La lettre (très) inquiétante de la Cafat

La Cafat met en lumière les possibles répercussions du secteur du nickel aujourd’hui percuté par une crise mondiale. © Y.M.

Dans un courrier auquel le journal Demain en Nouvelle-Calédonie a eu accès, Patrick Dupont, président du conseil d’administration de la Cafat, expose à Roch Wamytan, patron du Congrès, non seulement le poids de la filière nickel dans les régimes sociaux, mais aussi la rupture potentielle de financement des hôpitaux dès septembre.

Chiffres à l’appui, le courrier fait état d’une situation inédite et alerte les élus. Dans cette lettre datée du 26 avril et obtenue par le journal Demain, Patrick Dupont, président du conseil d’administration de la Cafat, demande à Roch Wamytan, président du Congrès, une audition de son bureau par la « commission spéciale chargée d’identifier et de proposer des solutions pour surmonter les défis actuels de la filière nickel ».

Ce groupe de conseillers a été instauré boulevard Vauban, après un vote en séance le 18 avril, dans le but d’amender le projet de pacte sur le nickel présenté par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire et censé redresser la filière. Sous sa plume, Patrick Dupont précise l’enjeu ‒ colossal ‒ pour les comptes sociaux.

Le secteur de l’or vert est « un important contributeur » aux ressources de régimes de la Caisse, selon la missive : 13,7 milliards de francs de cotisations sociales, dont 5,9 milliards pour le Ruamm et 3,7 milliards pour la retraite, au regard des données 2023. Sans la sous- traitance directe et indirecte.

15,8 milliards

Dans l’hypothèse d’une fermeture totale des trois usines métallurgiques, et par conséquent de la mise au chômage de l’ensemble des salariés, l’impact cumulé de la perte de produits et de l’augmentation des charges serait de l’ordre de 15,8 milliards de francs : 7,3 du côté de la SLN, 4,3 à Prony Resources, et 4,2 pour KNS.

 

Trouver 8 milliards de francs

Or ces régimes sont déjà affectés « par les retards de paiement de certaines sociétés, retards dont l’apurement prévu pour juillet et août serait dépendant de la signature du pacte nickel », écrit le président de la Cafat. « Les dernières évolutions, notamment sur les centres miniers de la SLN et la situation de KNS, représentent un risque majeur d’aggravation de la situation. »

D’autant qu’existe, depuis 2011, un déficit structurel du Ruamm qui nécessite de mobiliser, toujours selon le courrier, plus de 10 milliards de produits exceptionnels d’origine fiscale. Faute d’un tel rendement à fin d’équilibre sur chaque exercice, l’assurance maladie cumule des retards de paiement « dits “déficit du Ruamm” de l’ordre de 29,5 milliards de francs » au 31 décembre 2022. La dette brute.

Les services de la Cafat ont fait le calcul prévisionnel pour cette année 2024, et le défaut annuel de trésorerie est estimé à 8 milliards de francs environ. Patrick Dupont est formel : « cette situation ne nous permettra pas d’honorer l’intégralité des obligations de paiement du Ruamm pour cet exercice, y compris une partie de la dotation globale de financement des hôpitaux ». Le conseil d’administration de la Caisse a interpellé le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie afin de bénéficier d’une subvention permettant de combler ce trou de 8 milliards de francs. Ce qui ne va pas être une opération facile du côté de l’exécutif, vu l’état des comptes publics. Les échanges sont toutefois réguliers entre les acteurs.

La conclusion émise par l’institution de protection sociale est directe et très préoccupante : « nos prévisions actuelles de déficit de trésorerie et les priorités de paiements que nous appliquons aboutissent ce jour à une rupture de financement des établissements hospitaliers publics à compter de mi-septembre prochain », autrement dit, demain. « Cette rupture pourrait intervenir plus tôt si les difficultés du secteur nickel évoquées ne trouvaient pas de solutions rapides et pérennes. Il en sera de même si les décisions relatives à l’Oceam 2024 (ou objectif calédonien d’évolution des dépenses d’assurance maladie) devaient aboutir à des augmentations de dépenses. »

À la lecture du courrier, l’organe de direction stratégique de la Cafat vise au moins trois objectifs. Tout d’abord, présenter l’impact du secteur minier dans les tableaux de la Caisse. Ensuite, les solutions, voulues solides dans la filière mal en point, ne doivent pas tarder, le poids du nickel étant considérable dans la balance. Le problème du Ruamm, fâcheusement durable et croissant, ne peut enfin poursuivre sa course, des échéances majeures sont pointées. Entre les mots de Patrick Dupont, apparaît l’ombre d’un effet domino redoutable.

Yann Mainguet

Quels impacts ?

La lettre de Patrick Dupont, président du conseil d’administration de la Cafat, est accompagnée d’un document de synthèse communiqué au Copil nickel en février, sur la situation du secteur minier et les impacts pour la Cafat. La note ne comprend pas d’information sur la masse des sous-traitants.

  • Entre 2019 et 2023, la masse globale des salaires du secteur nickel (99 entreprises dont 78 en 2023) a évolué de près de 4,6 milliards de francs, soit 14,8 %, pour atteindre 35,6 milliards.
  • Le montant des cotisations arrive à 13,7 milliards, avec 8 577 salariés.
  • La filière pèse 14,8 % dans la masse salariale du secteur privé.
  • L’activité des usines métallurgiques représente 75 % des cotisations du secteur.
  • SLN, Prony Resources, KNS, NMC et SMGM : cinq entreprises concentrent près de 90 % de la masse des salaires (31,8 sur 35,6 milliards de francs), 80 % des effectifs (6 898 sur les 8 577 en 2023) et 89% des cotisations du secteur, soit 12,2 milliards.