La TGC sur les rails malgré des incertitudes

Les élus du Congrès se sont penchés, mercredi, sur les textes permettant la mise en œuvre de la taxe générale à la consommation au 1er octobre 2018. Les débats ont mis en lumière des oppositions de fond, mais ont abouti à l’adoption de cette réforme fiscale, l’une des plus importantes de l’histoire calédonienne, malgré l’abstention des Républicains calédoniens et du groupe Rassemblement-MPC.

Près de vingt ans. C’est le temps qu’il aura fallu, pour mettre en place la taxe sur la valeur ajoutée en Nouvelle-Calédonie. Ce serpent de mer est finalement devenu réalité en dépit des projets de loi abandonnés, des avancées et des reculades. À l’occasion de l’ouverture de la séance publique du Congrès, Philippe Germain, le président du gouvernement, a rappelé ses réticences à la mise en place d’une taxe sur la valeur ajoutée. Une position qu’il a dû mettre en accord avec la volonté des partenaires sociaux de mettre en œuvre cette taxe dans le cadre d’une grande réforme fiscale visant à moderniser l’économie et, surtout, lutter contre la vie chère.

Pour rappel, la taxe générale à la consommation était l’une des principales revendications de l’intersyndicale contre la vie chère, à l’origine des grands mouvement sociaux ayant conduit à l’adoption d’un agenda partagé des réformes économiques et sociales, signé par les partenaires sociaux et la majorité des groupes politiques en août 2014. L’enjeu de ces réformes est de moderniser un système économique ankylosé et devenu trop complexe par des accumulations d’exemptions et d’exceptions. Au-delà de redonner de la lisibilité au système afin de redynamiser l’économie, l’idée forte de la réforme est d’aboutir à une baisse des prix.

Un objectif de baisse des prix à marche forcée

Très rapidement, cette dernière s’est imposée comme la justification de l’adoption de cette réforme qui avait pour contrainte de maintenir le niveau des recettes fiscales de l’ancien système, soit une cinquantaine de milliards de francs. Si les choses paraissaient très simples au départ, la substitution de sept taxes à l’import par une seule taxe moins élevée devait conduire mécaniquement à la baisse des prix. Reste qu’au fur et à mesure des travaux, la réalité s’est avérée nettement plus complexe et l’objectif de baisse des prix globale de l’ordre de 10 % relativement difficile à atteindre.

Les précédents travaux sur la mise en place d’une taxe sur la valeur ajoutée avait très tôt attiré l’attention sur les risques d’inflation. Et de fait, les discussions au sein des différents groupes de travail ont mis au jour la complexité d’atteindre les objectifs de baisse des prix. Si pour la grande majorité des produits une baisse des prix est mécaniquement attendue suite à la mise en place de la TGC, l’effet inverse est également attendu dans certains cas, en particulier lorsque les marges sont élevées.

Afin d’éviter toute inflation dans un contexte de ralentissement économique, le gouvernement a jugé nécessaire d’instaurer un contrôle des marges et des prix afin d’éviter tout dérapage. C’était le sens du premier texte sur la TGC, adopté par le Congrès en 2016, qui contenait en particulier un article très controversé, l’article 19. Ce dernier prévoyait d’encadrer les marges des entreprises afin de maîtriser l’évolution des prix, notamment en raison de l’échec des négociations des partenaires sociaux sur les questions de compétitivité.

Les fortes oppositions sur cette question ont conduit à reprendre les travaux en profondeur et les différents groupes politiques et les partenaires sociaux à formuler de nouvelles propositions. Ce sont ces propositions que les élus ont eu à étudier, mercredi, au sein de l’hémicycle du Congrès. Les groupes politiques ont notamment salué l’accord entre le Medef -NC et l’intersyndicale, passé le 17 août. Il fait suite au blocage rencontré lors des comités de suivi des travaux. Devant la volonté du gouvernement de « passer en force » en imposant une réglementation sur les marges et les prix, les partenaires sociaux ont décidé de soumettre leur propre proposition (lire par ailleurs).

