Les regards tournés vers la mer

La Nouvelle-Calédonie s’est longtemps contentée de son nickel. Elle doit s’orienter sur d’autres grandes filières de développement. Les premières Assises de l’économie maritime Indo-Pacifique, tenues la semaine dernière à Nouméa, visaient à démontrer le dynamisme de ce secteur et toutes ses potentialités dans un environnement aux atouts considérables.

En 2018, le président de la République invitait les Calédoniens à réaliser que la région présentait un océan d’opportunités nouvelles. En 2023, il les appelait à bâtir une « puissance océanienne, levier de rayonnement international et socle de l’Indo-Pacifique », promettant des investissements pour ce qui resterait le port d’attache de la flotte française, et de la science maritime.

C’est pour faire valoir la mer et l’océan comme « piliers de la diversification économique en Indo-Pacifique » que le cluster maritime de Nouvelle-Calédonie (CMNC) et le gouvernement ont organisé ces premières assises du 25 au 27 octobre.

À l’heure où les ressources terrestres deviennent de plus en plus rares et sujettes à des enjeux environnementaux sans précédent, représentants institutionnels, professionnels et experts se sont penchés sur les moyens de promouvoir ce secteur offrant des « perspectives économiques variées et durables ».

SOURCE DE DIVERSIFICATION ÉCONOMIQUE

Pêche, aquaculture, recherche scientifique, connaissance des grands fonds, protection de l’équilibre fragile de l’océan, transition écologique ont été discutées notamment entre les quatre clusters maritimes français de l’Indo-Pacifique. « Chacun a pu expliquer sur quels projets ils travaillent, leurs échecs et succès », commente Philippe Darrason, président du cluster local.

L’ambition est de continuer à développer ces filières, de s’inspirer de ce qui se fait ailleurs. Ici, par exemple, certains armateurs ont eu des difficultés, l’aquaculture a atteint un « plafond de verre ». En Polynésie française, on trouve « moins d’infrastructures navales », selon Heimana Ah-Min, directeur de cabinet du ministre des Ressources marines, « mais beaucoup de programmes de recherche en aquaculture, des connaissances qu’on est prêts à partager ».

Signature d’un protocole d’entente entre les Clusters maritimes français de l’Indopacifique, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Mayotte et La Réunion. C.M.

LES PORTS COMME ÉLÉMENTS STRATÉGIQUES

Les ports ont un rôle majeur dans toute stratégie maritime et de développement des territoires. Des discussions se sont tenues entre ceux de Polynésie française, de Nouvelle-Calédonie et d’Australie (Brisbane). « Nous recevons les mêmes bateaux, on cherche une collaboration renforcée, et en ce qui nous concerne, à améliorer nos capacités portuaires. » Ces améliorations concernent par exemple le dragage, l’électrification des quais.

Les compagnies comme CMA-CGM et MSC, géants des transports de conteneurs, ont évoqué les contraintes qui pèsent ici et leurs prochaines évolutions (normes, tailles de bateaux, propulsion, etc.) « Il est important qu’on adapte nos infrastructures pour continuer à bénéficier de ces trafics, souligne Philippe Darrason. Sinon on n’aura plus de bateaux en direct sur la Nouvelle- Calédonie, mais des marchandises qui reviennent de Brisbane ou autre. » Le port autonome traite chaque année 4,5 millions de tonnes de fret et de minerai.

PERSPECTIVES DU FUTUR PÔLE MARITIME

Le projet pilote de pôle maritime multisites, déjà présenté aux Calédoniens, est maintenant soutenu par le gouvernement, l’État, la province Sud et la ville de Nouméa. L’idée a émergé à la baie de Numbo, des privés avaient un besoin en infrastructures pour se développer.

Elle a fait son chemin et s’oriente vers plusieurs activités : la maintenance et l’entretien des navires, la gestion des navires hors d’usage (6 000), la création d’un port scientifique pour accueillir la flotte océanique de recherche internationale avec diverses opportunités de création de richesses (préparation d’expéditions, calibrage d’instruments, gestion de la data, etc.).

La partie scientifique et formation serait localisée à la Station N. Le volet déconstruction bénéficie de l’appel d’air que représentent les patrouilleurs P400 de la Marine nationale, réformés. L’occasion de se doter d’outils permanents de levage et de zones de traitement. La cale de 1 000 tonnes du port autonome doit être optimisée, des études sont menées pour voir dans quelle mesure.

« Mon ambition est que l’on soit considéré comme un exemple de développement maritime, résume Christopher Gygès. Il faut qu’on développe ces filières dans les cinq ans et on sera déjà bien. »

L’AXE INDO-PACIFIQUE COMME OPPORTUNITÉ

Des échanges ont eu lieu avec le consulat d’Australie, le gouvernement néo-zélandais, l’ambassadrice de France dans le Pacifique et le général des Fanc. « Ils montrent que notre stratégie maritime est pleinement Indo-Pacifique sur plusieurs aspects : militaire naturellement avec les alliés dans la région, commerciale avec les grandes lignes maritimes, mais aussi numérique avec la question des câbles sous-marins, la gestion des données. »

Selon Christopher Gygès, le territoire, fort de ces soutiens, a clairement les moyens de ses ambitions. « Sur la question des câbles, nous avons par exemple toutes les infrastructures numériques et télécoms nécessaires, une réglementation et une sûreté des données, pour devenir un hub numérique dans la région et devancer Fidji. »

L’État, par la voix du haut-commissaire, a rappelé que 15 millions d’euros étaient investis dans le smart câble « Tam Tam » entre Lifou et le Vanuatu, avec en particulier des capteurs de données sur les tsunamis. Il devrait entrer en fonction « dans les cinq ans ». Les investissements concernent aussi la protection de la souveraineté, la lutte contre la pêche illégale, la recherche avec le financement du nouveau navire de l’Ifremer.

