Ruamm : les petits patentés s’inquiètent, Tukumuli assure qu’il vise « les gros »

Le sort des travailleurs indépendants alimente la contestation de la réforme du Ruamm. L’Éveil océanien, défenseur de la cotisation unique à 13,5 % et d’une couverture santé maximale pour tous, dénonce une instrumentalisation des petits patentés par les « gros » et assure qu’un ajustement sera apporté.

Soutenue par les syndicats de salariés, la réforme du Ruamm fait l’objet d’une opposition radicale de la part des patrons, des chambres consulaires et de l’essentiel des partis loyalistes depuis près de six mois. Le 16 février, lors d’une réunion publique qui a rassemblé près de 300 personnes, la contestation s’est focalisée sur le sort des patentés aux petits revenus.

La Chambre de métiers et de l’artisanat (CMA), sa présidente Elizabeth Rivière en tête, s’est insurgée contre l’augmentation « insupportable » de leurs cotisations. Tableau à l’appui, la CMA pointe du doigt un quasi-doublement des cotisations pour les patentés qui gagnent 110 000 francs par mois. Milakulo Tukumuli dénonce une manipulation. « En deçà de 139 540 francs, on est couvert par l’aide médicale gratuite. On ne cotise pas, sauf si on touche un revenu par ailleurs : salaire, héritage, revenu locatif… »

Le président de l’Éveil océanien admet cependant qu’il faut retravailler la réforme pour les petits patentés. Il assure qu’il proposera une solution dans le cadre de la révision des dispositifs d’exonération de cotisation (secteurs aidés et bas salaires). Quelle sera sa proposition ? « Nous devrons discuter avec les partenaires sociaux. On s’est donné jusqu’au 31 décembre pour redéfinir tout cela. »

« LA NÉGOCIATION PEUT ÉCHOUER »

Cette réponse ne convainc guère Patrice Gauthier, président de la Fédération des professionnels libéraux de santé (FPLS), qui s’est joint à la diatribe du 16 février. « La négociation entre partenaires sociaux peut échouer. Les conséquences seraient terribles », dit-il, déterminé à « protéger les gens qui sont les plus faibles ».

 

 

Les rangs de la FPLS comptent pourtant de nombreux professionnels décemment rémunérés, et la réforme a pour but de sécuriser le régime qui les paie. Pourquoi cette opposition ? « On essaie de voir un peu plus loin que le bout de notre nez. Nous sommes affiliés à la CPME, on suit sa position », explique Patrice Gauthier. « Les gens qui ont les moyens doivent payer plus que les autres », convient-il, non sans avertir d’autres difficultés.

« ON MET LES PETITS DEVANT POUR QUE LES GROS NE PAIENT PAS »

Quand la « taxation » augmente, « les bas revenus passent au travail au noir, les hauts revenus font de l’évasion fiscale ou s’en vont. Il faudrait une mesure de l’attractivité du territoire. En Métropole, des mairies paient les médecins 4 000 euros (480 000 francs), avec des facilités et le logement. On a des médecins qui hésitent. » Quoi qu’il en soit, même sans exode, la réforme « n’équilibrera pas le Ruamm », prédit Patrice Gauthier.

Pour Milakulo Tukumuli, ce raisonnement s’apparente à du chantage et s’ajoute à l’« injustice » des taux actuels. « Un médecin libéral qui gagne deux millions par mois cotise à 9,5 % maximum », contre 15,5 % pour un salarié. « La différence est financée par la Nouvelle-Calédonie. Tout le monde paie de la TGC pour payer les cotisations d’un médecin. Vous trouvez ça normal ? »

Il voit une autre explication à la mobilisation patronale : l’instrumentalisation des petits patentés. « On met les petits devant dans la rue pour que les gros ne paient pas. Moi, je veux que les gros paient ! Et qu’on voit ensuite ce que l’on peut faire pour compenser les cotisations des petits. »

 

Revenus des patentés : les écarts sont énormes

Les recettes du Ruamm ont représenté 77 milliards en 2020, dont 5,9 apportés par les 26 100 travailleurs indépendants. Plus de la moitié (3 milliards) a été versée par 2 900 patentés dont le bénéfice, après charges et abattements, avant cotisations (9 %) et impôts, s’élevait en moyenne à 950 000 francs par mois, dividendes non compris.

De l’autre côté de l’échelle, les 13 200 patentés gagnant moins de 1,6 fois le salaire minimum garanti ont apporté 1,3 milliard de cotisations (6,5 % en moyenne). Un autre contributeur majeur est la Nouvelle-Calédonie (4,2 milliards), qui compense les taux appliqués aux indépendants plus faibles que ceux des salariés (15,52 %).

 

Gilles Caprais

Photo : Le 16 février, la réunion publique organisée par la CMA a réuni 300 personnes dont Johnny Etile, grand habitué des diverses mobilisations. / © G.C.