Onze pour une relance

De gauche à droite, Adolphe Digoué, Christopher Gygès, Louis Mapou et Vaimu’a Muliava, en présence de Mickaël Forrest et Thierry Santa, disent vouloir dépasser les clivages politiques. © A.-C.P.

Six des onze membres du gouvernement, représentant toutes les sensibilités, se sont montrés unis, vendredi 3 mai, lors de la présentation des mesures du plan de relance économique qu’ils envisagent de mettre en place, loin des tensions survenues il y a quelques semaines.

Fin mars, Isabelle Champmoreau, Christopher Gygès, Thierry Santa et Yoann Lecourieux évoquaient « la fin du gouvernement collégial », mis à mal selon eux par Louis Mapou (UNI) qui tenait un point presse uniquement « avec les membres de sa majorité ». Vendredi 3 mai, cet épisode semble être un lointain souvenir. « Cela nous a permis de repartir sur de nouvelles bases. Avant, on était un peu bloqués par nos a priori et postulats », estime Thierry Santa (Le Rassemblement).

Cette fois, toutes les tendances politiques sont représentées autour de la table pour décliner les axes du plan de relance économique proposé par l’exécutif. Plus que jamais, dans un climat favorable aux divisions, l’institution veut incarner « la concrétisation d’un vivre ensemble », déclare son président. « Dans une période de rupture du dialogue, on montre qu’on peut se rejoindre sur la majeure partie des vrais sujets », poursuit Christopher Gygès (Les Loyalistes). Le gouvernement se pose en rempart contre les postures partisanes, le garant de la stabilité. « Qui mieux que nous est le plus à même de soumettre quelque chose ? C’est notre responsabilité d’assumer ce rôle-là », affirme Louis Mapou

Changer de modèle

Une sorte d’union sacrée rendue nécessaire au vu de l’ampleur de la crise économique, « la plus importante qu’on ait connue ». Le moment de réviser le modèle ‒ « tout le monde est unanime pour dire qu’il faut revoir l’ensemble du système » ‒ alors que la Nouvelle-Calédonie réfléchit à son futur. « Il faut que la séquence institutionnelle soit accompagnée par des orientations fortes en matière économique et sociale », considère Louis Mapou.

La vision porte sur plusieurs années. Pour élaborer les différentes mesures, les services se sont appuyés sur les travaux déjà menés : forum Perspectives, assises de la fonction publique, conférence sociale sur les salaires… « Il s’agit de voir comment augmenter les salaires et baisser le coût du travail, alléger l’impôt sur les sociétés, améliorer la compétitivité, lancer de grands chantiers, etc. », liste Christopher Gygès. D’autres idées sont suggérées, dont celle « d’ouvrir les flux financiers à de nouveaux investisseurs chinois, australiens, néo-zélandais… », ajoute Mickaël Forrest (UC).

Dans la foulée, une conférence économique et sociale est prévue le 30 mai en présence des groupes politiques, de la société civile, des organisations patronales et syndicats de salariés afin d’aboutir à un document définitif. La réflexion pourrait se poursuivre en juillet avec un rendez-vous consacré à la transformation et la diversification de l’économie calédonienne.

Un sujet n’est cependant pas abordé. Celui du financement. Ce n’est pas le propos, justifie Louis Mapou. « Nous nous inscrivons dans une démarche générale, celle des discussions sur l’avenir. » Le financement du plan dépendra du contenu d’un éventuel accord, de l’adoption ou non des réformes fiscales présentées au Congrès, de la transformation des prêts de l’État en subventions ‒ ce que demande le président ‒, ou encore de l’octroi de nouvelles aides.

Réactions

Le sénateur Georges Naturel (Les Républicains) apporte son « plein soutien » au projet, indique-t-il dans un communiqué, dimanche 5 mai. L’ancien maire de Dumbéa insiste néanmoins sur « l’importance d’associer pleinement les communes, car elles jouent un rôle central dans la mise en œuvre des politiques locales ». Georges Naturel prévoit, à son retour à Paris, de « poursuivre les échanges afin de garantir » l’aide « de l’État dans la mise en œuvre efficace d’une relance économique ».

Le lendemain, lundi 6 mai, le Medef salue à son tour « l’initiative du gouvernement », « qui répond à la volonté et aux demandes de la société civile d’être associée à la construction d’un plan de relance ». L’organisation patronale espère que les « propositions du monde économique pourront être prises en compte ».