CONFÉRENCE DES NATIONS UNIES SUR LES OCÉANS 2025

La volonté de la France est de mettre en avant ses outre-mer lors de ce rendez-vous prévu à Nice. « On a échangé avec la mairie, on a eu des interventions d’Olivier Poivre d’Arvor et de Pascal Lamy [respectivement ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, et président du comité des territoires français du Pacifique de la PECC, NDLR]. L’important sera de montrer ce qu’on a la capacité de faire », explique Christopher Gygès. « Le Pacifique sera forcément au cœur des préoccupations, et notamment la Nouvelle-Calédonie », prédit Philippe Darrason.

SCHÉMA DE LA MER

Les Assises vont contribuer à l’élaboration par l’exécutif d’un Schéma de la mer, traitant aussi de la question de la gouvernance. « Ce sujet est au cœur de la concrétisation de tous nos projets, souligne Philippe Darrason. Avec un vrai pilotage, on peut arriver à prioriser nos actions et à avoir les moyens de les mettre en œuvre. »

Ce pilotage est aussi attendu avec nos partenaires français, selon Heimana Ah-Min. « Il faudrait que l’on puisse simplifier les choses et parler d’une même voix au sein du Pacifique auprès des instances nationales. On rencontre les mêmes difficultés sur la formation, le développement des infrastructures portuaires, la construction navale. »

Christopher Gygès imagine un groupe de travail avec tous les membres du gouvernement concernés, la définition de thématiques prioritaires et la présentation du Schéma l’année prochaine. Il a fait part de sa satisfaction au terme de l’événement. « On a pris notre place dans l’Indo-Pacifique. On a montré l’image d’une société qui innove, qui a la capacité de se rassembler, peu importent les sensibilités politiques. »

Philippe Darrason abonde : « On a eu en ouverture le président du gouvernement, des mots forts ont été prononcés. Les trois provinces sont aussi venues, donc je crois qu’on est mûr pour créer quelque chose. »

Chloé Maingourd


Francis Vallat, président du Cluster maritime France : « Une place à l’avant garde »

« La Nouvelle-Calédonie a un avenir qu’elle a trop longtemps ignoré. Aujourd’hui, vous avez une combinaison qui donne une légitimité particulière à ce territoire : l’aspect économique, l’avenir de l’homme, les préoccupations de plus en plus importantes sur le plan environnemental et climatique, l’aspect géostratégique. Elle a une place qui lui permet d’être à l’avant-garde de tous ces enjeux, des atouts à jouer et a la chance de le faire avec un pays intermédiaire qui est la France, sachant qu’il faut peser un minimum pour pouvoir agir.»


Blue Tech

Les Assises ont été l’occasion de mettre en lumière des projets innovants en Nouvelle- Calédonie et dans la région. Le marché mondial de la Blue Tech est en plein essor. Parmi les technologies sous-marines locales, les relevés environnementaux Thoë utilisés à l’usine du Sud, la collecte de données par drones de Island Robotics jusqu’à 300 mètres (photo), et au-delà par ceux de Abyssa, lauréat de France 2030, qui permettent de caractériser les fonds sous-marins, de détecter l’hydrogène naturel, les épaves, etc.

Éduquer nos jeunes

En 2022, le One Ocean Summit de l’Unesco déclarait que tous les États membres de l’ONU devaient avoir introduit la mer dans leurs programmes scolaires à l’horizon 2025. La Nouvelle-Calédonie a pu présenter son « parcours éducatif Mer calédonien », lancé l’année dernière en partenariat avec le vice-recto- rat, le cluster maritime et le Comité 3E.

Ce parcours traite de la mer plus uniquement sous un angle environnemental, mais en intégrant les enjeux de l’économie maritime durable, les métiers, le milieu et les ressources, les risques de vulnérabilité, les aspects sociétaux, éthiques et culturels et, plus original, de genre.

Le point de vue féminin est essentiel, selon Véronique Mollot, responsable académique sur l’égalité. « Les femmes et les enfants sont les plus impactés lors des catastrophes naturelles et en même temps ce sont les femmes qui portent à bout de bras les problématiques de la famille et qui sont leaders pour mettre en place des stratégies de survie ou d’économie solidaire. »

Le projet expérimental a été proposé dans quatre lycées du Grand Nouméa, puis étendu en 2023 à 12 établissements et proposé à des collégiens. 3 500 jeunes au total. Ils participent à des rencontres avec des professionnels, en présentiel ou à distance, ont appris à faire des profils de plage sur un îlot, ont observé un lâcher de drone, ont acquis des connaissances sur les poissons et comment les cuisiner.

« Ça fait plus que les intéresser. Ça suscite beaucoup de vocation, se réjouit Lionel Loubersac du cluster maritime. C’est très important parce qu’on est déjà en déficit de jeunes formés et on n’a pas de traçabilité sur les étudiants qui sont partis. »

Ils effectuent ce parcours sur leur temps libre et tous les intervenants s’impliquent sur la base du volontariat. Mais le parcours a été lauréat du fonds d’intervention maritime de l’État et va bénéficier d’un budget pour se développer. L’ambition est d’intervenir dans les trois provinces et de montrer l’exemple au sein de l’Indo-Pacifique. Un partenariat était déjà en cours avec la Polynésie française, les autres clusters français suivent cette voie.

Lionel Loubersac et Véronique Mollot.