Une vie de cirque

Bruno Loyal est issu d’une lignée d’artistes européens. Il a créé dans les années 80 le seul cirque des îles de la région Pacifique.© C.M.

Le Fabuleux Cirque de Samoa a posé ses tentes pour deux mois à Dumbéa avec un nouveau spectacle. L’occasion d’une trêve divertissante pour les familles. Nous avons passé un moment avec l’incomparable « Tupa’i » Bruno Loyal, fondateur de la troupe dont l’histoire est digne des meilleurs romans. 

Large sourire, voix ample, grand charisme… « M. Loyal » – nommé ainsi comme tous les maîtres de piste dans le métier – semble avoir été modelé pour le cirque. Ou bien c’est le cirque qui l’a fait… On ne saura jamais vraiment.

En Nouvelle-Calédonie, on le connaît depuis plusieurs générations grâce à ses passages au Mont-Dore, à Magenta, puis Dumbéa, où il a trouvé sa place « idéale ». Bruno Loyal s’est fait ici pas mal d’amis. Il dirige avec son bras droit, le Samoan Tusi, une troupe de 22 artistes issus de neuf pays, une trentaine de personnes au total (dont un cuisinier/médecin traditionnel), qu’il trimballe avec tout un équipement de pays en pays. Une logistique dingue rodée par plus de 35 ans d’expérience.

Le chef de troupe n’est pas né de la dernière pluie, mais quelle est l’histoire de cet homme hors du commun ?

AUTODIDACTE

On le penserait métis avec ses chemises à fleurs, qui laissent apparaître ses tatouages polynésiens, son gros collier traditionnel, sa maîtrise du samoan. Pourtant, Bruno Loyal a vu le jour aux États-Unis. Il est issu d’une lignée de circassiens d’origine italienne, française et roumaine dont les membres étaient engagés dans les plus grandes institutions en Italie, en Europe, en Amérique (il est le cousin d’Eliana Roncalli, co-fondatrice du cirque du même nom, et du célèbre clown David Larible, de la septième génération reliée aux Travaglia).

Ses aïeux, spécialisés dans la voltige à cheval, ont été amenés dans les années 1930 aux États-Unis par le cirque des frères Ringling (devenu Ringling Bros. and Barnum & Bailey Circus), le plus grand cirque du monde à cette époque, connu également pour avoir été ravagé par un terrible incendie dans le Connecticut en 1944, causant 168 morts et 700 blessés. Ses proches en réchappent et montent un cirque à Cuba, qu’ils tiennent jusqu’à l’arrivée de Fidel Castro.

Bruno part ensuite avec ses parents à Porto Rico où ils fondent une nouvelle institution. Il y grandit. « À l’âge de 14 ans, mon père est décédé et j’ai pris la relève. » Bruno Loyal est trapéziste, un numéro bien payé. Il voyage dans les Caraïbes et rencontre aussi son mentor, Tihany, en Amérique latine, « le plus grand magicien qui faisait des shows incroyables. Il a transformé le cirque et était une personne au grand cœur ».

Jeune trapéziste, il s’est produit aux États-Unis, en Amérique latine, dans les Caraïbes et en Europe. Photo DR

Il passera ensuite plusieurs années en Europe auprès de grands noms. En Italie, il rencontre un ami de son père, M. Cannobbio, l’inventeur des meilleures tentes de spectacle au monde (en vinyle). Il dort dans son magasin et apprend tous les rouages.

Cet autodidacte qui raffole des maths monte alors une entreprise de tentes à Dallas, passant de « deux employés mexicains » à une centaine de salariés. « Personne ne faisait des tentes à l’européenne aux USA. » Il la vendra neuf ans plus tard pour un bon paquet d’argent afin de retourner à ses premiers amours.

Il étudie alors assidûment le Pacifique « dans les livres » et passe quelques coups de fil. « Je me suis rendu compte qu’il n’y avait jamais eu de cirques dans les îles de cette région au-delà de l’Australie et la Nouvelle-Zélande. »

« Tents by Bruno ». Son entreprise florissante de tentes de spectacle à Dallas. Photo DR.

« ARCHE DE NOÉ »

Puis il réalise un voyage de reconnaissance à Guam, en Micronésie. En arrivant à Samoa, c’est le coup de cœur. « Je me suis d’emblée senti à la maison », elle le restera.

Avec l’argent de la vente, Bruno Loyal achète un bateau en 1986. Il n’y connaît rien. C’est un navire de ravitaillement offshore. Il y installe toute « une bande d’artistes géniaux » et des animaux, des tigres, des singes, des ours, un éléphant. « Une sorte d’arche de Noé », direction le Pacifique via le canal de Panama. « J’ai amené le premier éléphant en Nouvelle-Calédonie et à Tahiti ! », se remémore-t-il. C’est le début du cirque Bruno.

