Taputapuatea, une victoire pour tout le pacifique

Le « paysage culturel » de Taputapuatea, site sacré vieux de 1 000 ans, situé à Raiatea, et lieu majeur de l’histoire du Triangle polynésien a été inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Une première reconnaissance pour la Polynésie française qui va bien au-delà du territoire.

Satisfaction non dissimulée, dimanche, au sein de la délégation polynésienne qui avait fait le déplacement à Cracovie, en Pologne, où se réunissait la 41 session du comité du patrimoine mondial de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. Exclamations, accolades et même quelques notes de ukulélé ont retenti dans l’assemblée.
« Je tiens, au nom des Polynésiens et des habitants de l’île sacrée de Raiatea, à vous exprimer notre émotion, notre fierté et toute notre joie pour la reconnaissance mondiale », a dit le président de la Polynésie française, Édouard Fritch, dans son discours avant de s’exprimer en polynésien. Il a estimé que ce 9 juillet resterait comme « un moment capital, historique, qui consacre une civilisation polynésienne extraordinaire, celle de nos pères » et a souhaité partager cette victoire avec les « frères du Pacifique ».

Foyer ancestral de la culture polynésienne

Le lieu qui vient d’être consacré se situe dans la partie du Te Pö (« Le monde des esprits ») de l’île sacrée de Raiatea (district d’Opoa), elle-même faisant partie de l’archipel des îles de la Société. Sur cette surface de 2 000 hectares, entre terre et lagon, on trouve un vaste complexe cérémoniel et archéologique qui comprend plusieurs marae, des plateformes d’archers, divers paepae (vestiges), et domine, côté lagon, la majestueuse passe Te-avamoà qui partage la même sacralité.

Et l’on trouve surtout le fameux marae de Taputapuatea, l’un des plus importants de Polynésie française et du Pacifique, un temple à ciel ouvert, centre cérémoniel, funéraire et religieux dédié à l’ancienne divinité de la guerre, Oro. On parle de « l’endroit où le monde des vivants croise le monde des ancêtres et des dieux ». Taputapuatea voulant dire « sacrifices venus de loin ».

Richard Tuheiava, sénateur et président de l’association Na-Papa-e-Va’u-Raiatea œuvrant pour cette reconnaissance, avait décrit ce marae comme étant « au cœur même de la mythologie et de l’ancienne religion de la Polynésie de l’Est », avec un caractère à la fois hautement « spirituel et international ». En effet, alors que Raiatea était devenue au XVIe siècle, le centre culturel, spirituel, politique et religieux de toute la Polynésie orientale, ce site en particulier était symbolique pour la grande alliance amicale existant alors entre les îles de la Polynésie, de l’océan Pacifique. Les prêtres et membres du « mouvement arioi » s’y croisaient pour vivre le culte d’Oro et ils transportaient parfois des pierres du marae « pour implanter de nouveaux marae dits « taputapuatea » en Polynésie française mais aussi à Hawaï et en Nouvelle-Zélande ». C’est ce rayonnement à l’échelle du Pacifique et ce rôle de témoin privilégié de la civilisation polynésienne (juste avant le contact européen) qui ont par la suite fait de Taputapuatea « un point géographique majeur dans la renaissance de la culture polynésienne contemporaine », avait-il ajouté.

Attributs matériels et immatériels

Aujourd’hui, on comprend que ce sont à la fois les paysages et les connaissances vivantes de Taputapuatea qui sont reconnues par l’Unesco, ce qui n’est pas toujours le cas, le patrimoine consacré pouvant être matériel ou immatériel. « Ce bien est un paysage culturel relique et associatif dont les attributs sont matériels (sites archéologiques, lieux associés à une tradition orale, marae) et immatériels (récits des origines, cérémonies et savoir traditionnel) » a ainsi résumé, dimanche, le représentant du Conseil international des monuments et des sites. Et à ce titre, a-t-il poursuivi, « il est un exemple exceptionnel de la juxtaposition et de la continuité des valeurs anciennes et modernes du peuple mahoi et de sa relation avec le paysage naturel ».

