Enercal au bord du blackout

Les administrateurs examinent les différentes options juridiques possibles pour la suite. Placer l’entreprise en procédure de sauvegarde n’est pas exclu. © Enercal

La Nouvelle-Calédonie n’a toujours pas trouvé de solution pérenne pour financer sa dette auprès d’Enercal, qui s’élèvera à près de 19 milliards de francs au mois de juin. La société ne dispose pas des crédits nécessaires pour commander la prochaine cargaison de combustibles. Des coupures d’électricité ne sont pas impossibles dans les semaines à venir.

Laurent Chatenay, président du conseil d’administration, excédé, ne mâche pas ses mots concernant la situation « très préoccupante » dans laquelle se retrouve Enercal. « Cela fait plusieurs mois qu’on essaie d’alerter, on va dans le mur, on arrive au bout du bout de l’exercice. » La raison en est la dette abyssale que la Nouvelle-Calédonie a cumulée depuis plus de dix ans envers le fournisseur d’électricité. Cette dernière devrait atteindre 18,8 milliards en juin. Produire, transporter et distribuer un kilowattheure coûte aujourd’hui 42 francs. Or, son prix de vente, 35 francs ‒ la Nouvelle-Calédonie ayant décidé de le plafonner ‒, induit une perte de 7 francs pour Enercal.

Ce manque à gagner, la collectivité est censée le prendre en charge à travers la composante de stabilisation, dont elle ne s’est jamais acquittée. Seul l’actuel gouvernement a effectué un versement de 2,5 milliards de francs et une augmentation de 11% des tarifs a été votée en 2022-2023. L’endettement de la société s’est envolé, la trésorerie s’est vidée, « des plans d’économies internes et de performance » ont été menés, et les investissements réduits au strict minimum, c’est-à-dire à la « sécurité des biens et des personnes ».

Pas d’argent pour payer les combustibles

Face à l’absence d’issue ‒ la TET, taxe sur l’équilibre tarifaire, ayant été retirée après une semaine de blocages en mars ‒, l’établissement public a pris de nouvelles mesures lors de son dernier conseil d’administration, début avril, notamment celle de « repousser les échéances financières quand cela est possible », indique Laurent Chatenay.

Un travail est également mené sur la réduction éventuelle de production de courant pour tenir plus longtemps. « On a de quoi faire jusqu’à mi-juin environ. » Le plus inquiétant serait en cas d’incident technique ou climatique. « Si le réseau était endommagé, nous ne sommes pas sûrs d’avoir les moyens d’effectuer les réparations. Cela entraînerait potentiellement des coupures intermittentes. » Laurent Chatenay prévient, il veillera à ce qu’aucun risque ne soit pris par le personnel de l’entreprise. « Je refuse que cela se fasse au détriment des employés. Si on est obligés de faire un sacrifice sur l’entretien et que leur sécurité ne peut pas être garantie,on procèdera à des coupures d’électricité si nécessaire. »

En outre, Enercal n’est pas en capacité de « payer les prochaines cargaisons de combustibles des centrales de Prony et Népoui, qui assurent 50 % de l’alimentation électrique des Calédoniens », indique la société, alors que la date limite pour passer commande se rapproche. Une subvention exceptionnelle de la part du gouvernement pourrait être envisagée lors de l’examen du budget supplémentaire au Congrès, même si le conseiller se montre « dubitatif, vu l’état des finances de la Nouvelle-Calédonie ».

600 millions de francs

C’est ce que doit trouver la Nouvelle-Calédonie chaque mois jusqu’à la fin de l’année pour garantir la continuité de l’alimentation électrique des Calédoniens, indique Enercal.

TET, augmentation des tarifs, TGC

De quoi pallier aux urgences, mais sans « résoudre le problème de fond », c’est-à- dire la pérennisation du financement de la composante de stabilisation. Les solutions les plus simples, selon le président du conseil d’administration ? La TET. « Je ne suis pas sûr que ce soit complètement abandonné. C’est ce qui pénalise le moins les Calédoniens, puisque c’est déjà le prix qu’ils paient pour l’essence. » Ou l’augmentation des tarifs de l’électricité. « Il faudrait une hausse de 25 % pour arriver à l’équilibre. » Les 5 % prévus cette année seront largement insuffisants.

Virginie Ruffenach, administratrice, partage le constat. Mais pas les remèdes. « Je suis pour le sauvetage d’Enercal, sa mission doit être maintenue, mais augmenter les tarifs ou instaurer la TET ne sont pas les bonnes réponses. » La meilleure décision, selon l’élue Le Rassemblement au Congrès ? Affecter une part de la TGC. « Nous l’avons proposé lors de l’examen du budget et cela a été rejeté. C’est pourtant le moyen le plus rapide et efficace de régler le problème. Cela pourrait être à nouveau étudié lors du budget supplémentaire, d’autant qu’un débat sur la TGC est en cours. Il faut également faire des économies. Il est prévu 300 millions de francs sur la ligne Melbourne, qui a toujours été déficitaire, quel est l’intérêt ? » Virginie Ruffenach évoque même une demande d’aide d’urgence à l’État.

Laurent Chatenay déplore le manque d’at- tention accordée au sujet. « C’est ubuesque. Enercal devrait être traité comme le dossier prioritaire. S’il n’y a plus d’électricité, il n’y a plus d’activité, plus d’économie, la vie peut s’arrêter. Comment envisager un plan de relance dans ce contexte ? »

Anne-Claire Pophillat