Emmanuel Macron instaure son « Pacte de Nouméa »

Le président de la République a choisi la Place de la paix pour s’exprimer. Dans le public, des Calédoniens principalement favorables à la Nouvelle-Calédonie française. Des indépendantistes étaient réunis à l’entrée de la ville. / © E.B.

Dans un discours de plus d’une heure prononcé place de la Paix devant près de 10 000 personnes, le président de la République a voulu sceller avec les Calédoniens une sorte de promesse à sortir de la logique du face-à-face en empruntant deux chemins : celui du pardon et celui d’un avenir ambitieux.

Accueilli au chant de La Marseillaise, Emmanuel Macron s’est exprimé devant un public bleu blanc rouge. En arrière-plan, la statue de Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur qui, avec Michel Rocard, ont initié un processus devenu, selon le président, « un exemple calédonien, un exemple français ».

Pour Emmanuel Macron, cet héritage, celui de la paix, est « un trésor inestimable ». Mais 35 ans ont passé, les trois référendums ont eu lieu, « la Nouvelle-Calédonie est française parce qu’elle a choisi de rester française », sous sa première mandature. Il promet d’être maintenant le président d’un nouveau projet, celui d’une Nouvelle-Calédonie dans la République. Et pour construire la suite, il est venu en quelque sorte secouer le cocotier. Il dit à ceux qui défendaient un autre projet : « Nous devons avoir collectivement la grandeur d’accepter ces résultats ». Aux élus indépendantistes qui l’ont dans la matinée « personnellement blessé par leur absence », il ajoute qu’il n’y aura « pas de retour en arrière, pas de bégaiement, pas de surplace » ou encore qu’il « ne faut pas accepter les diktats de ceux qui ne savent plus trop où est leur base ». « Le dialogue tripartite est un courage » et se résigner dans le silence revient, selon lui, à « choisir à nouveau le risque de la violence ».

Les non-indépendantistes ne sont pas en reste. Il incite ceux qui pensent que les référendums ont tout réglé, nient les problèmes, les fractures, les frustrations à « redoubler d’humilité et de sens des responsabilités et savoir d’où nous venons collectivement ».

« EN 1853, NOUS N’AVONS PAS FAIT COUTUME »

Le président propose deux chemins « indissociables » pour sortir du statu quo : le pardon et l’ambition commune. Pour le premier, fidèle à la politique française, il ne propose pas un « chemin de repentance », mais cite néanmoins « un fait initial, une prise de possession d’une terre liée à un peuple autochtone depuis des millénaires », « une souffrance première qui a empêché ensuite beaucoup d’autres d’histoires ».

Le président avait remis en 2018 l’acte de prise de possession de 1853. Son geste n’a pas été compris. « L’erreur, c’était de penser qu’un acte unilatéral pouvait corriger un autre acte unilatéral » ou de l’avoir fait « à Nouméa ». Emmanuel Macron a proposé que cet acte puisse faire le chemin de la prise de possession, « en partant du bon endroit », avec l’aide des autorités coutumières, maires, associations et historiens. Il pense que cette démarche pourrait au passage gommer l’idée selon laquelle « on corrigerait la colonisation par l’indépendance ».

Une démarche mémorielle plus large pourrait concerner toutes les communautés et montrer aussi ce que la République a apporté, ce que les Calédoniens ont bâti. Le Comité mémoire, vérité et réconciliation qui propose un travail mémoriel pourrait associer les sénateurs coutumiers, le Comité des sages. Une telle initiative pourrait recevoir 6 millions de francs pour son lancement.

RÉVISION DE LA CONSTITUTION ET NOUVEAU STATUT

Autre proposition, l’écriture d’un « projet d’ambition ». Il impliquerait des institutions pérennes, rénovées et efficaces. Gage aux indépendantistes, Emmanuel Macron souligne qu’il n’est « pas question de revenir sur les acquis », héritages des accords, à savoir le principe et le droit à l’autodétermination, les institutions locales et la citoyenneté. En revanche, il acte la réécriture des dispositions transitoires. Une révision de la Constitution de la Ve République

dédiée à la Nouvelle-Calédonie ‒ pour qu’elle demeure « une collectivité à part, disposant de son propre titre » ‒ est souhaitée pour début 2024. Elle concernera le dégel du corps électoral qui a fait l’objet d’un « premier pas » des indépendantistes pour les provinciales de 2024.

