Gynécologie-obstétrique : le CHT fait évoluer ses pratiques

Le docteur Érick Camus, chef du service de gynécologie-obstétrique du CHT, et le professeur Israël Nisand. L’ancien président du Collège national des gynécologues-obstétriciens français (2017-2020), à l’origine de la création du label, a centré son travail académique et universitaire sur le diagnostic prénatal, l’assistance médicale à la procréation et le déni de grossesse. Il exerce à l’hôpital américain de Paris. / © C.M.

Le service de gynécologie-obstétrique, dirigé par le docteur Érick Camus, a entamé en 2021 une démarche d’amélioration de ses pratiques avec le label Maternys et le professeur Israël Nisand, actuellement sur le territoire. Entretien croisé.

C’est le « gynéco » le plus médiatisé de France. L’ancien président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), le Pr Israël Nisand, est en première ligne lorsque la parole des femmes se libère sur cette spécialité avec une forte revendication de la voir changer. En 2017, alors que l’opprobre est jeté sur la profession, il se donne pour mission de la défendre. « J’ai été traité de tous les noms, de président des violeurs… »

La défense d’un confrère accusé d’agressions sexuelles aux assises ne passe pas. Il est entouré d’autres polémiques, quand il dénonce un « bashing gynécologique », évoque des professionnels épuisés, recommande aux femmes de « changer de médecin » en cas de problème. « Dans un premier temps, j’ai réagi de manière arrogante devant ces accusations de violence, admet-il, car aucun obstétricien ne se lève le matin en voulant faire du mal aux femmes. J’avais l’impression que les comportements malsains étaient de l’ordre du délit et, pour moi, ça ne faisait pas partie de la discipline. Le #MeToo m’a réveillé. »

APPEL AU BOYCOTT

Le collectif Stop aux violences obstétricales et gynécologiques en Nouvelle-Calédonie a appelé sur sa page Facebook au boycott des formations du professeur Nisand. Il estime que de telles formations favorisent les violences et que le patriarcat « s’organise de manière à ancrer un discours qui normalise les violences, déconsidère et infantilise les femmes ». Stop VOG NC souligne que le professeur a été ciblé pour négation des violences obstétricales, inversion de responsabilité, etc. L’ensemble des professionnels interrogés regrettent ce positionnement sur les formations estimant qu’elles vont dans le sens d’une meilleure prise en charge et considération des patientes.

 

« ÉNORME TROU DANS LA RAQUETTE »

Intégrer ces éléments dans une discussion scientifique et médicale n’est pas chose aisée. « Pour beaucoup de chefs de service, la façon dont les patientes vivent nos soins, ce n’est pas aussi intéressant qu’un placenta prævia. » Le manque de moyens est aussi un argument pour ne pas évoluer. Persuadé que le sujet constitue au contraire « un énorme trou dans la raquette de la discipline » puisque « des femmes sortent de la filière extrêmement blessées », il pense à un système incitatif. En 2019, le Collège crée le label Maternys pour les services de gynécologie-obstétrique et les praticiens du privé à titre individuel. « J’aurais voulu que ce soit obligatoire partout, mais le ministère de la Santé ne l’a pas souhaité. »

Le CHT est parmi les premiers (sur une soixantaine actuellement) à y adhérer en 2021. La démarche concerne le pôle mère-enfant (obstétrique, gynécologie, chirurgie). En maternité, elle représente un coût supplémentaire de 5 € par patiente pour environ 2 400 accouchements par an (2 200 naissances vivantes), un hôpital touchant « environ 350 € par accouchement ». Pour être labellisés, les établissements doivent communiquer sur les actes réalisés avec des taux jugés satisfaisants (césariennes, épisiotomies, etc.).

Ils répondent à une charte de bonnes pratiques affichée dans les lieux d’attente (lire p.10). Pour les futurs parents, l’accent est mis sur l’information concernant les étapes de la grossesse et l’accouchement, notamment via des vidéos. « 40 % ne se terminent pas comme prévu et, sans information, on empêche les femmes d’anticiper. »

Ils proposent une consultation spécifique d’orientation en début de grossesse et un projet de naissance modèle avec des options pour que les femmes puissent s’en inspirer. Seules « 3 % le font parce qu’elles ne savent pas quoi y mettre ». Certains projets peuvent faire l’objet de moqueries. « C’est une bêtise, assène le Pr Nisand. La volonté de tout cadrer peut être le signe d’angoisses. » Les individualités sont à prendre en considération. « Certaines demandent qu’on les césarise, ce serait les maltraiter que de ne pas le faire, et d’autres estiment que la césarienne est une maltraitance. »

Autre engagement, le respect si possible de la physiologie de l’accouchement (ne pas accélérer le travail avec l’ocytocine, ne pas rompre les membranes quand ce n’est pas utile). Toute intervention en urgence doit donner lieu à une explication avant la sortie avec un soutien psychologique en cas de besoin. Le CHT autorise la présence d’un accompagnant pour les césariennes et dispose d’une salle de réveil dédiée pour les mamans et les bébés. Ensuite, les soignants sont invités à proposer une aide à l’allaitement, rendre disponible H24 une analgésie médicalisée, respecter l’autonomie des femmes, les rythmes de sommeil. Des moyens sont proposés pour la mise en œuvre de ces recommandations : formations, séminaires, hotlines pour les professionnels, etc.

