Un travail quotidien à l’Institut spécialisé autisme

Avec les équipes de l’ISA, Hisaé Giraud et Amandine Chorin mènent de nombreuses initiatives sur le sujet. Des mannequins sont par exemple utilisés lors d’ateliers qui abordent le schéma corporel, la différence fille-garçon, les menstruations, etc. / © E.B.

L’établissement de Robinson a mis à jour sa charte sur la vie affective et sexualité l’an dernier. Les équipes se forment aussi régulièrement afin que cette notion d’intimité soit toujours respectée.

Les structures qui accueillent des personnes en situation de handicap ont l’obligation d’inscrire le droit à la vie intime et sexuelle dans une charte écrite ou dans le projet d’établissement. Elles se basent sur plusieurs textes : la Déclaration sur les droits des personnes handicapées des Nations unies, la loi du 2 janvier 2002 qui prône le respect de la dignité et de l’intimité, la Charte du handicap en Nouvelle- Calédonie ou, encore, la délibération du 7 octobre 2010 qui donne l’obligation à tout établissement médico-social de mettre en place des accompagnements sur cette thématique.

L’Institut spécialisé autisme (ISA) de Robinson, qui s’appuie sur ces réglementations, a créé sa propre charte en 2015 en ajoutant ses spécificités. « On parle de vie affective et sexualité, car on la considère vraiment comme un ensemble. Notre sexualité va se construire dès la petite enfance avec des notions d’intimité, la découverte de notre corps, ce qui est permis, interdit en public, mais aussi en privé. La notion de respect et de consentement. Ce n’est pas que la relation sexuelle », rappelle Amandine Chorin, psychomotricienne à l’accueil de jour1.

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Leur charte a été actualisée l’an dernier pour que la vie intime des résidents soit toujours mieux considérée. « On ne va pas crier dans les couloirs que telle personne à ses menstruations, on a mis des verrous sur les portes des toilettes… On a essayé d’aménager les choses pour garantir le mieux possible l’intimité tout en gardant une praticité pour les équipes. »

Avec les psychologues et les infirmières, des sensibilisations ont été menées auprès des accompagnants afin de garder une vision commune, un vocabulaire identique, pour qu’il n’y ait pas différents apprentissages de la sexualité. Poser un cadre étant essentiel auprès du public autiste. « Des personnes ne vont pas savoir que se masturber en public ça ne se fait pas : ce sont des règles sociales que nous, on a assimilées de façon naturelle. Le but, c’est de dire que c’est normal, c’est autorisé, ça fait partie du développement, mais il va y avoir des endroits et des moments pour le faire », développe Hisaé Giraud, psychologue du Sessad2. Il leur est possible de s’isoler dans un lieu fermé.

Le consentement des familles est demandé avant de mettre en place ces protocoles. Parfois, elles ne comprennent pas la démarche. « Notre rôle est de faire entendre que réguler de manière sociale ces pulsions dans l’autisme, c’est compliqué. Nous, on doit leur offrir le cadre. » Car les désirs peuvent ressortir d’une autre façon, de manière agressive, ou se traduire par un désintérêt, un ennui. L’idée n’étant pas de travailler absolument sur la sexualité, mais bien de répondre à un besoin « de manière socialement acceptable en lien avec les lois et les désirs de la famille ».

« ON RESSENT QUE LA PAROLE EST PLUS LIBRE »

À l’accueil de jour, des jeunes en pleine puberté suivent aussi des ateliers où ils repartent de la base. « On a des puzzles pour remettre le corps dans le bon sens. On a aussi deux mannequins qu’on lave, qu’on habille… » Au Sessad, ce sont plutôt des ateliers individuels qui sont proposés aux jeunes ainsi qu’à leurs parents. Ils ont souvent besoin d’être guidés pour comprendre le fonctionnement de leur enfant. « La déficience intellectuelle peut impacter la compréhension et l’expression des émotions. Des troubles moteurs peuvent impacter la sexualité, ce qui peut amener des frustrations. Il y a aussi tout ce qui est particularité sensorielle. Des jeunes peuvent être attirés par certaines matières ou certaines lumières. On peut être dans des difficultés de compréhension de la part de la famille, car ce n’est pas notre représentation de la sexualité », explique Amandine Chorin.