Cette dernière, qui fait l’unanimité, a été traduite dans la loi adoptée par un amendement déposé par le groupe UC-FLNKS. Si le gouvernement a également salué l’accord des partenaires sociaux, offrant une alternative à une ligne dure en matière de contrôle des prix et des marges, le président a toutefois souligné que cet accord avait été transmis aux services pour expertise, notamment afin de vérifier s’il respecte les objectifs de baisse des prix. Une position qui n’a pas manqué de susciter la réaction des Républicains calédoniens et du groupe Rassemblement-MPC, s’étonnant que le gouvernement puisse passer outre la décision de la majorité du Congrès allant dans le sens de la mise en œuvre de l’accord.

Des arrêtés qui restent à préciser

Pour les Républicains calédoniens, toucher aux marges des entreprises risque de les mettre à mal, dans un contexte qui leur est déjà difficile. Imposer un contrôle des marges au travers d’une baisse des prix imposée, selon Philippe Blaise, conduirait inexorablement à l’asphyxie des entreprises et, par conséquent, à des pertes d’emplois. Pour le conseiller des Républicains calédoniens, la réforme de la TGC doit poursuivre un but de modernisation de l’économie, mais pas de baisse des prix. Celle-ci devant précisément être le fruit de conditions plus favorables pour les entreprises leur permettant d’améliorer leur compétitivité.

Un avis que ne partage pas une majorité du Congrès qui attend de cette réforme une baisse des prix. Pour Philippe Michel, du groupe Calédonie ensemble, s’il existe un risque inflationniste lié à des pratiques opportunistes, l’adoption d’un système adapté doit permettre d’aboutir une baisse des prix. Pour Thierry Santa, ce système adapté est précisément celui présenté par les partenaires sociaux. Cet accord, qui assouplit le contrôle des marges et des prix, représente l’équilibre fragile qui peut permettre d’y arriver. L’ancien président du Congrès souligne toutefois qu’il est très probable que l’évolution soit moins favorable aux consommateurs que la version initiale du gouvernement.

La réponse du gouvernement sur son engagement à appliquer cet amendement génère des inquiétudes parmi l’opposition loyaliste. Si la loi adoptée fait clairement référence à l’accord des partenaires sociaux, les arrêtés d’application, adoptés par le gouvernement, pourraient très bien ne pas en tenir compte. Groupes politiques comme partenaires sociaux promettent de rester vigilants.


Un accord des partenaires sociaux

Devant l’impasse des discussions entre le gouvernement et les partenaires sociaux, ces derniers (intersyndicale vie chère composée de l’Usoenc, de l’UT-CFE-CGC, la Cogetra et la Fédération des fonctionnaires ainsi que le Medef-NC) ont décidé de faire leur propre proposition, plus souple que celle du gouvernement. Les partenaires sociaux s’engagent à ce que la réforme génère obligatoirement une baisse des prix lorsque celle-ci est mécanique et/ou d’éviter l’inflation : en d’autres termes, pas de hausse de prix par rapport au prix du 30 avril.

Les baisses seront répercutées aux consommateurs. La marge en valeur des entreprises sera maintenue (cela signifie que les entreprises gagneront autant sur chaque produit) et les entreprises se plieront au contrôle de la Direction des affaires économiques.

Pour les produits soumis au taux de 0,3 et 11 %, l’accord propose que les marges en valeur soient maintenues et que les baisses de prix issues du désarmement des taxes soient entièrement répercutées. Si la marge a un effet inflationniste, les acteurs économiques s’engagent à répartir des baisses afin de maintenir le prix au niveau de celui du 30 avril.

Pour les produits soumis à un taux de 22 % dont la plupart augmenteront de manière mécanique, les opérateurs s’engagent à maintenir leurs marges en valeur au cas où la baisse serait mécanique. En cas d’effet inflationniste, une liste de produits est définie avec des prix maintenus au niveau de ceux enregistrés en avril. Dans ce cas, chaque opérateur sera obligé de réduire sa marge.

Pour les produits dont les prix sont réglementés et encadrés, l’accord propose de recalculer le taux pour maintenir la marge en valeur des entreprises.

Il prévoit enfin de travailler sur la problématique des écarts de prix de vente d’un même produit à l’occasion de réunions de suivi trimestrielles.


