Encore une victime de trop

Trois attaques en un mois à Nouméa, d’énormes squales capturés dans les baies… Le scénario requin prend une autre tournure. Les autorités doivent revoir leur stratégie, accélérer le rythme du plan de prévention. Et seule une connaissance des causes de ce phénomène permettra d’agir efficacement sur le long terme.

Série noire. Trois semaines après l’attaque d’une nageuse, puis d’un windfoileur en face de la plage du Château Royal, un touriste australien, qui profitait d’un bain de mer, a perdu la vie au même endroit (zone balisée), dimanche 19 février.

Sa blessure principale à la cuisse s’étendait sur 37 centimètres jusqu’au genou. La seconde se situait à l’avant-bras et aux mains. Des mains justement et un morceau de maillot ont été retrouvés mardi dans l’estomac d’un requin bouledogue de 2,90 m, pris dans le cadre de la campagne d’abattage. Les restes doivent être analysés, mais leur provenance fait peu de doute.

ATTAQUES ET ALERTES

Plusieurs bouledogues et tigres, jusqu’à plus de 4 mètres, ont été attrapés notamment à l’Anse-Vata, souligne Romain Paireau, secrétaire général, qui tente, avec la maire de Nouméa Sonia Lagarde, de répondre à l’anxiété ambiante.

Il revient sur le dispositif « post-attaque » déclenché par la ville (compétente à moins de 300 mètres du rivage), piloté par la sécurité civile et déployé « en une demie heure » : intervention des pompiers, prise de l’arrêté, évacuation des plages (Magenta comprise où s’étaient déportés les nageurs la dernière fois) jusqu’à l’îlot Maître et l’îlot Canard, levée des drapeaux rouges, repérage par drone, lancement d’une campagne de prises sur une durée cette fois d’une semaine.

Un autre dispositif « alerte requin » après signalement aux abords des côtes prévoit, pour deux heures minimum, l’évacuation des zones de baignade, le déploie- ment de moyens nautiques et de drones. Il y en aurait eu « une quarantaine par an » à Nouméa en 2021 et 2022.

Les Calédoniens s’interrogent : peut-on faire mieux ? Le projet de sirènes listé dans le Plan requin (PRRR-2019) est toujours en réflexion. « Il s’agit de savoir si on peut les coupler avec les alertes tsunamis, tout en ayant des sonorités différentes », explique Romain Paireau.

On pourrait aussi équiper les agents de haut-parleurs, pensent les Nouméens. La corne de brume est utilisée à la baie des Citrons.

 

 

La baignade est ici surveillée depuis 2016. La surveillance de la plage du Château Royal, uniquement active durant la période estivale, va être généralisée. Faudrait-il avoir des drones en permanence ? Impossible, selon la mairie. Cela impliquerait des moyens considérables.

Autre interrogation : le sas de sécurité entre l’arrêt des pêches (palangres avec du thon) et la réouverture des plages est normalement de « 48 heures » sur les pêches ponctuelles, de courte durée, comme à La Réunion. Sur cette campagne qui est plus longue (sept jours), quatre jours complets vont être observés à la fin des prélèvements.

Est-ce suffisant ? Plus largement, cette activité n’est-elle pas risquée ? « On n’est pas en train d’appâter », défend le secrétaire général.

La question se pose aussi pour les particuliers, incités désormais à prendre des requins, ce qui n’était pas explicite au moment de la déprotection par la province Sud. Les volontaires prêts à sortir le « doum doum » ne manquent pas. Il conviendrait au moins de sensibiliser sur l’importance de jeter les carcasses le plus loin possible…

UNE COURSE CONTRE LA MONTRE

Les campagnes seront renouvelées tous les trois mois. L’objectif, précise Romain Paireau, est bien « de réguler et non d’éradiquer ». En trois ans, la mairie a pris 80 squales, la province davantage. À la Réunion, 800 ont été tués, 100 par an.

La mairie travaille sur un deuxième appel d’offres pour une barrière d’exclusion de 750 mètres pour la baie des Citrons d’un coût de 100 à 150 millions de francs. Mais ce projet, très impressionnant, pose des difficultés techniques et le temps presse.

La collectivité semble prendre conscience que sa volonté de préserver le mode de vie des Nouméens, friands de longueurs, et le tourisme, n’est plus adaptée. Les attaques font bien plus de mal.

Alors des filets pour de plus petites zones, à la baie des Citrons et Château Royal, sont aussi étudiés. Rien ne sera installé avant la fin de l’année. En attendant, les baigneurs sont invités à changer leurs habitudes. Les radeaux ont été retirés. Tous les comportements doivent évoluer.

La surveillance, les interdictions, les prélèvements ne régleront pas la source du problème. L’amélioration des connaissances est le premier point du Plan requin. Pourtant le flou demeure.

À Nouméa, les réseaux d’hydrophones ont été « densifiés » et une trentaine de requins pucés. Des études précises et extensives doivent à notre sens être menées et concerner spécifiquement la capitale.

Le sujet des eaux de baignade présente un paradoxe. « Elles n’ont jamais été autant contrôlées ‒ plusieurs fois par semaine, turbidité comprise ‒ et il n’y a jamais eu autant de travail sur l’assainissement, même s’il y a encore quelques difficultés à Magenta », avance Romain Paireau. Et pourtant…

La protection des tigres et bouledogues (2013), parce que menacés selon l’UICN, était-elle une erreur ? Elle a, en tout état de cause, été levée. La province Sud, compétente, doit aussi étudier précisément l’impact des nombreuses réserves aux îlots alentours.

Et plus que de suppositions, il y a un besoin de données scientifiques. C’est sur cette base uniquement que l’on pourra agir efficacement et faire en sorte que Nouméa se tourne à nouveau tranquillement vers la mer.

Chloé Maingourd

Photo : Les habitudes vont devoir changer. / © C.M.