Ruamm : « L’esprit de l’Accord de Nouméa n’est pas mort »

Milakulo Tukumuli, président de l'Éveil océanien. (© Archives DNC/A.-C.P.)

Après des mois d’opposition, le projet de réforme du Ruamm, porté par Milakulo Tukumuli (Éveil océanien), a été adopté. « Un soulagement ». Mais, le plus difficile reste à faire : trouver un accord sur les taux.

DNC : Quel est votre sentiment après l’adoption du projet de loi réformant le Ruamm ?

Milakulo Tukumuli : Un sentiment de satisfaction, de soulagement aussi, parce que cela fait deux ans qu’on travaille dessus. Ce texte nous a tant divisés. Et là, parce que le gouvernement nous demande de l’examiner, on se force à se voir, à se parler, à s’écouter.

Chacun avait besoin d’affirmer ses convictions. Finalement, tout le monde comprend qu’on n’est pas si loin les uns des autres. On a enlevé les trois petits cailloux qui grippaient la machine et on arrive à un texte à l’unanimité, la liberté pour les travailleurs indépendants de se faire soigner. C’est un progrès social majeur pour notre pays. C’est le début d’une méthode de concertation et de travail en équipe qu’on s’est engagé à respecter.

Justement, on vous a reproché votre méthode et celle du gouvernement, d’avoir voulu passer en force en imposant l’examen du texte aux partenaires…
Sans l’inscription du texte en séance par le gouvernement, chacun aurait continué à avancer dans son pré carré. C’est au pied du mur qu’on arrive à se sortir de ça. L’esprit de l’Accord de Nouméa n’est pas mort, le consensus est toujours possible, on espère qu’il perdure et prospère.

Quelles modifications ont été apportées au texte ?

Des choses ont été rajoutées, d’autres améliorées, mais fondamentalement, les amendements n’ont pas changé, ceux que nous avons déposés aujourd’hui [jeudi, NDLR] sont à 90 % ceux qu’on devait déposer hier [mercredi]. Sur le fond, on partage la même volonté, l’alignement des droits, la réduction des dépenses, la gouvernance, avec un amendement essentiel du groupe Calédonie ensemble pour dire qu’on est dans la continuité du plan Do Kamo.

L’abattement de cotisations sociales dont bénéficient les secteurs aidés concernera ceux qui gagnent moins de deux SMG et non pas trois SMG. Pourquoi ce changement, qui ne satisfait pas Agissons solidaires ? Dans l’accord conclu avec Agissons solidaires, je m’étais engagé à 36 salaires minimums garantis (SMG) par an, soit trois par mois, ce qui équivaut à près de 500 000 francs.

Avec ce texte, tout le monde a les même droits.

Les autres partenaires ont dit que c’était compliqué de défendre ce plafond, que les gens ne comprendraient pas. Et puis, dans les secteurs aidés, les gens de maison, les agriculteurs, l’hôtellerie, les salaires vont rarement au-delà de deux SMG. On comprend la colère du secteur économique, mais je ne comprendrais pas que l’argent public vienne compenser les cotisations sociales de travailleurs qui gagnent autant.

D’autant que les exonérations sur les bas salaires concernent, elles, ceux inférieurs à 1,3 SMG. Il fallait aussi s’aligner sur ce que nous avions décidé avec Agissons solidaires concernant la protection des petits travailleurs indépendants qui concerne ceux qui gagnent moins de deux SMG. L’idée a été validée par tout le monde.

Les discussions vont maintenant porter sur les taux. Vous proposez 13,5 %,
les non indépendantistes 10 %. Comment trouver un accord ?

Certains disent qu’il ne faut pas compter uniquement sur les cotisations sociales et qu’il y a la fiscalité. Je ne suis pas fermé à ça. La question, c’est où on met le curseur. Je propose 13,5 % pour tout le monde. Ça ne suffit pas à couvrir un déficit. Et il y a ceux qui disent que c’est trop haut. Ok, mais on descend à combien, à 12,5 % ? Ça, c’est le taux neutre. Si vous voulez diminuez à 11 ou 10 %, allez-y, mais il faudra voter les textes qui augmentent la fiscalité afin de trouver des recettes pour compenser le manque à gagner. Avec ce texte, tout le monde a les même droits, donc il faut le même taux. Je ne vois pas pourquoi un salarié paierait sa santé plus chère qu’un patenté. Elle est la même pour tous. Et puis, on cotise aussi pour les autres, c’est la solidarité.

Si le taux retenu s’éloigne de votre proposition, la réforme atteindra-t-elle
quand même son objectif selon vous ?

Je ne suis pas enfermé dans des principes. Si le taux retenu est 5 %, le coût du travail diminuera. Le déficit du Ruamm ne sera plus de 10 mais de 50 milliards. C’est ce que rapporte la TGC. Donc si on utilise que ce moyen, ce que portent certains de mes collègues, il faudra doubler les taux de TGC. Ils diront : ‘Ce n’est pas grave, en diminuant le coût du travail, on a redonné du pouvoir d’achat aux salariés.’ Et les retraités, ceux qui ne travaillent pas, comment ils font ? Tu doubles les taux, les mecs ils ne mangent plus. Est-ce qu’ils ont pensé à ça ? Non. Et puis, si on continue à baisser le taux, quid des dispositifs d’exonérations, est-ce que c’est utile de garder le revenu bas salaire, les secteurs aidés ?

Tout le monde dit que ce sont les travailleurs indépendants qui vont trimer, mais depuis 2002, ce sont eux qui sont avantagés, cela fait 20 ans.

L’alignement des droits concerne l’ensemble des travailleurs, pourtant il est peu fait mention des salariés dans les débats, pourquoi ?

C’est ça l’injustice. Tout le monde dit que ce sont les travailleurs indépendants qui vont trimer, mais depuis 2002, ce sont eux qui sont avantagés, cela fait 20 ans. Pour la même santé, ils ne paient pas le même prix. Ça ne peut pas marcher comme ça.

L’esprit de consensus résistera-t-il au débat sur le taux unique et pourrait-il être pérennisé sur d’autres sujets ?

C’est le vœu que je formule. Ce qu’il s’est passé hier et aujourd’hui, c’est pareil pour l’avenir institutionnel. Il faut qu’on s’assoie ensemble et qu’on se dise les choses. On pensait qu’il était impossible de rapprocher les positions sur ce texte. On part de loin, tous les moyens ont été utilisés pour shooter la réforme, même lors des discussions générales, on entendait encore : ‘il est hors de question pour nous de le voter’. Et finalement, ils ont voté le même texte et les amendements, je rêve.

Propos recueillis par Anne-Claire Pophillat

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