Un long travail

Cette inscription, la première en Polynésie française, est le fruit d’un travail fastidieux, d’associations, de la commune de Raiatea, des services du territoire et de l’État, qui ont œuvré durant dix ans pour présenter ce dossier « très bien préparé » devant l’Unesco. Il faut en moyenne huit ans pour espérer parvenir à ses fins, car les formalités sont lourdes, les embûches nombreuses et le poids politique non négligeable. Le plus difficile étant de démontrer la valeur universelle exceptionnelle du bien avec un travail d’experts du monde entier. Sans compter que la concurrence est rude. Avec seulement 30 sites reconnus sur plus de 1 000 à l’échelle du monde (soit 3 % des sites du patrimoine mondial), il semble particulièrement difficile pour l’Océanie en général de mener à bien les démarches ou de se faire entendre. Dommage, lorsque l’on pense à l’extrême richesse culturelle de la région !

Quoiqu’il en soit le marae de Taputapuatea appartient désormais à l’humanité toute entière. Cette reconnaissance, a dit Édouard Fritch, doit « faire triompher les valeurs universelles de paix, de partage et de préservation des cultures premières ». Il s’est engagé « à préserver et à transmettre aux générations futures ce trésor qui est avant tout vivant et que nous voulons partager avec tous ». La Polynésie a d’autres patrimoines en tête : les îles Marquises, « trésor des trésors », et la danse, le ‘ori Tahiti, qui exprime le lien entre l’être et la nature et est désormais pratiquée sur les cinq continents.


 25 nouveaux biens inscrits

Parmi les trente-trois sites candidats, vingt-cinq ont été sélectionnés, cette semaine, à Cracovie. La France (4e pays ayant le plus de sites classés (43)) a également obtenu l’inscription de la Neustadt, le quartier impérial allemand de Strasbourg. On notera également la cathédrale de Sviajsk en Russie, le parc national argentin Los Alerces, dans les Andes, les vestiges de la capitale de l’ancien royaume Kongo, en Angola ou encore l’île japonaise d’Okinoshima, même si cette dernière est interdite aux femmes…


9 ans d’Unesco pour la Nouvelle-Calédonie. 

Davantage de réglementations et des comportements qui changent

Alors que les Polynésiens ont obtenu leur première reconnaissance, le territoire a célébré le 8 juillet l’anniversaire des 9 ans de l’inscription du lagon calédonien au patrimoine mondial de l’humanité.

La 3e édition du Forum des comités de gestion des sites du patrimoine de l’Unesco s’est tenue à la tribu de Ouindo, à Poindimé, en présence de onze des treize comités de gestion et leurs partenaires, les provinces, le gouvernement, le Conservatoire d’espaces naturels.

Il s’agissait de dresser le bilan des actions des deux dernières années et de se pencher sur des thématiques comme la lutte contre les espèces envahissantes, le feu ou encore la capture illégale des dugongs.

Myriam Marcon, coordinatrice patrimoine mondial au Conservatoire d’espaces naturels, tire un bilan positif : une forte mobilisation, des actions de plus en plus nombreuses, une autonomie toujours plus grande des comités, un réseau qui s’accroît, une mixité plus grande parmi la population investie (hommes, femmes, jeunes) et surtout, une prise de conscience sur certaines pratiques. « Aujourd’hui, précise-t-elle, sans cette inscription au patrimoine cette démarche participative n’existerait pas, tout comme les plans de gestion qui permettent de cadrer, de planifier et de budgéter les actions. Il n’y aurait pas de gestion transversale des problèmes environnementaux (mer-terre, culture, aspects sociaux). Ils n’y aurait pas non plus d’échanges locaux et internationaux sur les bonnes pratiques ou sur les grands sujets d’inquiétude comme le réchauffement climatique, l’adaptation à la fréquentation grandissante des bateaux de croisière. »

L’inscription apporte, par ailleurs, selon elle, cette certitude d’avoir plus de poids face à une situation qui viendrait mettre en danger les écosystèmes.
Il est trop tôt pour savoir si les actions permettent aux espèces comme les dugongs ou les tortues de mieux se porter mais « il y a des réglementations qui n’existaient pas avant et le degré de protection plus important ne peut qu’être positif ». Les récifs ont également montré une bonne capacité à se remettre des épisodes de blanchissement. Enfin, et surtout, « les consciences s’éveillent et cela, c’est du concret ». De très bons points pour s’assurer de conserver le classement.

Notons que cette même semaine, 200 personnes ont convergé durant deux jours vers la tribu de Koindé (La Foa) pour une journée organisée par le Comité de gestion participative de la ZCO, zone côtière Ouest avec des associations culturelles et de protection de l’environnement. Des activités environnementales participatives étaient organisées. 100 arbres ont été plantés, grâce à un don de l’association Bwärä tortues marines.

C.M