne plus souffrir, Jacques Chêne manifeste le souhait de « quitter le monde » et de « pouvoir maîtriser la sortie ». Il demande à son fils, en Métropole depuis cinq ans, de se renseigner sur l’aide à la fin de vie. « Il voulait programmer son départ et dire au revoir dans les meilleures conditions possibles. »

Sébastien Chêne prend contact avec la Belgique. La démarche, nécessitant des rencontres et des discussions, s’avère trop compliquée à suivre depuis la Nouvelle-Calédonie. Émerge alors la solution représentée par la loi Claeys-Leonetti, qui permet une sédation profonde et continue jusqu’au décès.

« IL ÉTAIT HEUREUX »

Père et fils adhèrent à l’Association de soutien au droit à mourir dans la dignité, qui leur donne les documents à remplir, la fameuse directive anticipée. Jacques Chêne formule une requête : que la date de départ soit fixée pendant que Sébastien et ses deux sœurs sont à ses côtés afin « de s’en aller en étant ensemble ». « On est conscients que cela signifie ne plus jamais se revoir. »

Dans un premier temps, les médecins n’accèdent pas à la requête. « Je les ai senti heurtés par le choix d’une date, comme si ça ressemblait pour eux à une euthanasie. » Sébastien Chêne rencontre les soignants, qui refusent de « prendre en considération la décision de mon père », à plusieurs reprises, « entraînant une sorte de dialogue de sourds ». À domicile, Jacques est sous « sédation légère », afin de lui permettre de mieux supporter la situation. Cela le met « dans le cirage, il rencontre de grosses difficultés à sortir de son lit, il a de moins en moins d’énergie. C’est assez difficile à vivre pour lui ».

Les doses de sédation augmentent progressivement. L’ancien sportif se lève de moins en moins, dort beaucoup et se déshydrate. « Le simple fait de boire est une épreuve, il faut relever le dossier du lit, ce qui lui fait mal, et on l’aide avec une sorte de biberon. Je l’accompagne aux toilettes parce qu’il ne se déplace quasiment plus, il peut s’écrouler à tout moment. Il perd sa mobilité et ne s’alimente plus. » Il « décline très vite » et maigrit à vue d’œil, en quelques jours seulement.

MIEUX « ENTENDRE LE PATIENT »

L’équipe médicale accepte enfin sa dernière volonté : la sédation profonde. Quand le médecin lui annonce, la réaction de Jacques est immédiate, se rappelle son fils. « Il a dit : ‘‘Je vais enfin pouvoir partir parce que je n’en peux plus. J’ai trop de douleurs.’’ Il était heureux. » À son chevet, Sébastien et ses deux sœurs le veillent toute la nuit, injectant régulièrement des doses de produit. Ce sera sa dernière. « Il est décédé comme il le voulait. » Entouré de sa famille.

Cet accompagnement, Sébastien Chêne n’a jamais hésité à l’offrir à son père. Par amour. « On est solidaire, ce que veut la personne, c’est ce qu’on veut aussi. C’était quelqu’un de très actif, il ne voulait pas que ça dure trop longtemps. Son souhait était vraiment de partir. »

En revanche, Sébastien Chêne aurait aimé que le désir de son père soit mieux pris en compte par l’équipe médicale et, surtout, que le malade bénéficie d’une « écoute la plus attentive possible ». Une attitude sans doute rendue difficile par le « le tabou de la mort, qui nous perturbe ». Obtenir le respect du choix de son père a nécessité beaucoup d’énergie. « C’était ma manière de l’aider, d’aller jusqu’au bout de ce qu’on pouvait faire. Je n’ai jamais relâché la pression et fait valoir la demande le plus fermement possible. »

Pourtant, la loi encadre la démarche. « Mais pour l’appliquer, il faut se battre. Or, il faut en avoir la possibilité. Nous étions là avec mes sœurs, mais sinon ? » C’est bien cela qui doit changer, selon Sébastien Chêne, « la capacité à entendre le patient », à le soutenir. « J’aurais préféré entendre dès le début, ‘‘on va faire ce que vous voulez’’, cela aurait été plus facile. »

Anne-Claire Pophillat