Doté de grands espaces vierges et faiblement peuplé, l’archipel dévoile une palette de paysages aussi multiples que somptueux. De quoi promettre de belles échappées en pleine nature, que ce soit en bord de mer, en forêt ou en montagne. Un capital riche à protéger et développer. Car l’activité ne manque pas d’atouts. Nécessitant peu de matériel, facilement accessible, avec un faible impact sur l’environnement, la marche, vecteur d’un développement économique respectueux des lieux et des populations, devient un outil d’attraction touristique et de promotion de la destination. Sans compter les nombreux bienfaits pour la santé. Au-delà du sport, une façon de se ressourcer et de prendre le temps.
« C’est un terrain d’aventure fabuleux », s’enthousiasme Jean-Francis Clair, auteur de Nouvelle-Calédonie Sauvage. L’accompagnateur de montagne, ancien professeur de gym, arpente le pays depuis quatre décennies. D’Ouvéa au col d’Amos, des roches de la Ouaïème au Mont-Dore. « On a un type de relief très accidenté, très compartimenté sur la Grande Terre, qui donne l’impression d’une montagne plantée dans l’océan Pacifique avec le lagon qui l’entoure. »
Les paysages sont uniques en raison « d’un très fort taux d’endémisme », variés, « des montagnes, des rivières, de la terre rouge à la forêt primaire et aux fougères arborescentes », et certains panoramas à couper le souffle, avec « des points de vue magnifiques », développe Philippe Le Poul, directeur des sports à la province Sud. Et des sites qui, outre leur beauté, peuvent représenter un intérêt ornithologique, patrimonial, botanique…
Des kilomètres de sentiers
La province Sud compte 400 km de sentiers. Les trois plus fréquentés sont les marmites dans le parc de Dumbéa, avec plus de 12 000 personnes par an, les Trois Baies à Bourail et l’ascension du Mont-Dore. À Deva, près de 12 000 personnes se baladent sur le Oua Koué chaque année.
En province Nord, le GR accueille quelque 1 000 personnes le long de ses 86 km.
« AGRANDIR LE PANEL DES SENTIERS FAMILIAUX »
« La valeur d’un sentier n’est pas seulement de mettre un pied devant l’autre et de se dépenser physiquement : elle est aussi liée à la qualité de ses décors et de la vie humaine qu’il y a autour. Quand nous travaillons sur un chemin, nous essayons, en collaboration avec l’ADCK, de réaliser une étude toponymique qui permet de retracer un peu l’histoire du site », témoigne Jean-Francis Clair. À l’image du GR Nassirah-Ouipoin. Des panneaux informent sur la fonction portée par le mont Do, lieu d’échanges entre les clans de l’Est et de l’Ouest, et le tracé, en reliant deux tribus, permet un temps de rencontre avec les habitants.
Ces 15 dernières années, l’offre s’est améliorée en province Sud et, dans une moindre mesure, dans le Nord. Un peu à la traîne, les îles semblent cependant suivre la tendance : le sentier du Bernard l’Hermite, qui existe depuis longtemps, vient d’être aménagé et sécurisé à Lifou. D’autres vont suivre.
Mais, il reste encore du travail à faire, estime Jean-Francis Clair, notamment en termes d’accessibilité. « La Nouvelle-Calédonie demande, pour une pratique vraiment popularisée, un aménagement des itinéraires. La plupart s’adressent à des marcheurs confirmés et sportifs, le panel des sentiers familiaux mériterait d’être agrandi. »
Environ 10 000 personnes partent à l’ascension du Mont-Dore chaque année. / © A.-C.P.
UN ENTRETIEN COÛTEUX
Or, la réalisation de nouveaux tracés est freinée, entre autres, par les contraintes budgétaires. L’entretien représente déjà des dépenses conséquentes. Un challenge, pour Damien Dilinger, chef du bureau de l’écotourisme de la province Nord. « Garder et remettre à neuf l’existant est compliqué. » La sécurisation et l’équipement des Roches de la Ouaïème, fin 2022, a nécessité notamment l’intervention d’un hélicoptère au vu de l’altitude et du profil escarpé. Coût total : 4,6 millions de francs. Le parcours, un des plus remarquables du pays, est désormais « plus attractif ».
