Débat sur la fin de vie : « Notre rôle n’est pas de tuer »

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Le Dr Angélique Ayon est chef du service des soins palliatifs du CHT. Elle évoque son expérience quotidienne de la fin de vie, les outils pour soulager et accompagner les patients, les limites dans l’accessibilité aux soins, et son sentiment sur une éventuelle évolution de la loi.

DNC : En quoi consistent les soins palliatifs ?

Dr Angélique Ayon : Le service concerne les patients qui ont des maladies incurables dirigés vers nous par des spécialistes. 70 % relèvent de l’oncologie, 30 % de la neurologie, de maladies hématologiques ou gériatriques. Ce sont des patients qu’on ne guérira pas, mais pour lesquels on va pouvoir ralentir les effets de la maladie, améliorer le confort grâce à des traitements spécifiques. Nous avons des infirmières, un médecin, des psychologues et même un ethno-psychologue. Nous les prenons en charge le plus tôt possible, en amont de la fin de vie, pour les connaître et les accompagner au mieux. Pour ceux qui sont hors hôpital ou qui sortent de l’hôpital, on travaille avec les infirmières du réseau de soins palliatifs. Le réseau peut faire intervenir le médecin traitant, le médecin de la clinique et quand la situation devient difficile, ils font appel à nous.

Quand peut intervenir la sédation ?

Quand le patient souffre trop, qu’il a un pronostic à quelques jours, il arrive qu’on applique la sédation profonde et continue jusqu’au décès. On va endormir le patient, lui donner un traitement antalgique, arrêter la nutrition assistée ou l’hydratation artificielle, et il partira endormi de sa maladie. Ensuite, on a un niveau moins profond de sédation, réversible et proportionné. Par exemple, quelqu’un qui est hyperdouloureux pendant la toilette, mais qui, le reste de la journée, arrive encore à communiquer, on va l’endormir pour ce moment uniquement.

Qui décide de cela ?

La sédation réversible et proportionnée est une décision médicale. La sédation profonde nécessite si possible que le patient ait fait ses directives anticipées. S’il ne peut plus s’exprimer, il a pu désigner une personne de confiance qui parlera à sa place. Et si on n’a pas ces éléments, il y a la famille, puis les proches, dont les amis. On prend cette décision dans le cadre d’une réunion éthique de concertation pluridisciplinaire avec un deuxième médecin, étranger à la situation. S’ils sont à domicile, le médecin traitant et l’infirmière sont dans la boucle. Dans les situations plus difficiles où il faut faire les choses vite, on est déjà sur des sédations ponctuelles et on va proposer au patient la sédation profonde.

Quel poids ont les familles ?

Elles sont évidemment concertées, mais on ne fait pas ce que veulent les familles ou les avocats. On va faire ce que souhaite le patient et on va essayer d’avoir le maximum d’informations à ce sujet. Dès le départ, on apprend à évaluer la dynamique. Comment la famille est organisée, qui prend les décisions, qui pourrait être notre référent. L’aspect culturel est aussi à prendre en compte pour mieux entrer en connexion, pour que tout le monde soit à l’aise. Chaque patient est différent avec son cortège familial, son vécu, sa culture.

Il se dit parfois que vous maintenez les gens en vie, inutilement…

Ça je ne sais pas faire ! Ce que nous faisons, c’est accompagner jusqu’à ce que la maladie l’emporte. Et on a des familles qui ont besoin, pour pouvoir faire leur deuil, d’accompagner leur proche. Pour beaucoup, ça devient un voyage collectif, nécessaire. Après, certaines se sentent prêtes et il y a des situations qui durent, des proches qui n’en peuvent plus. Mais nous ne sommes pas là pour abréger la vie des patients. Notre rôle n’est pas de tuer. J’ai fait le serment d’Hippocrate de venir en aide à tous les patients et dans ce serment on nous dit : « tu ne tueras point ».

Vous avez des demandes d’euthanasie ?

Oui, quelques-unes. De patients souffrants physiquement et psychiquement. On discute, on expose la loi, on les écoute. À partir de là, on les accompagne pour qu’ils souffrent nettement moins. Et alors, souvent, ils veulent vivre des dernières choses. Ce n’étaient pas des patients qui avaient forcément envie de mourir mais qui étaient dans une telle souffrance qu’ils voulaient arrêter de vivre.

Est-ce que le milieu médical a les moyens de bien accompagner sur tout le territoire ?

Je dirais que par comparaison, la Nouvelle- Calédonie est plutôt bien dotée. En France, un tiers des départements ne possèdent pas de soins palliatifs. On a une unité et une équipe mobile intra-hospitalière, des lits de soins palliatifs identifiés au CHS, à la clinique, des lits à Koumac et au Pôle santé Nord à Koné avec un médecin formé. Mais quasiment tous les moyens sont concentrés sur la province Sud. Le réseau de soins palliatifs couvre Nouméa, Grand Nouméa. L’idée est de développer au moins une équipe mobile qui se consacrerait à l’extérieur. Il faudrait aussi qu’on travaille sur la formation des médecins traitants pour qu’ils puissent accompagner leurs patients à domicile. Ça impliquerait la cotation spécifique de cette prise en charge qui n’existe pas. Les sédations à domicile passent par nous automatiquement. Sinon, le patient est pris en charge en dispensaire avec qui nous sommes en lien.

La loi doit-elle évoluer ?

On a quand même les moyens pour que les patients échappent à la souffrance. Et le système, quand il est bien appliqué, pour la majorité des patients, fonctionne très bien. Il va rester 0, 1 % qui sont dans le contrôle, qui ne veulent pas se voir se dégrader, ne pas aller au bout de leur maladie, et aimeraient pouvoir décider de partir quand ils veulent. Ce que je comprends. Après, est-ce que c’est à un médecin ou à un infirmier d’aller pousser une seringue pour donner la mort, je ne sais pas. À la rigueur, le suicide assisté est plus concevable. Le patient reçoit sa drogue pour mourir, il choisit ou pas de la prendre, sans intermédiaire.

Avez-vous peur des dérives ?

Il y a déjà tellement de travail à faire pour les soins palliatifs… On ne peut pas tout faire. Et on va vouloir faire les choses rapidement. Il peut aussi y avoir des histoires de gros sous, d’intérêts personnels, fonciers… Donc oui, et s’il faut absolument que les choses se mettent en place, il faudra un encadrement strict.

Est-ce que vous accepteriez de pratiquer l’euthanasie si la loi venait à changer ?

À ce jour, je ne crois pas. Mais on peut évoluer. J’observe en tout cas que la mort a été totalement mise de côté, on peut contrôler le moment pour donner la vie et si pouvait contrôler la mort ce serait encore mieux. On est dans une société en pleine évolution.

Propos recueillis par Chloé Maingourd