Le président de la société de chocolaterie a vécu depuis chez lui, impuissant, dans la nuit de lundi à mardi, l’incendie de son usine, à Ducos. Dominique Lefeivre perd tout au moment où Biscochoc construit ses nouveaux locaux à Nouville et nourrit des projets de développement d’une filière locale de cacao.
DNC : Que s’est-il passé dans la nuit de lundi à mardi ?
Dominique Lefeivre : Des personnes se sont introduites dans les bâtiments, ont tout pillé puis ont mis le feu. Nous avons été prévenus par la société de sécurité. J’ai alerté le commissariat, qui m’a dit qu’ils étaient débordés et qu’ils ne pouvaient rien faire. Les pompiers aussi étaient complètement dépassés. Tôt le matin, j’ai eu message de leur part me disant qu’un des murs avaient cédé et qu’il n’y avait plus grand-chose à sauver. Ils sont allés sur place pour sécuriser une grosse cuve de gaz et une autre de gazole et ils sont repartis. Je suis arrivé sur les lieux après et je n’ai pu que constater les dégâts.
Comment avez-vous vécu cette nuit-là ?
C’était carrément surréaliste. Je ne dormais pas, j’étais angoissé. Je me suis assoupi vers deux heures et j’ai été réveillé comme ça.
Qu’avez-vous perdu dans l’incendie ?
Nous venions de remettre à neuf deux machines et d’en recevoir de Chine, des plieuses notamment. L’objectif était que tout le monde se fasse la main dessus avant l’ouverture de la nouvelle usine, parce que ce sont des machines électroniques pilotées par ordinateur. Tout le stock de produits finis a brûlé. Après, je ne connais pas encore toute l’étendue des dégâts, mais le toit s’est effondré, donc je pense qu’il n’y a pas grand-chose à récupérer.
« J’en veux beaucoup à tous les politiques qui n’ont rien fait depuis des années. »
Vous avez une estimation des pertes ?
Il y en a environ pour 400 millions de francs de stock, un peu plus d’un milliard de matériel et un peu plus d’1,2 milliard pour la structure.
Quelles sont les conséquences pour les salariés ?
Ils sont 80 en ce moment. Nous étions en surproduction pour constituer davantage de stock afin de tenir le coup, parce que nous devions ne pas produire pendant trois mois, le temps de déménager à Nouville. Les salariés sont tous à l’arrêt et vont être mis au chômage.
Quand pensez-vous pouvoir reprendre votre activité ?
La nouvelle usine devait ouvrir en novembre, mais maintenant nous devons recommander des machines qui vont mettre du temps à arriver, donc je dirais dans un an.
Comment allez-vous vous organiser, avez-vous déjà entamé des démarches auprès de votre assurance ?
Oui, et heureusement, nous sommes très bien assurés, nous avions fait rehausser nos seuils en prévision du déménagement. Après, il faut que les experts viennent, etc., tout cela va prendre du temps.
Vous avez de la trésorerie pour relancer les investissements ?
Un petit peu, mais nous n’allons pas vivre à découvert. Je ne sais pas comment ça va se passer, est-ce que nous attaquerons l’État qui ne fait rien ? Je pense que c’est une décision qui sera prise en commun avec toutes les entreprises via la Finc, le Medef, etc.
Quel est votre ressenti ?
Je suis assez abattu, j’en veux beaucoup à tous les politiques qui n’ont rien fait depuis des années, qui se chamaillent entre eux et ne se sont jamais occupés de l’économie. Ça fait dix ans que je clame haut et fort qu’il faut d’abord trouver un projet de société commun qui soit social, sociétal et économique et qu’après le oui ou le non viendra tout seul. Et puis l’État voit ça de très loin, il n’a jamais pris le pouls de la société civile. Avec le Medef, on a demandé pendant des années à faire partie du Comité des signataires pour expliquer notre stratégie économique, on n’a jamais été entendu ni écouté, tout le monde s’en fout. C’est lamentable. Je suis dégoûté et abattu. Je suis en train de construire, j’étais dans le Nord il y a trois semaines pour le projet de filière cacao, et voir que tout brûle à Nouméa… C’est ubuesque.
Comment voyez-vous la suite, alors que l’économie était déjà mal en point ?
La première étape est : comment trouver de l’argent pour reconstruire. Après, la question va aussi se poser de savoir combien de compagnies d’assurance voudront rester en Nouvelle-Calédonie… On doit peut-être être à 50 milliards de francs de dégâts… Il est possible qu’on arrive plus à s’assurer ou sinon à des prix plus élevés. C’est un désastre économique, sociétal, social… c’est n’importe quoi.
Propos recueillis par A.-C.P.