Il ne s’était pas trompé, l’engouement est au rendez-vous. « Sur certains atolls de Micronésie par exemple où vivent 10 000 personnes, vous faites 20 000 entrées  » À Samoa, il entraîne les locaux à faire des numéros, compte le Premier ministre parmi ses meilleurs amis. Le cirque est désormais polynésien : il devient le Magic Circus of Samoa.

Bruno Loyal vendra son navire 15 ans plus tard. « Après le 11 septembre 2001, les règles de sécurité, de visa sont devenues trop complexes. » Il s’achète alors quatre conteneurs, fait voyager les affaires en cargo et sa troupe en avion.

Il privilégie désormais les îles françaises où il peut s’installer plus longtemps, avoir un certain confort. Il francise son show, Cirque magique de Samoa, se lie également d’amitié avec la productrice Sonia Aline. Il connaît les règles françaises pour les équipements qui sont les plus strictes au monde, « raison pour laquelle les cirques australiens et néo-zélandais ne viennent jamais ».

Sa troupe vit toujours sous des tentes ce qui facilite les périples. « Beaucoup ne le font plus mais si on était comme la plupart dans des grandes caravanes, des hôtels, on devrait charger deux à trois fois plus », rétorque-t-il. Depuis sept ou huit ans, il les pose également dans l’océan Indien, à La Réunion, l’île Maurice et les Seychelles.

Si la plupart des artistes sont Samoan, Bruno Loyal voyage encore chaque année pour trouver de nouvelles pépites, dans les festivals de cirque d’Amérique latine ou d’Inde. 

Le Cirque de Samoa a pris place à Dumbéa jusqu’au 1er octobre. À chaque installation, quatre conteneurs et plusieurs tentes, dont le chapiteau pouvant accueillir jusqu’à 700 personnes, sont installés. C.M.

CHURCHILL

Depuis ses débuts, le cirque, pense-t-il, a bien changé. Il est nostalgique du temps des animaux ‒ arrêté pour sa part il y a 23 ans environ « pour que tout le monde soit content » ‒ même s’il comprend les réticences. Lui, affirme les avoir toujours bien traités. « Il y a deux façons de les entraîner : avec amour et des petits plaisirs ou en les frappant. C’est horrible. J’ai vu des animaux tuer leur entraîneur parce qu’ils n’oublient pas et ne pardonnent pas. Moi, c’est tout l’in-verse. »

Il parle avec affection de son ancien « bébé », l’éléphant Churchill, se console avec ses six chihuahuas, ses « cadeaux de Dieu » qu’il pleure en partant de Samoa, mais à qui il parle « chaque jour sur internet ». Il y a aussi les perruches qu’il acquiert à chaque escale, puis relâche dans la nature. Les deux du moment ont pris possession de son bureau.

Il trouve magnifiques les nouvelles formes de cirque, comme le Cirque du Soleil, mais impersonnelles, sécurisées, trop pleines de tintouin high-tech. « Je suis à l’ancienne, j’aime voir les artistes de près sans masque, la sueur, le mélange de musique, c’est cette atmosphère qui me plaît. » Pour l’heure, il n’y a donc aucune raison de voir le Cirque de Samoa changer de formule. Et Bruno Loyal en est certain, son aventure avec cette forme de spectacle se poursuivra jusqu’à la fin. « C’est trop amusant. »

Un Bruno en cache un autre

Père et fils, réunis par un même univers, concluent le show en anglais et en français. Photos C.M.

Comme son père avant lui, Bruno Loyal Junior a toujours baigné dans ce monde. Il suit sa scolarité à Samoa et intègre la troupe à 12 ans poursuivant ses études au rythme des voyages. « C’est moi qui insistais auprès de mon père pour le suivre. Il me disait d’attendre, jusqu’à ce qu’il accepte. »

Junior, aujourd’hui 20 ans, sait faire plein de choses, explique son père « mais il reste très humble » : acrobaties aériennes, jonglages et ainsi de suite. Il intégrait notamment le Globe de la mort, ce fameux numéro dans lequel trois motos évoluaient dans un globe de métal.

Il aide désormais son père à conduire le show et ne changerait de vie pour rien au monde. « J’ai vraiment de la chance qu’il soit de ce métier. Il y a des choses à apprendre chaque jour et on voyage énormément. » Il a par exemple appris à parler le français à l’île Maurice.

Il entretient avec son père une belle complicité. « C’est une personne de confiance. Il peut trouver une solution à tous les problèmes. Il est très attentionné pour les artistes, toujours là pour tout le monde. » La transmission se poursuit : Junior est marié et père de deux jeunes enfants qui vivent au sein de la troupe.

Chloé Maingourd 

Le cirque est installé à Dumbéa jusqu’au 1er octobre. Il se produira ponctuellement dans un format réduit en Brousse (Bourail mardi 22 août, La Foa en septembre ).