[DOSSIER] « On pleurera tous à la fin » de La Glorieuse

Dans six mois, La Glorieuse sera désarmé, vidé, calfeutré et démantelé. Laissant derrière lui des orphelins. Tous ces militaires qui, durant 36 ans, ont foulé le pont du dernier P400 de la marine nationale.

Personne ne regrettera son « confort vétuste » ni « sa rusticité » ou sa manière désagréable de prendre les vagues. « Je n’avais jamais eu le mal de mer avant La Glorieuse », confie un des marins, adepte dorénavant des patchs contre vertiges et nausées.

Peu importe les défauts de cette « grand-mère » de la Marine nationale, un même sentiment traverse ses coursives. Des petits nouveaux aux marins aguerris, tous le disent : « On est les derniers, résume l’enseigne de vaisseau Nicolas, 25 ans, second sur le navire depuis un an et demi. C’est une aventure qu’on va vivre ensemble, on pleurera tous à la fin. » La proximité rapproche forcément, lie autour d’une affection pour cette « vieille dame » parfois capricieuse. Cette tendresse se ressent dans les paroles des militaires, dans leurs actes.

P400

P400 signifie « patrouilleur de 400 tonnes ». 10 navires de cette classe sont sortis des chantiers navals de Cherbourg et ont été envoyés en Polynésie française, aux Antilles, en Nouvelle-Calédonie ou en Guyane

Le second-maître Alexis, 33 ans, a rallongé son affectation d’une année pour « terminer le bateau ». Le mécanicien flotteur s’occupe de toutes les installations extérieures. Il s’y attellera jusqu’au bout. Question d’honneur. « Des moments particuliers, on en vit beaucoup sur un bateau. Sur un petit, on se connaît tous. On forme une famille. C’est une fierté de l’emmener jusqu’à la dernière mission. »

Le maître Thibaut, 29 ans, connaît bien ces instants « bizarres ». Il a déjà participé au désarmement d’un navire, des moments qu’il se rappelle non sans un « pincement au cœur ». « Les dernières maintenances se font toujours au couteau et à la petite cuillère, on sort le poste à souder, plaisante-t-il. À la fin, on a l’impression d’être sur un bateau fantôme, parce qu’on éteint toutes les lumières et l’électricité le soir. On remet tout en fonction chaque matin. »

« UN IMMENSE HONNEUR »

C’est ça qui a motivé Léo, 25 ans. Le volon- taire officier aspirant avait une longue liste de choix. Mais il a préféré La Glorieuse pour sa formation de chef de quart en passerelle. « J’étais intéressé par la Marine à l’ancienne. J’ai choisi La Glorieuse, pour le côté mythique d’un bâtiment qui va être désarmé. » Ironie du sort, un de ses amis traverse actuellement les océans à bord de son successeur, le patrouilleur outre-mer (POM) Auguste Bénébig. « Je pouvais choisir un bateau récent, mais j’ai choisi cette vieille mobylette. »

Pas besoin non plus de demander son avis au second-maître Julien. Les actions quotidiennes du chef de cuisine de La Glorieuse parlent d’elles-mêmes. À l’occasion de la tournée des îles, le cuistot a acheté, de sa propre poche, du caviar et de la truffe pour tout l’équipage. « Qu’est-ce que ça veut dire de l’importance de ce bateau ? », interroge-t-il, sans attendre de réponse.

Photo : Le commandant de La Glorieuse Matthias Weingart et son second l’enseigne de vaisseau Nicolas dans la passerelle du navire. / © B.B.

À bord, tout le monde la connaît. Anciens ou nouveaux en ont conscience. « Un bâtiment possède une âme, un esprit d’équipage », explique le capitaine de corvette Matthias Weingart. Nommé en août 2022, il est le dernier commandant de cette lignée dont chaque nom est gravé sur une plaque à l’entrée des appartements du plus haut gradé et sur son rond de serviette.

Sa mission : diriger La Glorieuse jusqu’à la cérémonie des couleurs finale. L’ultime levée du pavillon national avant son désarmement. « Un arrêt technique se prépare comme n’importe quelle mission, commente-t-il. Quel que soit le bâtiment sur lequel on est affecté, cela reste un immense honneur, parce que la Marine nous fait confiance. La dernière cérémonie sera une cérémonie sans panache. » À la fin, il ne sera plus question de grade, seulement d’émotion.

Brice Bacquet

Photo : La devise de La Glorieuse est Ad augusta per angusta, « Vers les sommets par des chemins étroits ». / © B.B.