Une loi en défaveur de la production locale

Si cela ne résulte pas d’un objectif de la réforme, la suppression des taxes à l’importation donnera un avantage sur les produits importés au détriment de ceux fabriqués ou transformés localement. La Fédération des industries de Nouvelle-Calédonie (Finc) a mis en ligne un rapport assez technique sur son site (www.finc.nc) présentant les effets attendus de la mise en œuvre de la TGC sur l’industrie locale. Plusieurs effets négatifs sont attendus et notamment un renchérissement des prix au travers d’un effet mécanique, dans la même logique que pour certains produits importés. Les industriels expliquent, également, qu’un effet inflationniste est prévu quant aux taxes déjà perçues sur les emballages et les matières premières. La production locale ne bénéficiera par ailleurs plus d’exonération et les matières premières importées seront donc soumises à la TGC. Cela aura pour conséquence une augmentation du coût des matières premières compris entre 0,82 et 2 %.

Tous ces éléments dégraderont la compétitivité de la production locale face aux produits d’importation ce qui aura également pour effet de réduire ses marges de manœuvre dans les négociations avec la grande distribution. Cette situation est d’une certaine manière le fruit de l’échec des négociations des partenaires sociaux sur la question de la compétitivité. Si des accords avaient été trouvés sur la compétitivité dans certaines filières, les négociations sur la compétitivité sociale avaient rapidement achoppé, les syndicats salariaux refusant de lâcher des acquis sociaux.

Dans son discours d’ouverture, Philippe Germain a toutefois rappelé son soutien à la production locale en assurant que d’ici la fin de l’année, deux dispositifs seraient examinés par les membres du Congrès. Le premier, en cours, concerne la révision de la réglementation sur les protections de marché. L’idée est de simplifier les démarches et de raccourcir les délais d’instruction. Ils sont aujourd’hui de l’ordre de 18 à 24 mois et pourraient être ramenés à un peu plus de trois mois.

L’autre dispositif tourne autour de ce que la Finc appelle le « Code de l’industrie ». Il s’agit de définir un cadre pour apporter un nouveau dynamisme à l’industrie de transformation locale qui pourrait prendre la forme d’exonération de charges, par exemple. En attendant, le gouvernement a présenté un amendement à l’occasion des textes étudiés mercredi. Afin de ne pas trop léser la production locale, soumise à la concurrence de l’import (ne sont donc pas concernés les produits bénéficiant de mesures de protection par des quotas), le gouvernement a imaginé, un dispositif empêchant de déduire la TGC dans le cas de vente de produits importés entre deux entreprises. Autrement dit, si une entreprise vend un produit local à un distributeur, ce dernier pourra déduire normalement la TGC. Si le distributeur achète un produit importé localement quand un produit local existe, il ne pourra pas déduire sa TGC.


Les stocks en question

La question du remboursement des taxes déjà perçues sur les stocks des entreprises a cristallisé les désaccords. La loi prévoit le remboursement immédiat de la moitié du montant des taxes déjà perçues par les services fiscaux. Le reste sera remboursé par crédit d’impôt étalé sur les quatre années suivantes. Pour les entreprises ne payant pas d’impôt, les taxes seront remboursées. Pour les Républicains calédoniens et le MPC, le fait d’étaler le remboursement va demander aux entreprises d’avancer cet argent, ce qui pèsera sur leur trésorerie et aura donc un effet inflationniste.

Pour le gouvernement, en revanche, le remboursement des taxes en totalité aura un effet bénéfique sur la trésorerie des sociétés. Selon lui, le fait de redonner ne serait-ce que la moitié du montant des taxes la première année redonnera de la trésorerie aux entreprises puisque ces taxes étaient auparavant immobilisées en continu. La TGC payée et récupérée le sera ensuite d’un mois sur l’autre pour les plus grandes entreprises et tous les trois mois pour les autres. Auparavant, les taxes étaient récupérées au moment de la vente des produits avec des délais généralement beaucoup plus long. Les Républicains calédoniens ont pris acte de l’accord du Medef-NC sur cette question, mais renvoient au mois d’octobre, moment de vérité.

M.D.