La province Sud consacre, elle, entre 10 et 15 millions de francs annuels à la conservation des sentiers. De quoi satisfaire les pratiquants, de plus en plus nombreux. La fréquentation des sites a augmenté, en partie en raison du Covid, les Calédoniens, bloqués sur l’île, en ont profité pour la parcourir. « Il y a un engouement pour les activités de pleine nature et d’écomobilité, affirme Philippe Le Poul. Les gens marchent davantage, prennent leur vélo, entraînés aussi par le concept de sport santé et l’envie de s’évader. » Ça tombe bien, les possibilités sont multiples pour s’absenter le temps d’une randonnée.
Anne-Claire Pophillat
De l’utilitaire au loisir
Mike Nechero de la tribu d’Emma, à Canala, et Jehudit Pwija de Napoémien à Poindimié. / © Captures d’écran
La randonnée contemplative et sportive est une importation occidentale. En Nouvelle-Calédonie, elle permet avant tout de se déplacer, de chasser, de procéder à des échanges, etc. Toutefois, cela tend à évoluer. Mike Nechero est accompagnateur de sortie pédestre, diplômé (ASP) à la tribu d’Emma, à Canala. Il peut ainsi assouvir son amour de la nature, « échanger avec les gens d’ici, les touristes, et aussi modifier l’image de Canala en donnant autre chose à voir ».
Il amène les visiteurs sur différentes pistes à travers forêt, cascade et rivière, parfois jusqu’à Dogny à Sarraméa, ou Koindé, du côté de La Foa… Sur le trajet, il distille les connaissances apprises des vieux sur les arbres, les plantes, les histoires des lieux. Si ces clients sont rarement des Kanak, « sauf pendant la fête de la mandarine », il « pense que ça peut se développer. Parfois, les touristes connaissent mieux Canala que les gens d’ici. Mon objectif est de faire découvrir. » D’où sa volonté d’emmener davantage d’enfants, il a déjà accueilli des collégiens et des primaires. « Et je parle la langue, c’est important ce partage. »
« Une autre approche »
Toujours côte Est, vers Poindimié, Jehudit Pwija invite au cœur de sa tribu, Napoémien, lors d’une randonnée culturelle, depuis presque 15 ans. « Je me rendais compte que les jeunes partaient beaucoup dans les villes et que la culture se perdait. Je voulais trouver une activité qui me fasse gagner un peu d’argent tout en restant à la tribu et en transmettant la culture. C’est une autre approche, une autre façon de rentrer dans la tribu. »
Jehudit Pwija se forme comme guide accompagnateur de randonnée et agent de tourisme, puis part étudier l’anglais en Nouvelle- Zélande. Il propose aussi des circuits plus longs, de quatre heures. « Il en faut pour tous les goûts. » Il observe une évolution dans les comportements. « Je sens que la marche commence à devenir aussi un loisir pour les Kanak. »
À Poindimié, la marche Koyaboa offre une belle vue sur l’îlot Tibarama en chemin et, de l’antenne, sur l’ensemble de de la ville. / © A.-C.P.
Et l’environnement ?
La marche pèse « très faiblement » sur l’environnement, « c’est une pratique très douce », indique Jean-Francis Clair. Selon lui, créer un chemin est « une manière de gérer et de zoner un espace qu’on veut protéger. Aménager des couloirs de circulation signifie accepter le fait que les gens y marchent afin d’éviter les zones sensibles. C’est la logique des parcs. » Interdire ne serait pas la solution, selon le professionnel. « Comment inciter à préserver quand les gens ne connaissent pas ? Un sentier permet de valoriser et de rendre signifiant un endroit. »
C’est ce qu’il se passe sur la Côte oubliée, non balisée, dont « la fréquentation contribue à la destruction du milieu ». Jean-Francis Clair milite pour cet itinéraire. « Cela permettrait de protéger le site. En plus, il donne la possibilité de créer un trek mythique, qui pourrait contribuer à une stratégie de marque pour la destination, à l’image du Milford Sound track en Nouvelle-Zélande. »
La Côte Oubliée. / © J.-F. Clair
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