 

Durer dans le temps

Ce n’est pas la première annonce du genre. La conférence économique et sociale de 2013 avait conduit à la signature de l’agenda partagé en 2014. Le schéma NC 2025, élaboré par l’État et le gouvernement dès 2008, avait été adopté par le Congrès en 2016. Pourquoi ce qui n’a pas donné grand-chose avant fonctionnerait aujourd’hui ? « Le contexte l’impose, on est contraint, insiste le président de l’exécutif. Nous avons été au bout du bout. » Thierry Santa confirme. « Nous n’avons plus le choix. C’est ce qu’on a compris au gouvernement. Peut-être pas ailleurs. »

Dans ces conditions, les textes qui devront passer au Congrès ont-ils une chance d’être adoptés ? « L’espoir fait vivre », plaisante Louis Mapou. « Nous sommes très optimistes », ajoute Christopher Gygès. Un impératif, selon Vaimua’a Muliava (Éveil océanien). « Le pays est en réanimation, on est au pied du mur. L’esprit des responsabilités doit jouer. »

Cette entente retrouvée peut-elle tenir face aux oppositions qui s’expriment dans la rue, dans les déclarations des uns et des autres, alors que les alliés d’hier semblent prendre leurs distances, à l’image de l’Éveil océanien ? Vaimu’a Muliava le souhaite. « J’espère que ce que nous vivons ne sera pas une étoile filante et résistera aux soubre- sauts. Chacun d’entre nous, les corporations qu’on va consulter, devra accepter de s’oublier au profit d’un nous. »

Anne-Claire Pophillat


 

UN PLAN EN QUATRE AXES

  • Relance par la consommation

Fiscalité : réforme de la TGC, soutien aux classes moyennes par la réforme de l’impôt sur le revenu et meilleur contrôle des fraudes.

Pouvoir d’achat : revalorisation du SMG et des bas salaires, création d’une loi contre le gaspillage alimentaire, prolongation du dispositif de stabilisation du prix de 60 produits de grande consommation, réduction des droits de douane sur les pays de la zone pour favoriser la baisse des prix, régulation de la fluctuation des prix des fruits et légumes, renforcement de la lutte contre les marges de prix excessives, instauration
d’une aide au paiement des factures d’électricité.

Maîtrise des dépenses : diminution des frais de gestion de la Cafat, instauration d’une participation forfaitaire de 100 francs par boîte de médicament.

  • Relance par l’investissement

Grands projets : 2×2 voies entre Païta et Tontouta, construction de deux stations de transfert d’énergie par pompage (Step) pour le stockage des énergies renouvelables, modernisation des infrastructures du Port autonome, rénovation énergétique des bâtiments, réalisation de projets d’infrastructures publiques pour soutenir le BTP.

Fiscalité : création d’un cadre fiscal incitatif pour les filières d’avenir, réforme de l’impôt sur les sociétés.

Simplification administrative : assouplissement des règles de la commande publique, stimulation de l’investissement privé, orientation de la commande publique vers les entreprises locales, révision de la stratégie de soutien à l’export.

Pacte social : accroissement de la fiscalité sur les hauts revenus, revalorisation des salaires et amélioration de la compétitivité, abaissement de certaines charges des employeurs.

  • Soutien à la trésorerie des entreprises

Consommation : généralisation du régime de duty-free à l’ensemble des commerces.

Épargne, financement : aménagement des droits de succession (favoriser le retour de l’épargne des Calédoniens sur le territoire), création d’un fonds d’investissement local, facilitation de l’accès au crédit pour les entreprises, incitation à l’investissement des particuliers (augmenter le plafond déductible des impôts).

Simplification administrative : prolongement des délais de paiement, simplification de certaines normes et des procédures de création d’entreprises.

  • Soutien à l’emploi et au maintien des compétences

Formation : lancement d’un plan de formation professionnelle liée aux métiers d’avenir, adaptation de la stratégie emploi-formation-insertion.

Marché du travail : amélioration de la transparence sur le marché de l’offre du travail, subvention à l’embauche, réduction de charges sociales.

Soutien à l’innovation et à l’entrepreneuriat : favoriser l’accès aux financements, aux micro-crédits et aux incubateurs pour encourager la création d’entreprises.