Toutefois, depuis quelques années, l’équipe de l’ISA remarque des changements positifs. « Des familles entrevoient une image différente de la sexualité », constate Hisaé Giraud. « On ressent que la parole est plus libre », assure Amandine Chorin. Les équipes continuent de se former régulièrement via un centre d’expertise d’autisme au Canada afin de toujours adopter les bonnes pratiques.

Edwige Blanchon

1. L’Établissement thérapeutique éducatif et pédagogique spécialisé (ETEPS) propose une prise en charge en accueil de jour. Il est agréé pour accueillir 25 enfants et jeunes adultes de 2 à 20 ans.

2. Le Service d’éducation et de soins spécialisés à domicile (SESSAD) permet d’accompagner en milieu « ouvert » le projet d’inclusion sociale et de suivi de 25 enfants souffrant d’autisme ou de troubles envahissants du développement (TED).

Des efforts et des initiatives freinées par le tabou

Au sein des structures spécialisées, comme le foyer Paul Reznik à Nouville, les équipes veillent à ne jamais oublier cette liberté fondamentale chez les résidents. Il y a des avancées en ce qui concerne la représentation de la sexualité ainsi qu’une plus grande tolérance. Mais tout n’est pas réglé pour autant.

De jolies histoires d’amour fleurissent parfois dans les établissements. Au foyer Paul Reznik, des fiançailles ont même été fêtées. « Leur cadeau était un survol du lagon en hélicoptère », se souvient Bruno Marest, psychologue, clinicien et thérapeute de famille qui intervient à Nouville. Des histoires qui durent, d’autres qui s’interrompent.

Depuis quelques années, ces relations sont davantage acceptées au sein des structures. « Il y a une plus grande tolérance aux couples qui se forment », constate Bruno Marest. Les équipes font en sorte de ne jamais oublier que la dimension affective et sexuelle des personnes en situation de handicap fait simplement partie de la vie. « C’est quelque chose qu’on rappelle régulièrement. »

De la sensibilisation et des formations sont menées auprès des professionnels afin que cet aspect soit toujours pris en compte et que les comportements soient adaptés. Un vrai travail de fond. « Ce que beaucoup appellent des troubles du comportement, ça peut être un déplacement du besoin de sexualité ou d’érotisme. On essaie de mettre des mots là-dessus », explique le psychologue. Les pratiques masturbatoires ou encore le visionnage de films pornographiques ont tendance à être jugés « plutôt qu’à être perçus comme l’ex- pression d’un besoin ».

Au quotidien, cette question reste complexe à gérer notamment pour les accompagnantes qui se trouvent aux premières loges. Elles peuvent rencontrer des situations gênantes, qui prennent parfois des « tournures malheureuses ». « Elles subissent des tentatives d’agressions qui sont des appels à l’aide, d’affect. Une personne ne contrôle pas forcément ses gestes, sa psyché. Il y a des troubles cognitifs importants. »

DES AVANCÉES SUR LES REPRÉSENTATIONS

Il y a tout de même des progrès à souligner comme les avancées sur les représentations chez les professionnels, mais aussi chez les résidents. « Ils ne se comportent plus comme des enfants vis-à-vis de leur famille et osent s’affirmer. Des adultes de 40 ans refusent d’être giflés par un parent car il apprend qu’il a regardé des films pornographiques. »

D’un autre côté, les résistances sont nombreuses et les efforts se révèlent sporadiques. Les relations sexuelles, à proprement parler, ne sont par exemple pas rendues possibles. « Elles ne sont pas interdites mais elles ne sont pas permises logistiquement. » Ce sujet sensible limite la mise en place d’actions concrètes. « Comme ces questions sont taboues pour des raisons institutionnelles, religieuses, culturelles, familiales… il y a un cocktail suffisamment résistant pour empêcher toute initiative. »

Au-delà d’un problème d’autorisation, c’est une évolution des mentalités qui doit être opérée, selon Bruno Marest. La solution « créative » n’a pas encore été trouvée. Si ce travail de sensibilisation et sur les représentations a été rendu possible au foyer, c’est parce qu’il existe une volonté au niveau de la direction d’avancer sur ce sujet. Pour aller encore plus loin, il faut donc viser plus haut.

E.B.

 

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