Il s’agira aussi d’examiner les dispositions de la citoyenneté locale (droit de vote, emploi local) qui ont produit aussi des « frustrations ». Le chef de l’État imagine une citoyenneté calédonienne pleine et entière qui prenne en compte l’appartenance au territoire, ancienne ou plus récente. Un nouveau statut, « de consensus », interviendrait dans quelques mois.

MODÈLE ÉCONOMIQUE ET SOCIAL À REVOIR

Emmanuel Macron demande à refonder le modèle économique basé sur la souveraineté industrielle, énergétique et agricole. Sur le nickel, il le dit sans détours, « aucune des usines n’est rentable, parce que le modèle des productions et l’énergie ne sont pas compétitifs. » Le président de la République veut un travail à court terme sur les exportations et la réorientation des productions que « l’État pourra accompagner ».

Un « immense chantier de la refonte du système énergétique » devra être lancé pour « produire une énergie compétitive et beaucoup plus décarbonée ». « Ce sera plusieurs milliards d’euros » que seul l’État peut financer. Mais « l’argent du contribuable » ne servira pas à financer des « modèles improductifs ». Ce « projet nickel d’avenir » devra être précisé en septembre avec les ministres concernés, les élus locaux et les acteurs du secteur.

L’agriculture est également une force, mais nous sommes « loin de l’autonomie alimentaire » (17 % de la consommation produite sur le territoire) malgré l’économie vivrière kanak que l’on ne compte pas toujours. Il nous faut, selon le président, des statistiques précises et une politique d’aménagement agricole. « L’Adraf a réussi sa mission de restitution des terres mais on a un immense défi d’accès au foncier pour les jeunes agriculteurs. » Le président imagine des négociations pour reprendre ou accéder à des terres « au juste prix ».

L’Adraf sera réformée pour aider à l’aménagement foncier et agricole. L’État investira dans la recherche. Le modèle calédonien reste par ailleurs « extraordinairement injuste ». Il faut selon le président revoir les règles des avantages fiscaux. « Il n’y a aucune tradition qui justifie certaines habitudes. »

Enfin, il vante une Nouvelle-Calédonie qui soit « une puissance océanienne et un levier de rayonnement international et Indo-Pacifique de la France » (lire p. 9). « La France est une puissance Indo-Pacifique à travers vous et par vous et c’est une fierté et une force », a-t-il formulé rappelant les fondamentaux de sa stratégie géopolitique dans la région déployée sur le thème de la Défense et du climat, basée sur la « liberté et la souveraineté ». « Si l’indépendance c’est de choisir demain d’avoir une base chinoise ici ou d’être dépendants d’autres flottes… Bon courage ! », a-t-il exprimé moquant la situation de voisins en train de se réveiller « criblés de dettes, ayant perdu leurs terres, leur souveraineté industrielle et minière ». Dans ce contexte, dit-il, la France « n’est pas un refuge, c’est un avenir ».

Chloé Maingourd

« Rassurant », « rude », ou « cohérent »

Sonia Backes, présidente de la province Sud et secrétaire d’État (Les Loyalistes-Renaissance), évoque un discours « rassurant » avec des perspectives claires : une modification constitutionnelle sur les élections provinciales « qui permettra à ceux qui sont exclus de voter » et une période d’un an pour travailler sur un nouveau statut. Elle admet aussi qu’une page du passé est à fermer. « Tout ce qu’on essaie de faire est toujours ramené à ce passé qui n’est pas apaisé. Donc ce chemin est intéressant. »

Le député Nicolas Metzdorf (Générations-Re- naissance) retient que le président « souhaite que la Nouvelle-Calédonie reste française » et qu’il « nous a aussi pressés, en nous disant qu’il ne fallait pas tergiverser sur l’avenir institutionnel, sortir des deux blocs et construire l’avenir ». Philippe Dunoyer, député (Calédonie ensemble-UDI), insiste sur cette « obligation de traiter les problèmes qui ne sont pas résolus simplement par le résultat de ces trois référendums et un volontarisme plus affirmé de la part de la France au plan militaire, stratégique, de l’énergie et de la stratégie industrielle. C’est cohérent ».

