Mai 1864, plus précisément le 9. L’Iphigénie, premier convoi de transportés, jette l’ancre à Port-de-France. 74 autres suivront jusqu’en 1897. Des bagnards continueront d’être envoyés jusque dans les années 1920, avant la désaffection de la Nouvelle-Calédonie en tant que colonie pénitentiaire.
En tout, près de 30 000 forçats – transportés, déportés et relégués – et le personnel de l’administration. Beaucoup sont morts. Pas tant pendant les traversées, mais après, « fatigués par un long voyage et la vie à bord », devant affronter les nouvelles « conditions climatiques » et « les corvées », qui sont « épuisantes, eau, taille de pierre, abattage d’arbres, construction des bâtiments, des routes, fours à chaud, briqueterie, ateliers de bois, de fer, c’est extrêmement physique, parfois très dangereux, il y a beaucoup d’accidents et ils mourraient d’épuisement », racontent Yves Mermoud, président de l’association Témoignage d’un passé (Atup), et Adèle Simon, directrice du site historique de l’île Nou.
Parmi ces hommes condamnés aux travaux forcés et ceux qui les surveillent, certains font souche. C’est le cas de 12 des 250 transportés embarqués sur l’Iphigénie, dont une exposition retrace le parcours. « Énormément de familles ont un lien avec une personne passée par le bagne. »
Cette histoire commune rassemble. Et concerne l’ensemble des communautés, comme le montrent les deux dernières expositions portées par l’Atup : Les Kanak et le bagne en 2022 et Exilés et condamnés indochinois en Nouvelle-Calédonie cette année. Certes, un tabou persiste. « Ce n’est pas assumé par tout le monde, certains estiment que cela peut entacher leur réputation », note Adèle Simon. Mais les gens en parlent de plus en plus ouvertement.
Cette réhabilitation se concrétise avec la décision du gouvernement de créer le comité de pilotage (Copil) relatif à l’inscription du bagne calédonien au patrimoine mondial de l’Unesco. Un engagement pris par Louis Mapou lors de sa déclaration de politique générale, de valoriser « la contribution de toutes les communautés à l’histoire, à l’identité et à la culture, pour conforter le poteau central de la Nouvelle-Calédonie ».
Symboliquement, le premier Copil s’est tenu mardi 7 mai, en référence au 160e anniversaire de la venue de l’Iphigénie. Son rôle ? Constituer un dossier d’inscription. Un long chemin avant d’espérer rejoindre les sites mondiaux classés.
Pour l’historien Louis-José Barbançon, qui représente le Cese au Copil, l’initiative va dans le bon sens. « Par principe, tout ce qui permet de raccrocher un archipel isolé à l’histoire du monde et à sa part d’universalité est important. En aucun cas une île ne doit être repliée sur elle-même. Cette démarche, c’est l’illustration de la racine et l’horizon, être connecté à ce qu’il s’est passé en Argentine, en Tasmanie, etc. » D’ailleurs, le bagne de nos voisins australiens est inscrit au patrimoine mondial depuis 2010.
Anne-Claire Pophillat