[DOSSIER] Le pacte sur le nickel paralysé

Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, ici en visite à Koniambo Nickel en novembre, l’a répété aux médias jeudi 21 mars : « L’État ne financera pas à perte des usines ». © Archives Yann Mainguet

Destiné à rebooster la filière métallurgique, le pacte sur le nickel est aujourd’hui coincé entre les exigences du ministre Bruno Le Maire et les interrogations, voire les désapprobations, d’élus du Congrès.

Correction ? 

Le ton fut ferme, lors de la déclaration téléphonique aux médias jeudi 21 mars. Pour Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, le pacte sur le nickel, discuté depuis novembre et censé redresser la filière, doit être signé « d’ici la fin du mois » et « tel quel ».

Aucune de ces deux exigences ne pourrait être respectée à Nouméa. Calédonie ensemble voit, à travers ce projet négocié par l’État, les collectivités et les industriels, « des abandons de souveraineté en matière minière et fiscale ». Les indépendantistes, ou du moins une bonne partie, ne portent pas ce texte. L’Éveil océanien a émis un avis réservé.

Des élus appellent à une refonte en commission plénière pour une vision de long terme. D’ailleurs, l’histoire de la Nouvelle-Calédonie l’a démontré avec le « préalable minier », le nickel peut s’imposer comme une composante des discussions sur l’avenir institutionnel. Ce que redoute peut-être l’État, en souhaitant maintenir le dossier uniquement dans le champ industriel.

De leur côté, Les Loyalistes et le Rassemblement, bien que favorables au pacte, comptaient sur une contribution de 4 milliards de francs par an de la Nouvelle- Calédonie au mécanisme de subvention à l’énergie ‒ et non pas 8 milliards ‒ financée par des économies des collectivités ‒ et non pas par la TGC.

Prévu ce jeudi 28 mars, l’examen du pacte nickel en séance publique du Congrès a été renvoyé au mercredi 3 avril.

Quelle Europe ?

La mention figure parmi les priorités du contrat. Le pacte sur le nickel invite les usines métallurgiques à « une diversification de l’offre », ce qui permettrait de réduire la dépendance des entreprises calédoniennes au marché asiatique et de développer des courants d’affaires avec l’Europe, « en particulier pour répondre aux besoins de sa filière de batteries électriques ».

Le ministre Bruno Le Maire a d’ailleurs insisté sur cette orientation lors de l’échange avec la presse. « Nous considérons que cette filière du nickel est stratégique pour l’économie de la Nouvelle-Calédonie, et qu’elle peut le devenir pour l’approvisionnement de l’Europe en nickel batterie. » D’où la nécessité de la « réinventer ».

Le président du gouvernement, Louis Mapou, avait apporté une réserve, à la tribune du Congrès, quelques heures plus tôt. En deux mots, Prony Resources NC élabore, aujourd’hui dans le Sud, du nickel hydroxide cake, ou NHC, un produit intermédiaire peu raffiné constituant la matière première des batte- ries lithium-ion/nickel. Mais « il n’y a pas d’usine de transformation de ce produit-là en Europe. L’Europe est-elle alors capable de nous fabriquer des usines, c’est la question », a lancé le patron de l’exécutif pensant, non pas aux nouvelles unités de conception de batteries pour véhicules électriques comme il en a été inauguré une dans le nord de la France, mais aux capacités d’affinage du produit intermédiaire.

Ces installations sont principalement hébergées en Chine à l’heure actuelle. Des projets verraient le jour d’ici deux ans dans l’espace européen. L’accès à ce marché de l’électromobilité passe, à KNS et à la SLN, par la nécessaire conversion d’une partie de la production de ferronickel en matte de nickel. Ce qui nécessite des investissements estimés, par l’Inspection générale des finances, à 20 millions d’euros (près de 2,4 milliards de francs) pour 12 000 tonnes à Doniambo, et 255 millions d’euros (30,4 milliards de francs) pour 20 000 tonnes à Vavouto.

Départ(s) ?

Glencore a mis en vente ses parts de Koniambo Nickel. La participation de Trafigura au capital de Prony Resources NC est sur le marché pour une reprise. Les regards se tournent naturellement vers le troisième groupe implanté en Calédonie, Eramet, maison-mère de la SLN, dont l’attitude interroge après une série d’événements : refus du groupe de financer davantage la Société Le Nickel, conversion de la dette de la filiale calédonienne, propos de la PDG du groupe dans le Financial Times sur le Caillou « purement minier », démission de son mandat d’administratrice de l’entreprise à Doniambo, planification du développement d’un complexe hydrométallurgique en Indonésie avec l’Allemand BASF, etc.

Si l’examen du pacte sur le nickel au Congrès s’achève par un rejet de l’habilitation du président du gouvernement à signer le document, Eramet pourrait-il juger les conditions d’exploitation de sa filiale non viables et annoncer, à son tour, son souhait de se retirer de la société centenaire ? La tentation serait grande de saisir la balle au bond. Mais ce départ lui coûterait des milliards de francs en travaux de réhabilitation.

Louis Mapou, chef de l’exécutif, demande, de son côté, à ce « que l’on ne se trompe pas de débat » et estime « qu’il faut signer » ce pacte négocié avec Bercy. Dans le cas inverse, l’élu indépendantiste vivrait le moment comme un « désaveu », selon ses propres termes, et en tirerait « les conclusions ».

À l’Assemblée nationale, mardi, la ministre Agnès Pannier-Runacher a livré son analyse, au terme d’une question du député Nicolas Metzdorf : « pas de pacte, pas de repreneurs » pour les usines KNS et PRNC, les conditions de rentabilité n’étant pas réunies. Le parlementaire calédonien a déposé une proposition de loi organique visant à transférer la compétence nickel à l’État pour une durée de trois ans.

Yann Mainguet