[DOSSIER] Anne-Claire Goarant : « Le changement climatique exacerbe les vulnérabilités des îles du Pacifique »

Lors de la COP27, des spécialistes de la Communauté du Pacifique (CPS), dont Anne-Claire Goarant, étaient sur place pour appuyer les pays insulaires océaniens. La responsable de projets, programme durabilité environnementale et changement climatique, revient sur les défis que doivent relever les pays du Pacifique, dans ce contexte de réchauffement climatique.

DNC : On entend souvent que les îles du Pacifique sont parmi les plus vulnérables au changement climatique. Quelles sont les conséquences déjà visibles ?

Anne-Claire Goarant : Les habitants des petits États insulaires en développement du Pacifique (PSIDS) vivent d’ores et déjà les conséquences liées à l’augmentation du niveau de la mer et des températures, à l’intensification des catastrophes naturelles et à la modification des écosystèmes.

On mesure des impacts sur les systèmes agricoles (salinisation des sols, décalage des récoltes), les pêcheries (déplacement des populations de thons) et la ressource en eau avec des implications fortes sur la sécurité alimentaire et la santé, notamment mentale, des populations.

Les impacts sont également économiques et socio-culturels. Le changement climatique exacerbe les vulnérabilités et les dépendances des îles du Pacifique.

Comment les États insulaires font-ils pour s’adapter ?

Ils mènent un combat politique pour demander aux grands pays émetteurs de gaz à effet de serre de diminuer leurs émissions. Ils ont été les premiers à ratifier l’Accord de Paris et mènent un plaidoyer actif pour ne pas dépasser une augmentation de température de plus de 1,5°C. Le Vanuatu mène un combat sur la justice climatique pour accroître l’ambition mondiale vis-à-vis du changement climatique.

Pour le Pacifique, la priorité est de ne pas dépasser une température de plus de 1,5°C. »

Tuvalu, les États fédérés de Micronésie et les Kiribati ont publié leurs engagements pour marquer leur volonté de faire leur part et montrer l’exemple. Par ailleurs, ils ne manquent pas de résilience, comme l’a souligné le Premier ministre de Tuvalu : « Nous ne coulons pas, nous nous battons ». Des solutions innovantes existent et sont développées localement.

Il s’agit par exemple du développement des énergies renouvelables pour limiter leur dépendance aux énergies fossiles. Mais il s’agit surtout d’actions d’adaptation au changement climatique qui peuvent prendre plusieurs formes : la plantation de mangrove côtière pour limiter l’impact des cyclones sur les côtes, le changement de pratiques agricoles en sélectionnant des variétés plus résistantes au sel ou à la sécheresse et en développant l’agroforesterie.

Qu’attendaient-ils de ce nouveau sommet mondial sur le climat ?

Pour le Pacifique, la priorité est de ne pas dépasser une température de plus de 1,5°C et d’atteindre l’émission nette nulle en 2025. Les PSIDS sont moins concernés par l’atténuation : c’est pourquoi ils demandent une plus grande part des fonds climat dédiés à l’adaptation.

Pour la finance climat, les pays du Pacifique soutenaient fortement l’objectif d’atteindre enfin les 100 milliards de dollars. En matière de pertes et dommages, les PSIDS militaient pour leur inclusion dans l’accord et pour qu’un mécanisme financier permette de les couvrir.

La COP27 a commencé à répondre aux symptômes de la crise climatique en s’attaquant au problème des pertes et dommages, mais pas à ses causes. »

Les pays développés n’ont pas respecté leurs promesses de porter à 100 milliards de dollars par an l’aide destinée aux pays pauvres dans la lutte contre le réchauffement. Est-ce que cet objectif non atteint a des impacts pour les pays océaniens ?

Les pays insulaires en développement (PIED) ont déclaré être gravement préoccupés par le fait que l’objectif des pays développés de mobiliser conjointement 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 n’a pas encore été atteint. Ils les ont exhortés à atteindre cet objectif et à combler le manque à gagner.

Ils ont également regretté que les PEID continuent de recevoir la plus faible part du financement climatique, impactant fortement leurs engagements climat très dépendants des finances extérieures.

Quelles interventions vous ont le plus marquées durant ces quinze jours ?

La mobilisation des pays en voie de développement qui ont fait le parallèle entre les sommes mobilisées pour lutter contre le Covid-19 et l’incapacité à mobiliser de l’argent pour un sujet dont les conséquences sont bien plus dramatiques à moyen et long terme, à savoir le changement climatique.

Les décisions prises par la communauté internationale sont-elles suffisamment ambitieuses ?

On ne le sera jamais assez tant la situation s’accélère et se dégrade. Il faut réellement rendre le système des Nations unies plus efficace et contraignant pour avancer plus vite. Le secteur privé est un acteur majeur pour diminuer les émissions et doit être plus engagé dans le processus.

Les économies émergentes, comme la Chine et l’Inde, doivent également beaucoup plus participer financièrement aux fonds climat.

Les 196 pays présents ont échoué à s’attaquer aux énergies fossiles. »

Quelles sont vos principales déceptions ?

D’une part, le fait que les 196 pays présents ont échoué à s’attaquer aux énergies fossiles. D’autre part, la campagne de dénigrement des travaux du GIEC et de la science en général, ignorant l’approche de précaution inscrite dans la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et l’Accord de Paris. Et enfin, le fait que la décision finale ne mentionne pas la COP15 sur la biodiversité.

Cette conférence est cruciale pour l’avenir de la planète. La COP27 a commencé à répondre aux symptômes de la crise climatique en s’attaquant au problème des pertes et dommages, mais pas à ses causes.

Propos recueillis par Edwige Blanchon

Photos © DR

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