SENSIBILITÉ

Dans la pratique quotidienne, des changements de comportement sont attendus notamment des « gros benêts aux phrases qui tuent ». Le professeur incite les étudiants à dépasser la distance longtemps intégrée et à se mettre à la place de leurs patientes. « Les jeunes sont bien plus sensibilisés », selon le Dr Camus. Notamment parce que les femmes se manifestent davantage. Mais ils ont conscience que toutes n’ont pas cette facilité. « Une patiente m’a dit que si on lui demandait de passer le mop en salle d’accouchement, elle le ferait. Ça veut tout dire. Elles sont infantilisées par le pouvoir médical. »

La notion de consentement (loi Kouchner) est au cœur des attentes, car « céder n’est pas consentir ». « Le médecin doit s’habituer à demander : est-ce que vous souhaitez que je vous examine ? À réitérer pour le spéculum » « Des soignants considèrent qu’elles viennent pour ça, pas forcément », renchérit le Dr Camus. Le Pr Nisand insiste sur la recherche d’antécédents. « Nous ignorons par exemple s’il y a eu des violences sexuelles. Or, 20 % des femmes sont concernées et leur vécu gynécologique est catastrophique. »

En salle d’examen, on ne trouve généralement ni paravent ni espace pour se changer. « Quand j’ai insisté pour qu’on ait des isoloirs, on m’a regardé avec de grands yeux », raconte le Dr Camus. « C’est inconcevable de faire une échographie vaginale sans couvrir la patiente », poursuit son confrère. Le sens des tables est également important.

TREMBLEMENT DE TERRE

Les réunions quotidiennes intègrent ces questions. Le chef de service note « toutes les petites dérives, les gestes réalisés sans explication, les tutoiements. J’impose qu’on me fasse des remontées. On en discute et ça fait bouger les choses ». Un formulaire de satisfaction est soumis aux patientes à la sortie et trois mois après l’accouchement. « Le responsable peut ainsi savoir comment les patientes sortent de chez lui. Et ce qu’il y a à améliorer. »

Malgré tout, pensent-ils, les mauvaises expériences ne disparaîtront pas, l’accouchement constituant un « tremblement de terre ». Pour le Pr Nisand, la société a fait une « énorme erreur en le présentant comme le plus beau jour de la vie d’une femme. C’était paternaliste et nataliste ». Mais « s’il y a moins de mauvaises expériences, ce sera déjà pas mal. Et c’est à nous de faire en sorte de ne pas rajouter de difficultés ».

Chloé Maingourd

« C’est fini le temps du médecin pluripotent »
Sophie Perrève est gynécologue au CHT. « J’ai 40 ans et quand j’ai fait mon internat de gynécologie-obstétrique, ce sont des thèmes que l’on n’abordait pas du tout. Ça a beaucoup évolué, les jeunes internes sont formés aux notions de bienveillance et de bientraitance en gynécologie. »

Pour elle, ces notions sont aussi importantes que de traiter des pathologies dans une « spécialité sensible, hyper stressante ». Et le respect de ces règles est un bénéfice pour les patients comme pour les soignants. « C’est fini le temps du médecin pluripotent, on est dans une relation partagée avec le patient qui a accès à beaucoup d’informations maintenant. Et on préfère 100 fois plus être dans une relation de confiance, de discussion et de partage plutôt que d’être dans une confrontation ou dans un non-dialogue. » Elle estime que « c’est une chance de pouvoir repréciser les bases de notre métier par des formations ».

Anne Hélène L’Hottelier est sage-femme depuis 19 ans. Elle souligne que ces professionnelles sont en première ligne pour « entourer, soutenir les patientes » et que la bienveillance fait partie intégrante de leur travail. Si le respect de la physiologie de l’accouchement est un sujet depuis longtemps, que la vision sur certains actes, notamment l’épisiotomie, a changé depuis un moment également, il y a désormais plus d’information et d’écoute. Elle va suivre la formation pour en savoir davantage sur le retour des patientes, les chiffres, ce qu’elles entendent par violences dans le but de « toujours améliorer la profession ».

Formations

Pour aller plus loin, le Dr Camus a souhaité proposer aux professionnels du public et du privé (médecins, sages-femmes, urgentistes, pédiatres,  anesthésistes, etc.) une formation à l’Ifap, Institut de formation à  l’administration publique, entre le 7 et le 12 septembre par le Pr Nisand. Le 6, il sera au CHT pour une présentation en interne du label et sera sollicité dans le cadre des épreuves pratiques des étudiants. Une conférence pour toute la profession est prévue le 5 septembre.

Dans les formations, une attention particulière sera donnée aux conséquences médicales de la maltraitance dans le cadre des grossesses. « Un enfant dont la mère souffre de stress traumatique post-partum, n’aura pas un développement neurologique comme les autres », souligne le Pr Nisand. 20 % des femmes seraient concernées. Au Royaume-Uni, insiste-t-il, des soignants formés une centaine d’heures sur le sujet sont envoyés chez les patientes dès leur sortie. Chez nous, le premier rendez-vous est à six semaines. Une sensibilisation sur le déni de grossesse et sa prise en charge est également prévue.

Les accouchements au CHT en 2022

  • 2 169 naissances (sur environ 3 990 à l’échelle du territoire) 22 % de césariennes
  • 11,8 % d’accouchements instrumentaux
  • 4 % d’épisiotomies
  • 23 % d’accouchements déclenchés
  • 79 % d’accouchements avec péridurale
  • 51 % d’accouchements par voie basse pour un bébé en siège.