« Le livre est un produit artistique et commercial »

Alice Pierre est arrivée à la direction de la Maison du livre en 2020. ©BB

La Maison du livre promeut les plumes du territoire avec son salon international et ses nombreuses actions. Après une année difficile, l’association, créée en 2007 par Déwé Gorodé, cherche à structurer le livre calédonien en rassemblant les auteurs, les éditeurs et les librairies au sein d’une véritable filière. Entretien avec Alice Pierre, directrice de la Maison du livre. 

DNC : Comment se porte le livre calédonien ?

Alice Pierre : Nous sommes face à des difficultés que beaucoup d’autres filières économiques connaissent : l’étroitesse du marché. La Nouvelle-Calédonie est un petit marché, dans un bassin anglo-saxon. On ne peut pas exporter autour de nous. En Métropole, il y a une telle production littéraire qu’on a du mal à sortir notre épingle du jeu. Les éditeurs peinent à gagner leur vie. Ils font ça de manière presque bénévole et ont d’autres activités à côté. La crise du prix du papier rend l’édition compliquée. Les frais de douane augmentent. Et puis, avec la crise économique, beaucoup moins d’ouvrages sont vendus, beaucoup moins sont écrits et édités à cause des frais d’édi- tion. Je prends souvent l’exemple d’un fil tendu. Il ne manque pas grand-chose pour qu’il cède. Nous devons repenser l’écosystème. Il faut aussi avoir une vision de chef d’entreprise.

Pourquoi le livre calédonien ne s’en sort-il pas aussi bien qu’en Polynésie ?

C’est très intéressant de comparer. On se pose souvent la question. À Tahiti, un éditeur privé, Au vent des îles, a pris le lead et a créé un salon. En Polynésie, il n’y a pas de réseau bibliothèque. Les gens achètent beaucoup plus. Les auteurs sont des stars. Nous, on a du mal à valoriser nos auteurs. Au vent des îles a développé toute une filière en Métropole que nous n’avons pas. Parce qu’il y a un seul interlocuteur. Ici, c’est un peu l’inverse, avec une volonté institutionnelle à l’origine du salon et des éditeurs qui se sont greffés après. Nous avons plein de petites maisons d’édition. Il y a cinq éditeurs privés. Il faut ajouter les éditeurs publics, comme l’université ou l’ALK. Avant, nous étions quasiment 17.

Les auteurs calédoniens ont-ils une chance sur le marché hexagonal ?

On a essayé. Sans une maison d’édition forte et présente sur les salons, c’est compliqué. Nous ne sommes pas concurrentiels. Il y a tellement de sorties avec une production de qualité et des éditeurs très organisés. Les auteurs doivent être présents en Métropole pour défendre leur livre sur des salons. Je ne pense pas que cela vaille le coup, parce que nous n’avons pas les budgets pour envoyer des auteurs. L’objectif n’est pas de demander aux institutions d’être toujours derrière nous. Nous devons trouver des solutions pour qu’à terme la filière soit rentable.

Nous voulons développer la traduction pour exporter dans la région.

Qu’est-ce qui doit être fait ?

La province Sud nous a aidés à réfléchir dans le cadre de son financement. Il y a plusieurs axes. Fin 2024, il est prévu un grand rapport avec un nouveau fonctionnement de la Maison du livre et des objectifs pour la filière. Nous voulons aussi mettre en place un observatoire pour ajuster nos politiques publiques. Nous voulons développer la traduction pour exporter en anglais. Les ouvrages jeunesse peuvent vraiment correspondre au lectorat anglo-saxon. Les problématiques touchent tout le monde océanien et insulaire. Le Creipac [Centre de rencontres et d’échanges internationaux du Pacifique, NDLR] nous permet de tisser des liens dans la région. Il faut aussi s’interroger pour réorganiser la filière. La Maison du livre doit devenir une structure interprofessionnelle pour aider chaque acteur de la filière. Je dois me rapprocher des interprofessions agricoles qui ont ces stratégies-là.

Pourquoi cette filière structurée n’existe-t-elle pas encore ?

Je pense que c’est compliqué pour les acteurs de considérer le livre comme un produit. C’est un problème de conception. La crise et les problèmes de financement obligent à se repositionner et à se questionner. La Maison du livre a été conçue comme une fédération d’associations. À l’intérieur, il y avait beaucoup de pratiques amateurs, qui sont aussi très importantes. Aujourd’hui, nous sommes dans un contexte très différent, parce qu’il y a moins d’associations et que les livres ne se vendent plus comme avant, avec un marché qui s’est réduit. Une sortie de Bernard Berger [La Brousse en folie] était vendue à 2 000-2 500 exemplaires. Aujourd’hui, si vous en publiez 500, c’est beaucoup.

Il faut aussi qu’on arrive à accompagner avec des ateliers d’écriture et des master class.

Est-ce qu’il y a assez d’auteurs, et de qualité, pour avoir cette véritable filière ?

Bien sûr, nous en avons. Il faut aussi qu’on arrive à les accompagner avec des ateliers d’écriture et des master class. Nous allons relancer une maison d’écriture en province Nord. Il y en a une en province Sud. Elles permettent d’avoir un temps, en dehors de ses vies professionnelle et familiale, pour se consacrer à l’écriture et être rémunéré pour le faire. Au vent des îles cherche aussi des auteurs de l’ensemble du Pacifique. Ils éditent des auteurs de Nouvelle-Calédonie et de toute la région. Une maison d’édition tourne sur la régularité des productions et la qualité de son contenu. Sans cette vision océanienne, cela semble compliqué parce qu’on est peu d’habitants.

Propos recueillis par Brice Bacquet