Le président du gouvernement Louis Mapou, l’un des rares élus indépendantistes à avoir fait le déplacement, estime que les sujets évoqués sont « à l’image de ce que la Nouvelle- Calédonie doit traiter compte tenu de son histoire, de ses responsabilités et du lien établi avec la République ». Il salue la reconnaissance du travail effectué avec les accords et l’affirmation qu’il est hors de question qu’on y touche ». « On a toujours un titre 13 au sein de la République, ce n’est pas rien. » Il tempère cependant : « Le président a posé posé l’avenir comme il le souhaite, mais il faudra qu’on en discute. Les trois référendums ont certes vu le non l’emporter et la prochaine étape est forcément au sein de la République. Mais est-ce que le futur définitif est au sein de la République ? C’est le débat qui est ouvert ».

Il note par ailleurs la nécessité évoquée de construire un nouveau modèle économique et social. « Il a demandé que ceux qui ont beaucoup, partagent. C’était déjà au cœur du débat en 1988. Nous y sommes encore et c’est bien qu’il le rappelle. » Et le sujet du pardon reste effectivement le nœud : « Toutes les perspectives évoquées devront reposer sur le dénouement de cet élément clé qui est plus au cœur de son discours qu’en 2018 ».

Il dit ne pas regarder avec a priori l’histoire des actes de possession car « tout est à construire ici ». Louis Mapou évoque en revanche un discours « parfois rude ». Rude « pour les uns et les autres, y compris pour les non-indépendantistes car certains choix qu’il fait ne vont pas forcément dans le sens qu’ils souhaitaient ».

Sur les reproches faits aux indépendantistes, il répond : « Il aura l’occasion d’en parler avec les absents. Moi je suis là. J’assume la responsabilité qui est la mienne ». Il reconnaît enfin dans le portrait dépeint de la Chine, la ligne défendue par la France et s’interroge : « lorsqu’il y est allé, ce n’était pas aussi fermé que cela »

 

Temps d’échange politique

Dans la matinée, le président de la République a tenu une réunion de travail avec les représentants politiques. Une partie des indépendantistes de l’UC et du RDO manquaient à l’appel. Il ne s’agissait pas d’une négociation trilatérale formelle, a pris soin de préciser le président. Il a insisté sur le risque que l’immobilisme mène au « séparatisme » et à la « violence ».

Pour les non-indépendantistes, Virginie Ruffenach (Rassemblement) s’est dite satisfaite. « Nous attendions une visite d’engagement. Et le président a fixé un cap qui est d’avancer sur le corps électoral avec les rencontres à Paris en août, mais aussi d’avancer sur la révision de nos institutions, ce que nous attendions, avec une année de discussions ».

Pour les indépendantistes, Victor Tutugoro (UPM) explique le message porté par le FLNKS. « Les référendums n’ont rien résolu du tout. Même si les trois non sont sortis, l’idée d’indépendance a progressé et donc on a demandé de voir comment on pouvait inscrire cette question de l’indépendance, de la souveraineté partagée, et avec la France bien entendu, mais en développant par exemple l’idée d’un peuple de Nouvelle-Calédonie avec tout ce qui va avec, de confirmer l’irréversibilité de l’Accord de Nouméa et de permettre à terme
que le peuple de Nouvelle-Calédonie ainsi forgé ou renforcé puisse s’exprimer sur son avenir. » Les indépendantistes ont également dit qu’il fallait revoir le modèle économique et social et ont été « surpris que le président soit favorable à cette dernière notion ».

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